La route de la Soie me fascine. Je rêve de l'emprunter depuis de nombreuses années, de parcourir l'Iran et les pays d'Asie centrale en suivant les traces de Marco Polo et des célèbres caravanes ramenant les épices et la porcelaine de contrées tellement lointaines qu'elles étaient devenues des mythes. Cette route, je l'ai rencontrée à ses débuts, à Xian, en Chine. Mais aussi à sa fin, Constantinople/Istanbul étant la principale porte d'arrivée pour les Européens. Les haltes caravanières sont nombreuses en Turquie, les fameux caravansérails. Et il y a aussi parfois des villes qui portent encore la trace de cette lointaine époque : direction Safranbolu.
La ville doit son nom à un crocus, le crocus sativus, petite fleur qui fleurit 20 jours par an, et dont la récolte, à la main, permet d'obtenir l'épice la plus chère du monde. Il faut dire qu'elle est un peu avare : il faut 150 000 fleurs pour obtenir un kilo de safran ! Ce fut notre petit coup de cœur. Une ville à taille humaine (50 000 hab), avec un centre agréable et un peu touristique, juste ce qu'il faut. Des vieilles maisons ottomanes, des loukoums délicieux et du calme dans les petites rues piétonnes du cœur de ville.
Nous en profitons pour faire un crochet jusqu'à la mer Noire, la quatrième mer du voyage. Les routes sont montagneuses, nous traversons la chaîne Pontique, dépassant les Renault 9 et 12, véritables stars en Turquie, mais un peu fatiguées dans les montées. Les paysages, où quelques nuages se mêlent aux forêts, font presque vosgiens.
Amasra est une station balnéaire prisée des Turcs des environs. Malheureusement, comme souvent là-bas, les plages sont habitées par des rangées de chaises-longues (et pourtant j'aime la chaise longue!), avec, juste derrière, des enceintes crachant de la musique turque. Aimant bien le calme et le bruit de l'eau, la sensation est mitigée. Le bord de mer est pourtant très joli.
Enfin, nous bouclons ce périple de 4400 km (!) par la grande, la belle, la fascinante Istanbul. 15 millions d'habitants (1 million en 1960!), une histoire millénaire entre Byzance et Constantinople, où se croisent Alexandre le Grand, Septime Sévère, Constantin, Justinien, les croisés, Mehmet II et Soliman le Magnifique pour arriver à Mustafa Kemal et Erdogan. Cette ville, je l'avais découverte en 2009, le temps d'une journée, et j'étais tombé sous son charme. Elle est toujours fascinante, sans doute un peu plus touristifiée (on entendait parler français à tous les coins de rue!), et déjà différente. Il y a 13 ans, je me souviens d'une circulation débridée. Aujourd'hui, les rues piétonnes sont très nombreuses et nous n'avons pas vu d'embouteillages ! Il y a 13 ans, Sainte-Sophie était un musée assez cher ; aujourd'hui c'est une mosquée gratuite où Marie est recouverte d'un voile blanc. Erdogan a fait plaisir aux plus conservateurs de son parti, dans un pays où le kémalisme laïc d'Atatürc est pourtant omniprésent ! Deux tunnels passent aujourd'hui sous le détroit du Bosphore quand il n'y en avait pas en 2009 ! La ville bouge, vit, impose son dynamisme au pays et à tout le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Istanbul est une métropole mondiale, avec quelques-uns des fléaux habituels (coucou la pollution et les SDF). Pour nous, ce fut une dernière traversée entre Europe et Asie, des déambulations dans les bazars où la foule rappelle la braderie de Lille (mais quotidienne!), des appels à la prière dans les oreilles, parfois perturbés par le bruit des mouettes. Négocier les prix, refuser 50 sollicitations, entrer dans Topkapi, l'ancien palais des sultans, marcher du côté de Galata. 15 à 20 kilomètres tous les jours, sans broncher : les enfants sont d'une facilité déconcertante. Et nous, heureux, vivants, chanceux.
Le retour en France est un peu chaotique. Le premier avion est en retard, nous arrivons à Belgrade tandis que notre vol pour Paris s'est déjà fait la malle. Nous nous retrouvons bloqués dans la capitale serbe, avec des informations peu nombreuses : un vol demain, il y a de la place ? « Attendez, je reviens vers vous ». On dort où ? « Attendez, je reviens vers vous ». Les enfants ont faim. « Attendez, je reviens vers vous ». Deux heures, assis à côté d'un guichet, c'est long dans ces moments-là. Finalement, nous resterons la nuit dans un hôtel de Belgrade, avant un réveil aux aurores (3h30 les cochons!) pour pouvoir rentrer. Depuis, j'essaie de me faire rembourser les tickets de la SNCF pris à la dernière minute (oh les prix de cochons ! Et ils annoncent 900 millions de bénéfices le lendemain ces salauds-là!).
Le bilan ? Une vraie surprise. Une Turquie immensément riche (notamment en lieux archéologiques) et diversifiée (paysages méditerranéens, semi-arides, forestiers, ruraux et verts), avec des habitants très souriants, régulièrement prêts à nous dépanner. En 3 semaines, nous n'avons vu que la moitié ouest, et sans vraiment chômer, ce qui laisse entrevoir l'immensité du pays.
PS : je ne me suis pas fait brosser les sandales.