J'étais impatient. Se retrouver dans un tribunal, en pleine audience, une première pour moi. Je crois même que j'étais plus excité que les élèves ! Eux, adolescents, blasés avant d'avoir vécu. Moi, devant les colonnades, à lire la devise de la République.
La justice est un milieu que je connais un peu : j'ai des bons amis qui y travaillent, j'ai fait un cours sur le sujet en éducation civique, et j'ai regardé quelques films américains.... OBJECTION votre honneur ! Ceci n'est pas un argument valable ! Objection retenue, tant le système judiciaire américain est différent du nôtre (à choisir je garde le nôtre!)
Me voici donc à Saint-Laurent, dans une chambre détachée d'un tribunal de grande instance, accompagnée de la classe dont je suis le professeur principal. C'est la suite d'un projet justice, que je coordonne avec l'assistante sociale et la prof de français. Le clou du spectacle aura lieu dans un mois : les élèves organiseront eux-même leur audience, à l'intérieur du tribunal, et vont jouer un procès !
Aujourd'hui, c'est la réalité. Et la réalité est parfois... surprenante ! Ce sont des affaires pénales. La présidente entre à la sonnerie, nous nous levons. A sa gauche, la greffière, chargée de noter tout ce qui se dit ou se passe pendant le procès. A sa droite, le procureur de la République, chargé de représenter les citoyens, et qui a le rôle du méchant. Devant, au centre, une barre, pour l'instant vide. Et, un peu derrière, des avocats. Une traductrice est également présente. Nous sommes derrière de petites barrières, dans le public. Un public composé de ma classe et.... des prévenus ! J'avoue que je surveille un peu les mecs chelous assis à côté des jeunes filles de la classe, histoire d'éviter les échanges de numéros de téléphone ! On appelle d'ailleurs la première affaire !
Une dame est accusée par sa fille de l'avoir obligée à ingurgiter un remède traditionnel créole. La fille a refusé. Du coup, la dame l'a menacée avec un grand couteau. La fille est présente avec son père, elle donne sa version. La mère est ensuite appelée à la barre, elle se défend.... plutôt mal ! « Je n'aurais peut-être pas dû prendre un couteau, j'aurai mieux fait de prendre une ceinture ». [sic!] La juge la reprend, et lui affirme que ce n'était pas une meilleure idée. « Je suis stricte avec mes enfants ». La juge : « il y a une marge entre être stricte et être dangereuse pour son enfant ». Elle était alcoolisée au moment des faits « tout le monde consomme un peu d'alcool ». Je fais non de la tête, la juge semble d'accord avec moi. Les avocats prennent ensuite la parole. L'avocat de la victime demande 2 500€ de dommages et intérêts, ainsi qu'une obligation de se faire soigner pour ses problèmes d'alcool. Le procureur rejoint cette option. L'avocat de l'accusée, lui, nous fait le show. Il y a du public, il prend à parti les élèves, joue avec eux pour sa défense. Il explique que lui aussi était contraint dans sa jeunesse de boire des remèdes traditionnels. Le geste du couteau ? Pour impressionner, pas pour menacer. Son réquisitoire est impressionnant, aux dires des élèves. La juge, elle, reste de marbre : l'accusée est déclarée coupable et est sanctionnée selon les vœux de la victime.
Une nouvelle sonnerie retentit. La séance est suspendue. Les élèves ont l'air d'apprécier, moi aussi ! La juge vient s'asseoir avec nous, explique les raisons de son jugement, répond aux questions des élèves (et aux miennes!).
Puis s'enchaînent trois conduites en état d'ivresse, dont une récidive : un homme travaillant pour les militaires (hum...) a perdu son permis et est arrêté un mois plus tard, alors qu'il n'a pas encore été jugé, et à nouveau ivre. Sa raison : « vous savez, les femmes... ». Une juge devant lui, l'argument ne fait, étonnamment, pas mouche ! Résultat, son permis est annulé et sa voiture confisquée ! Mes élèves sont limite tristes pour lui !
Puis vient la dernière affaire de notre matinée. La traductrice doit d'abord prêté serment. Disons Monsieur X, âgé de 45 ans environ, et Madame Y, sa tante, 65 ans environ. Les deux sont accusés de violence avec armes, le premier ayant frappé avec une machette la seconde, tandis que la seconde a frappé le premier en réunion, à coup de manche à balai.
L'histoire est un peu floue : Madame Y voulait emmener l'un de ses frères à l'hôpital, en raison de sa consommation de stupéfiants. Monsieur X a refusé, pour protéger son oncle. Il travaille avec une machette, et à la suite d'une montée dans les tours, il frappe sa tante. Celle-ci décide de revenir un peu plus tard, avec du renfort. C'est là que Monsieur X est frappé. Voulait-il aller chercher un fusil, comme le dit sa tante ? On l'ignore. La juge : « pourquoi vous ne vouliez pas que votre oncle parte avec votre tante ? » Monsieur X : « Parce que c'est une sorcière, c'est la sorcière du village, tout le monde le sait ! ». Mes élèves se payent un léger fou rire. Il évoque à plusieurs reprises la magie, il parle de Satan, a un discours religieux. La juge a du mal à recadrer. Ah, les histoires de famille !
Les deux sont finalement condamnés à du sursis, avec interdiction de porter des armes.
Après 3 bonnes heures d'audience, nous quittons les lieux. Tout le monde semble content, et les discussions continuent sur les affaires. J'ai beaucoup appris au cours de cette audience. Le rôle du procureur par exemple, l'absence des avocats dans toutes les affaires à l'exception de la première. De ce fait, les procès et leur trame changent du tout au tout. La juge, à l'autorité incontestée. Je conseille à tout le monde, car l'accès des tribunaux aux libre ! En plus, vous aurez quelques histoires croustillantes pour votre prochain repas de famille !