Faire un métier utile. Intéressant bien sûr, mais surtout auquel je crois. Tel est mon but. Je ne suis pas toujours un grand défenseur de la valeur travail, trop omniprésente à mon goût dans notre société. Mais force est de constater qu'une partie de notre vie tourne autour de notre métier. Et je plains énormément celles et ceux qui n'aiment pas leur job. A raison de 35 heures par semaine, ça fait long à attendre le week-end.
C'est d'ailleurs l'une des premières réponses à ma question : l'école doit certes préparer à un métier, à une vie professionnelle, mais elle doit surtout permettre aux élèves de découvrir ce qu'ils aiment, et, de cette façon, qui ils sont. Pas une mince affaire ! Ça passe par un véritable accompagnement personnalisé de notre part (nous, le personnel encadrant), avec beaucoup d'écoute et quelques conseils. Une attention possible quand on prend les élèves à part ou en petit groupe. C'est plus difficile dans une classe de 35 élèves. Au lycée, ça passe par les matières traditionnelles, certes, mais aussi par l'extérieur. Organiser des sorties scolaires pour voir autre chose que les salles de classe, faire intervenir des professionnels devant la classe... pas toujours facile à inclure dans le sacro-saint programme (surtout en math!), mais c'est parfois faisable. Exemple récent : cours de 1ère, consacré à l'aménagement du territoire, en géographie. En plus de la sortie en ville pour observer son aménagement (avec rencontre d'un guide), j'ai invité un copain d'une agence d'urbanisme. Il raconte son parcours, ses études et son métier. Il amène des cartes, fait travailler les élèves à construire la ville de demain. De quoi donner des idées, qui sait...
L'école c'est aussi les copains et les copines. L'école doit permettre les contacts, les mélanges, à travailler en groupe avec des élèves parfois différents de soi. Si je ne suis pas favorable à l'école privée, c'est qu'elle instaure pour moi une école à deux vitesses, avec le risque, trop souvent observé, d'une sélection des bons élèves au détriment des moins bons, laissés au public. La situation n'est pas aussi critique, mais c'est peut-être l'un des plus gros points à améliorer pour l'éducation nationale. Il faut dans nos écoles des enfants riches et des enfants pauvres, des Français et des enfants d'immigrés, des garçons et des filles, des enfants doués pour les études et d'autres qui le sont un peu moins. Plus facile à dire qu'à faire, je sais (ah le débat sur la carte scolaire...). Mais ce mélange permettrait aux gamins un peu plus favorisés (de par leur situation sociale ou leur niveau scolaire) de mieux comprendre les difficultés des autres enfants, d'y être toutefois confrontés. Le mélange se fait naturellement dans la cour de récré, il peut également se faire lors de travail en binôme ou en groupe dans la classe. L'idée : apprendre à côtoyer et à travailler avec des gens un peu différents de nous, que l'on n'apprécie d'ailleurs pas toujours, car c'est une situation que l'on rencontre dans la vie. Je pense que ça permettrait d'éviter beaucoup d'incompréhension dans le monde des adultes (oui, je crois encore au monde des Bisounours!).
L'esprit critique. Je ne le fais pas encore, mais j'y pense parfois : donner un faux document par chapitre, ou quelque chose de totalement loufoque. Un texte qui évoquerait les voitures et les fusées au Moyen-Age, ou expliquant que la Tunisie est la 1ère puissance mondiale. La source serait bizarre, et les élèves apprendraient ainsi, petit à petit, à se méfier de ce qu'ils lisent ou entendent. Aussi, je suis prof, mais je ne prétends pas détenir la vérité. Je veux leur montrer qu'il existe plusieurs vérités, beaucoup de nuances et des débats. Nous ne sommes pas d'accord au final ? C'est pas grave, on respecte l'avis de l'autre, même si on garde le sien. Mes élèves sont les citoyens de demain. Ils doivent être capables, par eux-mêmes, de décerner le faux du vrai, ils doivent être capables de débattre d'un sujet avec des arguments, et de déceler les intox et les fameuses « fake news ». Ça a toujours été important, mais Internet multiplie cette nécessité. Soyez critique, soyez méfiant, vérifiez par vous-même, et, au final, pensez par vous même.
Rêver. Non, je ne veux pas que mes élèves rêvassent en classe. Je veux qu'ils rêvent en grand, qu'ils rêvent de l'impossible parfois, et qu'ils se donnent les moyens d'y arriver. Vivre ses rêves. Peut-être l'un de mes plus grands slogans. Alors je raconte parfois ma vie, notamment lors d'un cours spécial intitulé « qui suis-je ? ». Égocentrique le prof ? Peut-être. Mais, à la base, ce cours était mon cours de secours l'année dernière, quand je n'avais rien de prêt. Un cours joker, à n'utiliser qu'une fois ! Et je prends l'exemple d'un gamin comme moi, à leur âge, fils d'ouvrier, devenu en l'espace de quelques années journaliste, voyageur, docteur, consultant du ministère de la défense et prof. J'insiste beaucoup sur les voyages, qu'on me disait impossibles (tour de France avec 1€ par jour, tour du monde...). Si j'ai réussi à vivre mes rêves, alors que rien ne m'y prédestinait, pourquoi pas eux ? J'ai peut-être un-e futur-e président-e quelque part dans ma classe, un-e prix Nobel de littérature, un-e artiste de génie ou un-e mère ou père de famille qui aimera plus que tout ses enfants et sera très heureux ainsi. Qu'importe. Rien n'est impossible, vous avez toute une vie pour y arriver.