Je mets du temps à écrire cet article, car c’est le plus important de mon voyage. Si je devais résumer ma Zambie, ça serait là-bas, à Mpande, au milieu d’un village, dans ce qui me semblait parfois être un autre monde, un autre siècle. Oh, non, ce n’est pas une critique, au contraire.
J’étais donc dans le Nord de la Zambie, à Mpulungu, sur les rives du lac Tanganyika. Je souhaite me rendre en bus à Mbala, d’où je dois prendre un autre bus pour Mpande. Jusqu’ici c’est facile, surtout si je vous mets une carte pour suivre !
Une règle africaine : un trajet facile n’est jamais facile. Ce n’est pas parce que tu as un bus d’ordinaire que tu as un bus aujourd’hui. Ce n’est pas parce que tu montes dans le bus que tu peux rester dans le bus. C’est d’ailleurs ce qui m’arrive, dans la station de Mpulungu, où un type un peu plus gros que les autres, un peu mieux habillé aussi, décide que je ne serai pas du voyage dans son bus, où il n’est que passager ! Je le comprends pourtant, la moitié des Zambiens essaie de me faire monter en priorité (parce que je suis blanc) dans un bus déjà rempli. Bref, je descends, et on me pousse littéralement dans un autre bus, tout ça pour attendre une bonne heure. Les 40 kilomètres entre les deux villes me prendront finalement 2h30. Tranquille.
Je suis à Mbala où un chauffeur de bus part d’ordinaire pour Mpande. Je l’appelle. Il me dit « euh, non, aujourd’hui je reste chez moi ». D’accord. Du coup, qu’est-ce que je fais ? J’attends 3 jours pour son autre trajet de la semaine ? Un éclair de folie me traverse : faire du stop ! J’avais entendu à Lusaka que c’était possible, avec une technique toute particulière : pas de pouce levé, mais une main qui fait signe de ralentir. Allez, c’est parti. Bon, euhhhhh, où je dois aller ? Parce que faire du stop pour aller dans un village, je sens très rapidement que ça va être l’expédition. Je suis au milieu de la ville, je demande dans une boutique. On me dit d’aller à la jonction. D’accord. Euhhhh, c’est où ? On m’indique petit à petit, m’explique que je dois prendre un taxi (mais je suis têtu !). Un type m’explique finalement qu’il va jusqu’à la jonction, et je monte à l’arrière de sa voiture. A peine 3 kilomètres plus tard, me voici à la jonction. Ce n’était pas si compliqué !
J’explique au type où je vais, il l’explique à d’autres types à la jonction. On me dit « assis-toi, y’a un véhicule qui va au village ». D’accord. Ca a l’air très facile. Tellement facile qu’après 45 secondes assis on m’appelle : « le véhicule est là ! ».
Là, c’est la surprise de voir un camion ! Pas grave, c’est toujours mieux qu’un tracteur. Je dois monter à l’arrière, c’est tout juste si le chauffeur ne se barre pas alors que je suis en train de monter… et boum, je suis à l’arrière avec… 50 Zambiens ! 50 Zambiens qui ont un sourire jusqu’aux oreilles en me regardant, tous, un par un. Une entrée de rock star, tel Johnny et son hélico, avec un peu moins de moyens, je vous l’accorde.
On essaie de me faire une place (parce qu’à 50, ils étaient déjà un peu serrés). Je me retrouve à côté de vieilles dames, prises de fous rires quand elles me regardent (j’ai toujours été un rigolo). Des jeunes sont là, des bébés aussi, beaucoup de marchandises, et tout ce beau monde prend la route. Oui, une route. Pendant 10 kilomètres. Jusqu’ici, c’était facile.
BoBoum. BoBoum. Notre camion tourne sur la droite. Et je sens, au niveau de mon arrière-train, quelques légères secousses. Rien de pervers, c’en est juste fini du tarmac, bonjour la piste.
Là, je dois vous parler de mes œufs. Car je ne suis pas seul, je me balade avec… une palette de 30 œufs ! Oui, je sais, je suis un génie. Enfin, je suis surtout quelqu’un de poli et d’un peu sympa, qui ramène des œufs à mon hôte, qui m’en avait commandés. Le problème, c'est que je dois choisir entre mes œufs, et mon corps. Car le camion a une légère tendance à secouer, un peu à la façon d’un manège de foire, mais sans la ceinture de sécurité. Heureusement, je suis bien dans le fond du camion, et je ne peux pas voir la route (et surtout comment le chauffeur conduit !). Pourtant, de temps à autre, le camion est tellement penché que j’arrive à voir un bas-côté. C’est parfois impressionnant (ma mère utiliserait le terme d’inquiétant). De temps en temps je joue avec mes voisins à « de gauche à droite, en avant, en arrière et de haut en bas, on s’amuse c’est le stop… ». Les vieilles dames rient à chaque fois que je tombe sur elles, et elles font de même quand elles tombent sur moi. Pas grave, je suis tellement concentré sur mes œufs que rien ne peut m’atteindre.
En vérité, j’adore ce moment. Il dure une heure, une heure trente. J’avoue qu’ensuite, la phase d’adoration étant passée…, je commence à trouver le temps long. Mon physique souffre un peu. Surtout, j’ai de plus en plus la sensation que je transporte une omelette. J’espère simplement que le véhicule va dans la bonne direction… car je ne suis sûr de rien ! Je n’ai même pas parlé au chauffeur ! J’ai fait une confiance aveugle aux gens de la jonction ! Et comme il n’y a pas de panneau… ! Nous nous arrêtons de temps en temps, au milieu de rien. Quelqu’un monte. Ou quelqu’un descend. Avec un sac de céréales. Ou de l’alcool. Je vois d’ailleurs deux jeunes se mettre une mine tout au long du trajet (faut pas être malade en voiture pourtant !).
Tout d’un coup, après mon cinquantième tour de roller coaster, un type à l’arrière me dit que nous arrivons bientôt à Mpande. La notion de bientôt est cependant très différente de la nôtre, je pense que bientôt a signifié environ 30 minutes (qui paraissent bien longues à l’arrière d’un camion sur une piste de plus en plus délabrée). Le camion se vide peu à peu, et je trouve fort agréable de pouvoir m'asseoir ailleurs que sur mes propres chevilles. J’arrive finalement avec ce que je crois être une belle omelette. Un chef vient me saluer, je ne comprends pas trop ce qui se passe. Un gamin doit m’amener chez Ben, mon hôte de la semaine. Je le suis bêtement, tout en regardant le paysage, rempli de petites maisons en briques avec des toits en paille séchée. Je croise un cochon, mon premier en Afrique, et je me retrouve à penser à la comptine des trois petits cochons : comment diable ces toits survivent-ils au vent ou à la saison des pluies ?? (j’apprends plus tard qu’il faut les renforcer chaque année !). Et je vois Ben, dans son hamac. La semaine peut commencer.
Merci.
PS : le résultat des oeufs arrive dans le prochain article !