« Hiiiiii aaaaaaahhhhhh ». Ce cri résonne encore dans mes oreilles. Chaque après-midi, sous la voûte, il est là, à hurler son hiiii ahhh, je l'entends depuis les préfabriqués où la chaleur est intenable et vous pousse à somnoler. C'est un réveil. Roland est là. Qui est ce Roland ? Est-il encore en vie ? Aucune idée, mais son cri et son visage sont ici.
Il y a 17 ans, je passais mon bac. 17 ans, putain ! Du stress, j'en avais un peu. On sentait tous que c'était un moment important. Un rite de passage. Le bac, le permis, nos 18 ans, un triptyque qui allait signifier la liberté.
Quand je sors du collège de l'Esplanade, je suis content. Marre de certaines règles, marre de l'ambiance, une envie de voir autre chose. Et puis Ribot, c'est une réputation : un lycée où il fait bon vivre. Le jour de la rentrée, il y a l'appel, classe par classe, alors que nous sommes dans la grande cour. Pour moi, pas besoin d'attendre trop longtemps : la 2D2, avec quelques têtes connues : Camille, Angélique, Pauline, Vanessa et même Elsa, que je retrouve de l'école primaire. L'ambiance est d'entrée très bonne, et je me sens à ma place. Je travaille. Il faut dire que j'ai la pression : sur mon bulletin de fin de 3ème, on dit tout simplement que la transition au lycée risque d'être compliquée ! Alors je bûche un peu au premier trimestre, pour passer au-dessus de 12. Je n'ai pas une réelle marge de manœuvre et les lacunes héritées du collège plombent en partie ma moyenne (coucou les langues!). Le deuxième trimestre est déterminant : je travaille un peu plus encore. Et je passe au-dessus de 14. C'est bon, la transition est effectuée, je vais pouvoir travailler un peu moins et me reposer à nouveau en partie sur mes acquis !
Car le lycée c'est une motivation limitée pour les cours. Pour la première fois, on regarde les filles. Magalie, Aurore, Stéphanie, Rose... y'a pas à dire, nous sommes servis ! Du haut de nos 15 ans, connaissant déjà tout du monde, nous parlons avec une voix muante, presque mutante [oui, je fais des néologismes], pleine d'affirmation. L'année de seconde est sans conteste la plus belle : les fêtes s'enchaînent, et l'année se termine au mois de mai sous le soleil au jardin public quand les 1ères et Terminales se doivent de réviser ! Ah, les cons ! On danse au son de Satisfaction de Benny Benassi, Kyo est en haut des charts, mais je garde ma préférence pour le rap : The Eminem Show, Graver dans la roche de Sniper, Psy4 et bien sûr, toujours la FF.
« Alors, tu l'as emballé ? » Pas vraiment, non. Parler aux filles, traîner avec des filles, ça, c'est plutôt facile. En embrasser une, c'est plus compliqué, et ma timidité deviendra petit à petit une légende de rue (la « révillonite », maladie consistant pour un garçon à apprécier une fille, la fille est d'accord, et il ne se passe rien. Je m'en suis remis tardivement!)
Au-delà des filles, il y a toujours le football. L'événement de l'année, c'est le tournoi du lycée ! On crée une équipe, et c'est un immense plaisir si on tombe contre les pions ! Encore plus si on les massacre ! Un tournoi qui nous réussit moyennement, on élimine des favoris, et on se fait sortir au tour d'après. Le syndrome français au tennis : un exploit, puis l'élimination directe contre un plus petit ! Je reprends du plaisir à jouer à l'Essor, je recrute même les copains de ma classe (coucou Benjamin et Yann) et se forme aussi peu à peu un groupe qui traînera bientôt devant les escaliers du forum.
Le forum ? Le lieu où il faut être vu, le lieu où les couples se tiennent la main, le lieu où l'on s'insulte un peu. Pour la bagarre, direction la voûte, et ça devient politisé (coucou les Skinheads!).
Nous, on a notre salle : la 121. On y cause, on y bosse, on y fait des Jungle Speed et des belotes. Ambiance bon enfant, en témoigne cette photo. 2 secondes plus tard, le proviseur entre dans la salle. Fou rire.
La fin de la seconde est un peu dramatique : plus de 10 redoublants et réorientation. On dit au revoir à une partie du groupe, avec quelques larmes. Le lycée, c'est une sélection assez sévère au départ. Dommage, j'aimais la 2D2, et les batailles de neige de l'hiver sont gravées dans ma mémoire.
1ère. La classe explose en raison des spécialités. Je choisis 1ère ES, malgré le forcing de ma prof de chimie. Je découvre alors celui qui sera mon professeur préféré au lycée (on en a tous un) : Mr Carlier. Je le revois encore traversant la cour, lentement, très lentement, très très lentement. Il est aussi fan de foot, du RC Lens. A l'époque, j'ai un survêtement complet du PSG et une casquette iconique (et les filles passent leur temps à essayer de me la piquer!). Alors il ne me manque pas quand Paris perd. Et, à l'époque, il en faut du courage pour afficher les couleurs portées par Sammy Traoré et coachées par Guy Lacombe : défaite à domicile le 1er match contre Lorient avec un doublé de Fiorèse... Le 5 novembre 2006, Paris-Lens 1-3 (doublé de Daniel Cousin). Le lendemain, en classe, Mr Carlier s'assied, toujours lentement, ne dit pas un mot, et sort le journal L'Equipe, avec sa Une consacrée au match. Il met régulièrement le classement au tableau : à la fin des matchs aller, Lens est second, Paris est 16ème. Autant vous dire que c'est limite du harcèlement moral ! Les cinq défaites consécutives (Saint-Etienne, Sochaux, Sedan, Auxerre, Rennes... oui, que du lourd) manquent de me pousser au suicide alors que le club est 19ème. Heureusement, une victoire salvatrice à Bollaert me redonne le sourire. Beau joueur, j'achète l'Equipe, et je le pose sur le bureau de Mr Carlier.
En seconde et en première, je suis délégué. Je ne me souviens plus trop pourquoi j'ai postulé, mais je suis élu. Je vois l'envers du décor, les profs en conseil, les choix des compliments ou des félicitations (non, mais sérieusement, on s'en fout aujourd'hui en vérité!), et les blagues à l'encontre de certains élèves. A la fin de la première, je sens qu'on ne sert plus à grand chose, le bac fera juge de paix !
Le bac français, la SVT. Essayer d'avoir des points d'avance. 7 à l'écrit. 14 à l'oral, 13 en SVT. 8 points d'avance, ok, c'est pas fou, mais c'est mieux qu'avoir du retard.
En terminale, la classe est à nouveau bousculée, et hormis Yann et Benjamin, les autres disparaissent. Pas grave, c'est avec eux que je traîne. Mon groupe se recentre un peu plus encore sur l'ESSOR, et les soirées sont plus masculines. Certains commencent à avoir le permis, on parle de plus en plus de boîte de nuit au son de Bob Sinclar et de DHT (coucou le Té, Té, Téoria. Bon, en vérité ma première c'est les Jardins du Rosendael à Audruicq. On me proposera tout de suite de l'ecstasy). Mais ma vraie passion, c'est Football Manager. Les parties en réseaux existent désormais, et je passe mes soirées à faire des saisons avec le Werder de Brême ou même l'OM (on s'en fout, c'est qu'un jeu!). Alexandre et moi nous entraînons mutuellement, et j'ai le souvenir de réviser le bac en lisant mon cours devant une partie de FM et avec Roland Garros que Nadal commence à gagner cette année-là. Alexandre prendra l'option rattrapage, je pense que c'est un peu de ma faute (bon, la sienne aussi hein!).
Le jour des résultats du bac. Direction la voûte. Le lieu de grand passage. Je me souviens l'année précédente d'une fille en pleurs devant son admission, disant que « c'était les plus belles années de sa vie ». Je suis moins sentimental, je le décroche, j'ai une mention AB (et mes sœurs radotent depuis des années qu'elles en ont eu une meilleure ! Oui, mais combien de Champions League ?!? Les chiffres ne mentent pas Mesdames, et mon palmarès à FM parle pour moi !). Quelques-uns restent au lycée, pour le BTS. De mon côté, direction Arras en histoire (après une hésitation avec économie... je ne serai pas le même homme!).
Qu'est-ce que je retiens de ces trois années ? La salle de perm' dans la cantine, une cantine qui justement n'était pas fameuse. Les TPE, le truc où tu as 6 mois pour faire quelque chose, et où tu fais tout la dernière semaine. Notre sujet, « La mondialisation du football », nous tenait pourtant à cœur ! Je me souviens aussi de la fatigue. Le lycée, c'est des journées très longues, de 8h à 17h40 (pourquoi cet horaire chelou?!), et, en rentrant, les devoirs. Je m'endors encore avec Skyrock, Romano me fait toujours rire, et si je crois être un adulte, je reste un grand ado. La fête de fin d'année, avec les dunks des basketteurs et le hip hop m'impressionne bien. Et j'ai encore des frissons en repensant à cette fille chantant « Elle est d'ailleurs » de Pierre Bachelet. Mais ça, c'était l'année suivante... j'étais pourtant à la fac, mais celle-ci est fermée avec un mouvement social (le CPE !). Pas cours, du temps, et une copine, la première, au lycée. Ribot, je reviens !
[honnêtement, quand je revois le lycée aujourd'hui, je pense à vous]