20 avril 2020 1 20 /04 /avril /2020 12:10

On dit souvent qu’il existait trois personnes essentielles dans la vie d’un village : le maire, le curé, l’instituteur. Vous allez voir que les trois sont parfois reliés ! Et, comme souvent à Tilques, c’est une belle histoire de famille !

 

J’ai décidé de commencer mes recherches à la fin de la période napoléonienne, avec Pierre Lurette, membre de l’université et adjoint à la mairie en 1812, qui est aussi l’instituteur entre 1814 et 1821. Il passe donc de l’Empire de Napoléon à la monarchie de Louis XVIII, dans une période très mouvementée de l’histoire de France. J’ai assez peu d’informations sur cette période à Tilques, je sais toutefois qu’il est remplacé par… son cousin, Auguste Caron ! A priori il prend sa fonction sous Charles X, en 1827, et il est recensé instituteur entre 1831 et 1862 ! Autant vous dire qu’il a dû en voir grandir des Tilquois, surtout vu les conditions de travail : en 1847 il est à la tête d’une « école de 102 élèves des deux sexes, dont quarante sont instruits gratuitement »[1]. Nous sommes alors au milieu du XIXème siècle, sous la monarchie de Louis-Philippe, et les conditions de travail sont un peu différentes d’aujourd’hui !

 

Son successeur, Augustin Leullieux, est sans aucun doute LE personnage important de ce chapitre. Il est instituteur suppléant en 1862, le suppléant d’Auguste Caron donc, et il se marie avec… Marie Caron. A nouveau, ça reste en famille : Augustin Leullieux est le beau-fils de son prédécesseur (ils travaillent ensemble l’année du mariage).

Augustin Leullieux débute sa carrière sous l’Empire de Napoléon III, et la finit sous la IIIème République. Entre-temps, il a connu la défaite française face à la Prusse en 1870, la perte de l’Alsace-Lorraine, la mise en place d’une République dominée par… les monarchistes, puis son enracinement. Son rôle d’instituteur est essentiel, c’est le pilier de la politique des députés radicaux : alors que l’école n’est pas gratuite, ni obligatoire au début de sa carrière elle le devient avec la mise en place des lois Ferry : gratuité de l’enseignement primaire par la loi du 16 juin 1881, enseignement obligatoire et laïcité de l’enseignement le 28 mars 1882.

Augustin Leullieux s’installe aussi dans une nouvelle école… un don à la commune fait par les filles de Maximilien Legrand le 2 octobre 1874. Comme on le remarque, Adolphe Legrand est le maire à ce moment-là, et ce n’est pas qu’une école : c’est aussi la mairie.

Tilques, ses instituteurs.trices

Augustin Leullieux reste longtemps : plus de 30 ans ! Il voit passer de nombreux adjoints et suppléants. Ainsi, en l’espace de trois ans (1883-86) : M. Cordier part en 1883 pour Boulogne, M. Fournier arrive de la même ville et le remplace, M. Cressent arrive de Saint-Pol à l’automne, quand M. Pouchain part à Loos, M. Fermentel part en 1884 pour Carvin quand M. Gouble arrive du même endroit ; ce même M. Gouble part deux ans plus tard pour Thiembronne, remplacé par M. Delevaque, en provenance de Givenchy-en-Gohelle. C’est que l’instituteur adjoint ou suppléant est un travailleur précaire, déplacé au gré des envies d’une académie où le réseau est déjà très important.

En 1891, Augustin Leullieux est toujours recensé instituteur, avec Arthur Lefebvre en adjoint. Le 23 février 1893, alors qu’Alexandre Ribot préside le Conseil des Ministres, on dit de lui qu’il est en congé (pré-retraite ? il a 50 ans), et en février 1894 il devient instituteur honoraire.

Chose sans doute assez rare pour l’époque, on bénéficie d’une photo de classe ! A noter les quelques enfants qui ont la main dans la veste, pose très napoléonienne !

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 65.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 65.

L’installation dans la nouvelle école-mairie a dû donner des idées à Augustin Leullieux, puisqu’il est ensuite le maire du village (en 1900 et de 1902 à 1912).

 

En 1886, dans la presse, on précise quelque chose à son propos : il est à la tête de l’école publique laïque de Tilques. Pourquoi le préciser ? C’est qu’à la même époque il y a une école privée, tenue par… des religieuses !

Je situe leur arrivée au milieu du XIXème siècle, car elles ne sont pas présentes en 1846 et je les trouve sur le recensement de 1851 : Ortense Bocquet et Constantine Lehercke sont religieuses-institutrices rue des Processions. Lors des recensements suivants on parle toujours du chemin T, l’actuelle impasse T, où se situe leur école mais aussi leur domicile. Plusieurs se succèdent à un rythme rapide : Célestine Lepine est présente entre 1856 et 1861, Appoline Varlet en 1861, Augustine Dormart entre 1871 et 1876, Léontine Maniez entre 1872 et 1876, Joséphine Lemaire et Elise Dumont en 1881.

On précise parfois que ce sont des religieuses de la Sainte Famille, une congrégation féminine enseignante créée en 1816 dans l’Aveyron et qui reçoit l’approbation pontificale en 1875.

La plus connue à Tilques est Madame Sœur Bellet, Madeleine de son prénom, qui est institutrice privée entre 1890 et 1921. Léonie Rousselle est son adjointe en 1906. Je n’en trouve plus la trace en 1926.

L’école des sœurs en 1907.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 64.

L’école des sœurs en 1907. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 64.

Quelque chose frappe sur cette photo : on ne voit quasiment que des filles. Est-ce que les sœurs ne sont que des institutrices pour les filles ? En fait non, car je dispose d’une autre photo, datant de 1915, où on observe la présence de garçons. Pour se rendre dans l’école, on passe alors par l’ancien chemin Larivière.

L’école des Sœurs en 1915.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

L’école des Sœurs en 1915. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

Dans l’école publique, Augustin Leullieux est remplacé en 1893 par Edouard Dauthuille, en provenance de Magnicourt-en-Comté. Ce n’est pas un jeune, puisqu’il est le doyen d’âge des instituteurs du canton en 1899. Il est encore présent en 1906 (et doit partir à la retraite autour de cette date). Avec lui, je retrouve M. Deneux en tant que titulaire-adjoint : il arrive de la fosse n°1 de Bruay en octobre 1894 (c’est la date de la rentrée, l’année scolaire finit au 14 juillet… à croire que c’est calqué sur les moissons !) en remplacement de M. Lefebvre parti à Rollez-Verchocq. Mr Dauthuille est accompagné de M. Capet entre 1895 et 1904 (il arrive de Calais, devient titulaire en 1899 et part pour Bellebrune), et d’Hector Seigre en 1906.

En 1897, petite information intéressante : « le musée scolaire de l’école de garçons a reçu les dons suivants : […] les matières premières servant à la fabrication du savon des Princes du Congo, […] des échantillons de cacaos, sucre et vanille, entrant dans la fabrication de leurs chocolats »[2]. Intéressant car l’idée d’un musée scolaire est plutôt sympa, et que cela confirme donc qu’il existe une école de garçons. Et qui dit école de garçons dit école de filles…

Bibliothèque d’Agglomération du Pays de Saint-Omer, 40 Fi 2423.

Bibliothèque d’Agglomération du Pays de Saint-Omer, 40 Fi 2423.

L’image ci-dessus est datée de 1907. L’école des filles (« le gîte » comme on l’appelle encore parfois aujourd’hui) est toute récente : c’est Agénor Taffin de Tilques qui vend ce terrain du Brunevert à la mairie pour la construction d’une école de filles début 1906[3].

Jusque-là, je n’ai pas trouvé d’institutrice publique (aucune sur le recensement de 1906). A l’automne 1910, je vois Melle Bouchez et l’année suivante Mme Leclercq. Les deux restent une année (la seconde part pour Blendecques). Ce sont les arrivées de leurs remplaçantes, Berthe Cavry en 1911 et, en provenance de Seninghem, de Marie Grare en 1912, qui vont donner au village leurs « vraies » institutrices, de celles qui durent et qui marquent une génération complète. La première est encore là en 1921, la seconde est présente en 1932 ! Elle côtoie en 1926 Henriette Février et en 1932 Melle Grege. Celle-ci est toujours là en 1945, et on se souvient qu’elle arrivait de Moulle avec un grand vélo !

L’école des filles en 1932. A gauche Mme Grare, à droite Melle Grege.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 63.

L’école des filles en 1932. A gauche Mme Grare, à droite Melle Grege. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 63.

Dans le même temps, quelques mètres plus loin, les garçons rencontrent Aristide Pette, qui sera présent entre 1911 et 1926 (il est le directeur à cette date). Avec lui M. Bernard, instituteur adjoint au printemps 1912 en provenance de Lens, Léon Huyart en 1913, puis Paul Souillez. En 1931, c’est Gustave Défossez qui est recensé comme l’instituteur.

Le bâtiment n’a pas tant changé que ça : des volets habillent les fenêtres, quelques arbres et plantes supplémentaires, une cour fermée bien sûr et, tout en haut du bâtiment, peut-être une cloche ?

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 16.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 16.

Au tournant de la guerre, le directeur est Mr Merlier. Il est déjà présent en 1936, certains Tilquois ont encore aujourd’hui les souvenirs intacts : « j’écrivais de la main gauche, alors il fallait que je montre mes doigts et paf, un coup de règle ! »[4]. Anecdote amusante, on dit de lui qu’il était « très bien » avec la directrice de l’école des filles, Mme Belval ! Elle aussi est déjà présente en 1936.

L’école des filles en 1938-39, avec Mme Belval.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

L’école des filles en 1938-39, avec Mme Belval. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

Un autre instituteur présent dans les années 1940 c’est Paul Barrère. Il est fait prisonnier et passe plusieurs années en stalag. Apparemment il a été poussé vers la sortie au début des années 1950. Il côtoie quelques années Monsieur et Madame Gariniaux, arrivés en 1950.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Ainsi, Monsieur Gariniaux est le directeur de l’école des garçons, Paul Barrère est son adjoint, quand Madame Gariniaux est la directrice de l’école des filles, avec Régina Obaton-Baude en suppléante en octobre 1952. Cette dernière s’occupe des filles du primaires et du CP mixte : « on était suppléant 5 ans, après on avait la chance d’être titulaire. Moi je n’ai fait qu’une école. Un adjoint de monsieur Hannotel, M. Balligant a fait 17 postes avant de le devenir »[5]. Madame Obaton habite dans le gîte de nombreuses années (ci-dessous une photo de 1957).

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Après le départ à la retraite de Monsieur Gariniaux (vers 1964-5), c’est l’arrivée de Monsieur Sauvage, et, rapidement de Monsieur Ricard (un an), puis de Monsieur Hanotel (vers 1970) que l’on voit paraître avec une 4L charleston. Chez les filles, Madame Gariniaux prend sa retraite en 1967, alors qu’une classe est supprimée. Madame Obaton récupère alors ses classes (un niveau d’âge fait ainsi toute sa scolarité avec elle ![6]). Au milieu de la décennie 1970, avec la chute des effectifs, une seconde classe est supprimée (c’est la fin du baby-boom !). Madame Obaton reprend la section enfantine et le CP (ce sera encore ses niveaux en 1984, lors de son départ en retraite) quand Monsieur Hanotel prend les deux autres classes en mélangeant les filles et les garçons : c’est le début de la gémination.

 

La gémination. Voilà un mot que j’ai appris pendant cette recherche : c’est le fait de mélanger les filles et les garçons à l’école. Pour moi, cela me semble logique. Pour la génération de mes parents c’était tout nouveau… puisque ce sont eux qui ont connu ce changement !

Pourtant, en 1862, il y avait environ 25% d’écoles mixtes lorsque c’était la seule solution pour scolariser les filles. Officiellement, la cour de récréation était… non-mixte, avec une claire-voie pour séparer les enfants ! En 1886 il est précisé que la mixité s’applique en-dessous de 35 élèves. Pourquoi ne pas géminer ? L’objectif est d’éviter les trop nombreux échanges entre filles et garçons, éduqués très différemment au XIXème siècle, mais aussi d’éviter tout risque de « promiscuité entre instituteurs et élèves filles, particulièrement lors des récréations »[7]. Hum.

Pour Tilques une disposition particulière existe, elle date de 1874 : « la famille Legrand a fait don de l’école à condition qu’il n’y ait pas de gémination » [8]. Et cette disposition est encore bien en tête dans les années 1950, alors… qu’André Legrand est le maire de la commune ! La construction de l’école des filles en 1906, 100 mètres plus loin, facilite grandement cette non-gémination.

Pour les élèves, la situation paraît normale, et « quand on avait des contacts c’était l’évènement ! »[9]. En 1972, l’école est encore non-géminée.

Il faut attendre 1965 au niveau national pour que la mixité devienne le « régime normal de l’enseignement primaire » pour les écoles nouvellement construites, et 1976 pour tous les degrés d’éducation (loi Haby). A Tilques, il faut une délibération de la municipalité pour passer outre les vœux de la famille Legrand !

 

Concernant mes professeurs, j’ai débuté en primaire avec Mme Guillemant-Bonnet en maternelle (arrivée en 1988, part à la retraite en 2011), puis Mme Baudelle-Mametz ma grande section (elle arrive en 1990 et part en 1999). Pour mon CP-CE1-CE2 c’est avec Mme Blanquart-Bruge. Elle arrive en 1985, en remplacement de Melle Delton (restée une seule année), et s’occupe de la petite section jusqu’au… CE1 (Mme Hanotel vient l’aider en plus de gérer la cantine) ! C’est qu’il n’y a que deux classes à ce moment-là.  Avec la construction du lotissement les inscriptions décuplent et deux nouvelles classes s’ouvriront. Mme Bruge part du village en 2005. J’ai terminé ma période scolaire tilquoise avec Mr Hanotel en CM1-CM2, en 1998. Il partira à la retraite l’année suivante.

Tilques, ses instituteurs.trices

Enfin, pour les années 2000 :

- je retrouve Mme Hennon au CP à partir de 2002, puis Mme Bellivier à partir de 2012 jusqu’en 2017 (qui récupère CP-CE1-CE2 après la perte de la 4ème classe), remplacé par Mr Hébert (de grande section à CE1). Quant à Mme Hennon elle récupère les maternelles après le départ de Mme Guillemant jusqu’en 2014, c’est aujourd’hui Mme Duisant.

- Mme Bodart reprend les CE1-CE2 en 2005 avant Mme Carpentier (2008-2009) puis Mme Rufin-Severac (2011-2015).

- Pour les « plus grands », après Mr Hanotel ça bouge rapidement : Mme Helleboid-Jumelle le remplace une année puis Mme Castelain avant l’arrivée de Mme Martelle (présente au moins de 2002 et 2007), puis Mme Forget (2009-10), Mme Jeu (2010-11), Sophie Ghys (2011-2016), Mme Jeunot et Sylvia Damie (depuis 2017, en charge des CE2 au CM2).

Ça défile ! (on est loin des 30 ans d’Augustin Leullieux !) Mais il n’y a pas à dire, ils continuent de marquer le village !

 

[1] Le Mémorial artésien, 2 janvier 1847.

[2] Le Mémorial artésien, 20 juillet 1897.

[3] Le mémorial artésien, 9 avril 1906.

[4] Interview Daniel Bouton, 28 février 2020.

[5] Interview Régina Obaton, 17 avril 2020.

[6] Interview Chantal Bédague, 20 avril 2020.

[7] VERDET Anne, Quand l’école séparait les filles et les garçons à la récré, Theconversation.com, 4 octobre 2016.

[8] Interview Régina Obaton, 17 avril 2020.

[9] Interview Chantal Bédague, 20 avril 2020.

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