Francisco de Goya se situe à la limite historique de la peinture que j’apprécie. Le romantisme espagnol, la fin du XVIIIème et le début du XIXème siècle. L’art abstrait ou le cubisme sont encore ignorés, totalement absents. La peinture a encore une signification, un message compréhensible pour l’ensemble des spectateurs vis-à-vis de la toile en face d’eux.
Tout d’abord je commence avec ce dytique de La Maja vêtue et de La Maja nue. Toutes les deux sont exposées au musée du Prado, et ces deux sœurs jumelles attirent forcément le regard. Un double scandale dans le temps ! La peinture fut dans un premier temps cachée par l’Inquisition (pour obscénité), du fait de la pleine nudité du personnage. Puis les choses ont évolué et la Maja nue fut représentée sur un timbre en 1927, ce qui provoqua un nouveau scandale (le premier nu de la philatélie !).
97 cm x 190 cm. Huile sur toile. 1800-3. Musée du Prado, Madrid.
J’ai découvert Goya au palais des Beaux-Arts de Lille. Le titre du tableau est déjà magnifique : Les vieilles, également appelé le Temps. Le temps qui passe, le temps qui a déjà passé pour ces vieilles dames ressemblant à des squelettes. La mort qui arrive, on la sent dans leur visage, on la voit planer au-dessus d’elles. Je me souviens être resté assis pendant de longues minutes en face de ce tableau, subjugué que j’étais par tant de réalisme et par ce message compréhensible de tous : peu importe vos belles robes, peu importe votre volonté de vouloir rester jeunes et coquettes (présence du miroir), la mort finira toujours par arriver.
180 cm x 120 cm. Huile sur toile. 1810-12. Musée des Beaux-Arts, Lille.
Quelques années plus tard, j’ai redécouvert Goya par son chef d’œuvre, son tableau le plus connu, le Tres de Mayo.
266 cm x 345 cm. Huile sur toile. 1814. Musée du Prado, Madrid.
C’était au musée du Prado, et je me souviens de l’effet extraordinaire qu’eut sur moi ce tableau. Une telle intensité dans le regard du centre, l’art de la couleur et de la mise en scène… tout me ramène vers ce visage sensationnel, dont le mélange de peur et de fierté m’emporte littéralement. La position des bras, à la manière du Christ, ajoute un peu de spiritualité à la scène. En l’espace de quelques secondes, ce tableau est devenu mon préféré. Un coup de foudre devant un coup de fusil. Observer les troupes napoléoniennes, qui ne sont que des armes sans visages. Et regarder la pureté des couleurs, le blanc, le jaune, et ce sang, déjà versé, ce sang, qui s’apprête à couler à nouveau. Une œuvre politique majeure. Un exemple pour un certain Picasso.
Je pourrais évoquer le Dos de Mayo. Ou des œuvres un peu plus officielles. Mais je vais rester sur sa période noire, celle que je préfère. Le dernier tableau est Saturne dévorant un de ses fils. Je l’ai également découvert au musée du Prado et je suis resté scotché par cette horreur. C’est une représentation de la mythologie grecque (Saturne pour Chronos chez les Romains) : Saturne veut éviter la prédiction qu’il sera détrôné par l’un de ses fils, il dévore chacun d’eux à leur naissance. Le regard effrayé de Saturne alors qu’il a déjà entamé les deux bras du nouveau-né pourrait presque me faire gerber. Mais c’est là le talent du peintre : avec un regard il provoque chez moi un sentiment.
146 cm x 83 cm. Huile sur toile. 1819-23. Musée du Prado, Madrid.