« Alors, tu leur enseignes nos ancêtres les Gaulois ? ». Non, toujours pas. Nos ancêtres les Gaulois c'est une phrase qui n'existe plus en histoire depuis au moins ma génération, voire celle de nos parents. D'ailleurs, les Gaulois ne sont pas au programme du collège et du lycée !
Néanmoins, il y a un point intéressant dans cette question un peu méprisante que l'on me pose parfois : je suis en Guyane, est-ce que le programme est adapté ?
La réponse est oui ! Nous avons en histoire-géographie des adaptations DROM (départements et régions d'Outre-Mer). Ce n'est pas un changement à 100% du programme, mais il y a des évolutions.
Ainsi en histoire. Le programme de seconde est le suivant : Citoyenneté et démocratie à Athènes, Citoyenneté et Empire à Rome, Société et Culture de l'Europe médiévale. Jusque là, il n'y a pas d'adaptation possible. Néanmoins les sujets être citoyen et vivre dans une démocratie nous concernent tous. Je suis plus dubitatif sur le cours de l'Europe médiévale (mais je n'ai jamais aimé l'époque médiévale), j'ai d'ailleurs fait ce cours de manière express (le côté importance de la religion s'intègre plutôt bien à la Guyane...).
Chapitre 4 : L'élargissement du monde ! Là, c'est la découverte par les Européens de nouveaux territoires. J'ai adapté mon cours : comment les Amérindiens ont reçu les Européens, comment sont-ils vus par ceux-ci. J'ai travaillé sur les Amérindiens Kali'Na et Arawak de Guadeloupe, à savoir des groupes d'Amérindiens vivant aujourd'hui en Guyane (et dont j'avais parfois des membres en classe). Puis un point est fait sur les Aztèques.
Chapitre 5 : Les hommes de la Renaissance. Là ce n'était pas évident de raccrocher cette période à la Guyane. J'ai tout de même fait une partie sur la production sucrière dans le bassin caribéen (en mode période de progrès techniques).
Chapitre 6, le gros paquet : la Révolution française. Le chapitre est dense de base, mais j'ai pu facilement insérer une sous-partie : les conséquences de la Révolution pour la Guyane. L'abolition de l'esclavage puis son rétablissement, les révoltes, l'invasion portugaise par le Brésil etc. Clairement un cours intéressant à faire, et très parlant pour les élèves.
Le dernier chapitre d'histoire concerne les libertés et nations en Europe au XIXème siècle. Là, il faudrait faire un nouveau point sur l'abolition de l'esclavage en Guyane.
Pour renforcer le côté histoire locale, j'ai proposé à mes élèves deux choses cette année, de manière facultative. La première : réaliser leur arbre généalogique. C'est une note bonus, un travail à faire pendant les vacances. Et beaucoup ont joué le jeu, (re-)découvrant ainsi leurs origines variées (d'Haïti au Surinam, en passant par les groupes bushinengués du fleuve, et la métropole). Autre projet : faire un petit exposé écrit sur leur groupe de population. Ainsi les Djuka, Paramaka, l'immigration haïtienne etc. C'était dans les deux cas très bénéfique pour eux, mais surtout pour moi : j'ai appris beaucoup de choses !
En géographie c'est plus facile. Que ce soit le développement durable, Nourrir les Hommes, L'eau, ou les espaces exposés aux risques majeurs, il est plutôt facile de trouver des exemples locaux. Ainsi, pour le dernier cité, j'ai réalisé une étude de cas sur un glissement de terrain mortel à Cayenne dans les années 2000. Le plus dur pour moi c'est de trouver l'exemple, et surtout de la documentation intéressante. Mais dans l'ensemble ça se fait bien. Le chapitre Les Mondes arctiques n'était pas facile à raccrocher à la Guyane (va parler de la neige dans un territoire où il fait 25°C minimum !), j'ai donc insisté sur les populations autochtones de la zone, avec des questions qui existent en Guyane.
En première, c'est à peu près la même chose. Les guerres mondiales ? Facile, je fais une étude de cas sur le conflit en Guyane (qui va se battre, quelles sont les conséquences sur l'approvisionnement etc.). La troisième République ? J'insiste sur l'affaire Dreyfus, qui était prisonnier ici. J'avoue que c'est plus compliqué pour parler du capitalisme et de la révolution industrielle...
Colonisation et décolonisation, c'est l'évidence : la colonisation de la Guyane, puis sa décolonisation. Attention, ça ne veut pas dire que je ne fais que la Guyane. Mais je pars de l'exemple local (et j'essaierais de faire la même chose si j'étais en métropole).
Pour la géographie c'était à nouveau très facile. Les territoires du quotidien, j'ai travaillé sur la ville et la construction du nouvel hôpital (on est même allé le visiter). La région à aménager, valoriser les milieux : le parc amazonien de Guyane. L'Union Européenne ? Comment existe-t-elle en Guyane ? Les exemples sont nombreux (coucou la base spatiale!).
Pour adapter le programme, j'ai suivi deux formations (non-obligatoires) : histoire de Guyane, géographie de Guyane. Ca m'a permis d'obtenir les bases, et surtout des documents intéressants. Il y a aussi des manuels spéciaux « Antilles-Guyane », où j'ai trouvé de bonnes choses.
Enseigner en Guyane, c'est aussi faire avec des élèves dont la langue maternelle n'est pas toujours le français : on m'a déjà soufflé le chiffre de 80% des élèves ne parlant pas français à la maison. Forcément, ça change beaucoup de choses pour la compréhension, ou la variété du vocabulaire : c'est plus pauvre, et il y a des concepts inconnus. Mais c'est aussi d'une richesse folle (les élèves sont souvent trilingues au lycée, et ils apprennent en plus l'anglais + une autre langue mondiale (espagnole, portugais, néerlandais)). Ca m'oblige toutefois à faire plus attention aux mots que je choisis dans mes études de cas et surtout lors des évaluations. Résultat : je simplifie au maximum.
Là où ce fut dur aussi au départ : c'était les prénoms ! Dans la prononciation : essayez Wanaïtha, Chorguella, Shazney, Shunuwanuh, Eyschila... et surtout essayez de les retenir ! (déjà que je ne suis pas très bon de base).
Néanmoins, j'évite de me plaindre : je suis au lycée, je n'ai que des élèves assez sérieux, et je ne dois pas faire de discipline. La situation est très différente et beaucoup plus difficile au collège (et je n'imagine même pas à l'école primaire, rien que pour la langue!). Et puis l'histoire, comme la géographie, ont plutôt globalement tendance à intéresser les élèves (je ne dirais pas la même chose pour les maths!). Forcément, dans ces conditions, c'est plus facile !
Enfin, je signale que nous travaillons sans manuel, ce qui signifie que tous les exercices ou études de cas doivent être créés... par moi-même ! Bien sûr je m'inspire parfois des manuels, mais il faut forcément que je travaille en avance (pas possible d'arriver dans ma classe en touriste et de dire : « prenez les manuels, faites les questions 1 à 8 page 47-48 », et ainsi être tranquille une heure !). Et c'est ce qui explique pourquoi j'ai eu l'impression d'énormément travailler cette année. Il m'est arrivé, souvent, de terminer mes cours à 1 heure du matin, et de me réveiller à 6h30 pour aller bosser. J'avais 3 niveaux (1ère ES, STMG + Seconde), donc trois cours à préparer, pour 18 heures devant les élèves. Je n'avais rien de prêt, tout était à faire. C'est clairement un boulot de dingue. Ca sera sans aucun doute plus facile et tranquille les prochaines années (j'ai maintenant une bonne partie des cours qui est faite). Encore faut-il que j'aie les mêmes classes ! (et que le programme ne change pas.... oups, réforme du lycée l'année prochaine!).
Mais, en vérité, c'est un aspect du travail qui me plait énormément : j'ai appris toute l'année de nouvelles choses en créant mes cours. C'était un peu mon revenu intellectuel. Quant à mon revenu financier... je l'aborde dans le dernier article de ce triptyque monsieur le professeur.