Je n'étais pas vraiment surpris par cet appel. Je m'y attendais. J'avais postulé. Et c'est le DOM le plus demandeur en professeurs. Mais, c'est étrange, mon état d'esprit est chamboulé.
Depuis mon retour d'Asie, et après un intermède en Europe de l'Est, je n'ai pas bougé. Un peu à la surprise de mon entourage. Deux mois, au même endroit, est-ce donc possible ? Pourtant, j'avais le temps. Pourtant, j'avais l'argent. Que manquait-il ? L'envie, assurément. J'ai eu l'envie de retrouver une bulle, ma bulle. Ma famille. Mes amis. Mon environnement. Et je m'y suis assoupi. Quelques films, une série, des journaux, quelques livres, du sport, des soirées, un peu de tourisme régional. J'ai pris le temps. J'ai ralenti. Je n'étais plus dans le « faire », « faire à tout prix », « faire beaucoup », « faire vite », « faire tout le temps ». Les gens me demandent pourtant : « qu'est-ce que tu as fait de ta dernière semaine ? ». Je suis en peine pour répondre. Je réfléchis. Une petite chose, puis une autre. De la généalogie. Des recherches sur mon village. J'ai vu cette personne, ou celle-là. Je suis allé interviewer ma grand-mère. J'ai regardé les arbres à côté de chez moi. […] Non, ça je ne le dis pas. Et, pourtant, j'ai passé un peu de temps à le faire.
Je suis bercé. Je suis comme pendant mes grandes vacances du lycée, sauf que j'ai quinze ans de plus, et le permis de conduire. Je joue moins au foot (à mon grand regret) et moins à l'ordinateur (quoique j'aie installé un jeu pendant plusieurs semaines). Parfois j'allais me coucher en regrettant un peu ma journée, son utilisation. Mais, souvent, ce n'était pas le cas.
Cet appel, ce fut comme l'alarme de mon réveil. Quoi, déjà ? Mais j'ai l'impression de m'être à peine endormi que tu sonnes ?!!! Oui, septembre arrive : la rentrée a lieu dans 10 jours. C'est donc reparti, et je souhaite enseigner. Mais où, telle est la question. Je n'ai pas (encore!) passé les concours de l'enseignement (Capes et Agreg). C'est volontaire. Je n'ai pas voulu prendre le temps. Et les conséquences m'effraient toujours un peu : ce serait la fin de ma liberté géographique (et pas que). Ne pas avoir le concours me permet de postuler dans d'autres académies sans demander la permission. Il se trouve que j'ai postulé pour la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion. C'était, il y a peu, ce que je considérais comme mon plan A. Le plan B étant le Nord-Pas-de-Calais. Ce sont des postes de professeurs contractuels, ce que j'ai déjà fait l'année dernière pendant 4 mois (et ça m'a beaucoup plu). Certains s'inquiètent pour moi, que je ne trouve pas de poste... rassurez-vous, les besoins sont importants (je dirais même alarmants si vous êtes un parent d'élève, ou un citoyen français lambda!). De ce fait, j'étais serein. J'ai envoyé ma candidature il y a trois semaines. J'attendais le coup de fil.
Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane. Professeur dans un lycée. Temps plein. Contrat à l'année (1er septembre-31 août). Mon billet d'avion me serait remboursé. Je devrais bénéficier d'une prime d'installation. Mon salaire est majoré (c'est le cas dans tous les DOM, car le coût de la vie est plus élevé) : il serait d'environ 2400€ net (en sachant que vous bénéficiez de 40% d'abattement au moment de payer les impôts). [à titre informatif, il est d'environ 1700€ en métropole pour un prof contractuel]
C'était hier. Depuis ça tournicote un peu dans mon cerveau. J'ai questionné deux personnes qui connaissent la Guyane, avec des ressentis différents. Je me suis donné jusque lundi, le temps d'en parler un peu autour de moi, le temps d'en parler avec moi-même (et le temps de recevoir la copie de mon casier judiciaire !).
Ça se joue clairement entre partir et rester. C'est un peu l'histoire de ma vie. Je suis souvent parti. Trop, peut-être. Ça joue sur ma situation personnelle (et mon célibat). Ça joue sur mes investissements à moyen terme, que je ne réalise pas (entrer dans des associations par exemple, et autres). Et ça joue sur mon équilibre. Partir c'est se mettre un énorme coup de pied au cul. J'arrive quelque part, tout est nouveau, et je dois m'adapter. Quand je reviens, je dois me réadapter, ce qui est tout aussi difficile (voire plus). Rester, c'est être sur un bateau suivant le cours d'une rivière calme et connue. Partir, c'est prendre une pirogue et se lancer dans un fleuve démonté et inconnu, que je devrais dompter.
Am I too old for this shit ? Suis-je trop vieux pour ces conneries ? Je commence à me poser la question, ça doit être le cap des 30 ans. Je sais que le tic tac va me rattraper. Mes très bons copains se marient. Ou font des enfants. Ou les deux. Ça achète des appartements, des maisons. Bref, ça dit au revoir à une certaine idée de la jeunesse, celle que j'ai prolongée allègrement, et sans regret. Pour le moment.
[Article en travaux, ma réflexion va avancer ce week-end]