Il y a plusieurs jours de cela, alors que je vivais encore à Nairobi, je me suis retrouvé dans une situation assez délicate. Enfermé devant chez moi. Pendant plus de trois heures.
Pour comprendre cette situation, il faut savoir que je venais à Nairobi pour dix jours. J'habite chez une kényane, Beryl, qui vit avec sa sœur, un Russe et un autre Français, Colas, qui bosse à l'Institut où j'étudie. Le premier jour, alors que je demande pour les clefs, Beryl me dit qu'elle m'en donnera dans deux jours. Problème, je ne les ai pas eues. En fait, un double des clefs avait été emporté par des voleurs qui sont venus dans l'appartement plusieurs semaines avant mon arrivée. Ils n'ont pas changé les serrures, ce qui me semblait être la moindre des choses, mais bon, passons.
En ce jeudi matin, je demande donc à Beryl si elle est présente aujourd'hui. « Oui, oui, je ne bouge pas aujourd'hui ». Ça tombe plutôt bien, car j'ai pas mal de choses à faire avant mon départ pour la Tanzanie (échanger de l'argent, laver mes fringues...).
Quand je reviens, aux alentours de 14h, je trouve la porte close. Je sonne. J'attends. Je re-sonne. J'attends. Je frappe. J'attends. Je sonne et je frappe. J'attends. J'attends en frappant et en sonnant comme un fou. J'attends. Je réfléchis, me dis que c'est dommage d'avoir justement oublié ce matin mon téléphone dans ma chambre... Et puis je prends mon ordinateur. Le wifi arrive jusqu'à la porte, et je contacte la sœur de Beryl, qui est en ligne. Elle me dit qu'elle contacte Beryl et que celle-ci est sur la route du retour. Les autres ne sont pas là. Je me décide donc à l'attendre. Longtemps. Très longtemps. Je m'assois au sol. Puis je m'allonge. Je somnole. Je m'endors. Je suis réveillé par les voisins, des petits Indiens, qui me regardent avec un air quelque peu méfiant, l'air de se dire : « mais c'est qui ce type qui dort par terre ? ». C'est moi. Leur mère a le regard inquisiteur, je me demande même si elle n'appelle pas le garde de l'entrée pour vérifier que j'habite bien ici.
Vous savez, c'est long trois heures. Ou quatre, je ne sais plus. Surtout quand on n'a rien à faire. Si ce n'est d'attendre et de réfléchir. Je tente de faire Mac Gayver. Je sors mon coupe ongle et tente d'ouvrir la porte. Ça peut paraître ridicule, mais ça m'a déjà sauvé une fois en Angleterre ! Cependant la tentative reste vaine, tout comme le coup de la carte bancaire. Je pense à défoncer la porte. Mais avec mon physique de rugbyman (ou pas), ça serait compliqué. Et puis de toute façon je le prends avec philosophie : si je dois être là c'est qu'il y a une raison. Colas me sauve en fin d'après-midi.
Une heure plus tard, on frappe à ma porte. Beryl, qui vient pour s'excuser. Et je lui dis tout de suite, et très honnêtement, que ce n'est pas grave. Que ce n'est pas sa faute. Tout va bien, no worries. Je sais que tu as fait de ton mieux pour revenir au plus vite.
Pardonner. Pour mieux oublier. C'est quelque chose que j'ai appris récemment, pendant mon périple asiatique. Et que ce fut important. L'une de mes plus belles victoires. On en veut toujours à quelqu'un, de sa famille, un ou une ex, un(e) ami(e) ou une autre personne qui a pu vous faire du mal, un jour. Alors on est en colère, alors on rumine. On se fait encore plus de mal de cette façon. On revit les instants, on revit les mots. On nous a fait du mal alors on pense vengeance, on tente de faire du mal, on parle en mal de cette personne. Mais le mal reste là. Non, vraiment, la meilleure façon de se débarrasser de ce mal fut, pour moi, de pardonner. « Le pardon est une option du cœur qui va contre l'instinct spontané de rendre le mal pour le mal ». (Jean-Paul II)
Récemment j'ai discuté avec un autre garçon, à peine plus jeune que moi. Il m'évoquait ses problèmes familiaux et répéta à plusieurs reprises : « je ne pourrais pas pardonner ». Au fond de moi, j'avais envie de lui dire qui si, un jour, tu y arriveras. En tout cas, c'est tout ce que je lui souhaite, car son absence de pardon l'empêche d'oublier cette partie de sa vie. Car pardonner, c'est déjà oublier.
Bien sûr, le pardon est un travail sur soi. J'imagine que c'est parfois un travail qui peut être celui d'une éternité quand il faut vivre avec le meurtre de son enfant ou de tout autre proche. Quand il s'agit d'un crime sordide. Là, je n'ai pas de conseil à donner. Je comprends que pour certains le pardon soit impossible dans cette vie, sur cette Terre. Quand trop de mal a été fait. Cependant tout en comprenant cette attitude je ne l'encourage pas. Quand je vois que des pardons sont possibles en Afrique du Sud, au Rwanda ou après la seconde guerre mondiale, je me dis qu'aucun pardon n'est impossible
Il y a quelques semaines de cela, un fait divers s'est produit dans un village proche de chez moi. Une voiture. Deux victimes. Un crime, peut-être volontaire (le saura-t-on un jour?). Et puis le lot de commentaires. Quand ça se passe dans un petit village comme celui d'Eperlecques, c'est tout Saint-Omer qui s'exprime. Et j'ai lu, avec un avis extérieur (je ne connaissais ni les victimes, ni les accusés), ce qui se disait sur les blogs, dans les journaux, sur Facebook. J'ai été choqué plusieurs fois, par des commentaires qui insistaient pour que l'on tue les passagers de la voiture. Œil pour œil, dent pour dent. Plusieurs réclamaient même qu'on les pende par les couilles. Drôle d'idée (que l'on retrouve souvent pour les violeurs, mais rarement dans cette situation). Et au fond de moi je me demandais à quoi ça servirait ? La vengeance va-t-elle ramener ces deux frères à la vie ? A quoi cela servira-t-il, si ce n'est à créer d'autres mères éplorées ?
Je pensais déjà au chauffeur de la voiture. Pour lui ça doit être crime et châtiment. Il a tué, volontairement ou involontairement, deux mecs. J'imagine sa vie, ses pensées. Se regarder dans la glace et voir deux fantômes derrière lui. Pour toujours. S'endormir. Se réveiller. Être la raison des souffrances de toute une famille, de toute une communauté. Alors ce mec, innocent ou coupable, je le plains. Et quand la communauté lui aura pardonné (après peut-être x années de prison) il faudra se poser la question si lui, un jour, sera capable de se pardonner ce geste. Car le plus dur est de pardonner nos propres erreurs.
"Pardonne moi mes offenses, comme je pardonne à ceux qui m'ont offensés"