Le trajet Bujumbura-Arusha est une expédition. Par les airs, c'est toujours deux escales minimum, voire trois. Et puis vous me connaissez, je suis un peu radin. J'aime voir du pays. Alors ce sera par la route. Là, on m'a prévenu : ce sera deux jours de voyage. Motivé, je ne résiste pas.
Réveil 5h, le bus part à 6h. C'est un bus énorme pour la région, du genre de ceux que l'on prenait pour aller au collège, sièges confortables en prime. De surprise en surprise, je vois que je ne suis pas le seul muzungu du bus. Il y a trois Allemandes, et la plus jolie est assise à côté de moi.
Neuf heures de bus. Autant vous le dire tout de suite, la fenêtre est ma meilleure amie. Elle permet de m'évader des secousses, des coups de klaxon et du dvd de karaoké des années 90 qui tourne en boucle sur la télévision. Au rythme des 90's, j'observe les collines abimées du Burundi, les champs de bananiers, les habitants sur leur vélo. Ils emportent toujours mille choses sur celui-ci, et je me demande vraiment comment ils font pour garder l'équilibre. Dans les descentes, leur monture dévale à toute vitesse. Ils avalent la colline en deux temps, trois mouvements (de pédales), doublant les camions, faisant fi du danger et de l'état de la route. Je me demande bien à ce moment là quel est le taux de mortalité sur les routes burundaises. En contrebas, nous nous arrêtons parfois dans les villages. Là, c'est la course. Les vendeurs arrivent au sprint, et nous crient « soda, biscuit ! » à nos fenêtres. Je rêve de fruits, le pays est un producteur d'à peu près tout, et je me retrouve avec des biscuits chinois exécrables. Putain de mondialisation tout de même.
Le bus essaie tant bien que mal de remonter la colline. Le moteur gronde, Céline Dion chante à toute voix devant moi. Bref, un bon mix. De me fenêtre, je retrouve les cyclistes qui nous ont doublés il y a quelques minutes. Le poids des kilos de bananes se fait encore plus ressentir dans la montée, et c'est pied à terre que mon ami burundais remonte la colline. Parfois, quelques enfants qui traînent là se retrouvent embarqués dans la galère.
Les enfants vous marquent toujours en Afrique. Les enfants qui travaillent. Les enfants qui mendient. Les enfants souriants. Les enfants qui jouent. Depuis le bus, on les entend nous crier « muzungu, muzungu ! » ou « money, money ». Régulièrement, l'un de mes voisins jette des bouteilles en plastique dehors. Les enfants courent, se jettent dessus, se battent pour l'avoir. Si vous voulez voir un peu la misère, venez dans ce monde où une bouteille en plastique vide devient un trésor source de conflit.
Depuis ma fenêtre, je vois aussi les premiers paysages tanzaniens. On a perdu les collines, je retrouve la savane. J'espère toujours voir un lion au pied d'un acacia parasol. Les maisons de briques avec toit de tôles me semblent presque devenues un signe extérieur de richesse. A côté, la maison en bois ou pierre séchée, avec toit de paille me semble sortie toute droit de la comptine des 3 petits cochons.
Les animaux sont nombreux. Des ânes mangent les détritus du village. Deux bœufs tirent une charrette. Des chiens sauvages déambulent. Un éleveur tire sur la corde de sa chèvre pour éviter qu'elle ne se jette sous le bus. Beaucoup de bœufs arborent des cornes immenses me faisant penser à des défenses d'éléphants.
Finalement, ces neufs heures sont passées vite. Entre un regard à gauche et un regard à droite, une chanson de Des'Ree et un tube du roi de la pop', une sieste et une discussion avec ma voisine. Mais je suis loin d'être arrivé. Nous sommes à Kahama. Autant dire au milieu de rien, si ce n'est de la Tanzanie. C'est notre escale, le bus repart demain. Il est 16 heures, nous devons changer nos tickets de bus et trouver un hôtel. Je suis bien content de ne pas être seul. Je me retrouve avec mes 3 Allemandes à attendre un taxi. Celui-ci nous emmène à la station toute proche. Cet endroit est une certaine idée de l'enfer. Le bruit est infernal, entre cris locaux, coq hurlant la mort et moteur vrombissant. C'est une certaine idée de la pollution, entre gaz d'échappement, poussière et détritus en tout genre autour de nous. Nous sommes les seuls muzungus du coin, j'ai même l'impression que ça doit faire pas mal de temps qu'ils n'en ont pas vus. J'ai l'avantage d'être un garçon, et d'avoir 3 blondes avec moi. Les regards insistants sont portés sur elles, les discussions s'engagent avec elles. Pour un peu j'aurais l'impression d'être devenu noir. A un rythme très local (40 minutes) on obtient nos tickets.
L'hôtel mériterait un blog en soi. Les chambres sont impeccables (très Hello Kitty tout de même) pour un prix dérisoire. L'histoire commence vraiment au restaurant de l'hôtel. Voyez-vous, les Tanzaniens vous expliquent qu'ils parlent anglais. Un peu comme si votre bon oncle proclame qu'il parle italien après sa semaine à Capri. Les Tanzaniens parlent swahili et certains, dans les grandes villes, parlent anglais. Les autres font semblant. Ils répondent « oui, oui » à chacune de vos demandes, sans vraiment savoir exactement ce que l'on souhaite obtenir. C'est toujours une surprise. Je me retrouve en mode Chine. Les gestes ont repris la place des mots. Manger, boire, payer, c'est plutôt facile. Ça s'explique. On bruite les animaux. On montre sur la carte. Régulièrement en Afrique, j'ai eu le droit à des menus formidables. Énormément de choix, pas cher. Bon, il y a juste au moment de la commande un petit problème : je vais vous prendre ça. « On n'a pas ». Ah. Bon. Je vais vous prendre ça. « On n'a pas ». Au final, tu t'aperçois que le menu est comme un mirage en plein désert, et tu te retrouves sans trop savoir comment avec les seules choses qui ne te faisaient pas trop envie : des brochettes et un fanta.
La patience est une vertu. En Europe. La patience est une nécessité en Afrique. Nous sommes les 4 seuls clients du restaurant, mais il faudra presqu'une heure pour voir arriver notre commande. Du riz, des frites, des légumes. Et ils sont 4 dans la cuisine. Les frites et le riz arrivent presque froids, mon chapati est brûlant. Ne surtout pas réclamer qu'ils réchauffent ton plat, sinon il repart pour 30 minutes supplémentaires ! A la fin du repas, on vient nous débarrasser. La jeune fille rit à chacun des mots qu'on prononce. Notamment au Thank you. Elle prend un fou rire à chaque fois. Pour communiquer à propos de la note, ça se fait avec les pouces. Oui, les prix sont différents de ceux du menu. Notre taxi traduit comme il peut à chaque fois qu'on a besoin de lui. La moitié du temps ce n'est pas ce que l'on a demandé. Mes trois blondes rient beaucoup. C'est leur première fois en Afrique. Ça se sent. Elles stressent beaucoup alors que j'ai depuis longtemps rejoint le camp du Hakuna Matata. Elles sont trois amies de l'université. Elles ont rendu visite à une de leurs copines qui travaille depuis deux ans au Burundi. C'était facile, elles avaient quelqu'un sur place. Aujourd'hui, c'est le premier jour où elles se retrouvent seules, au milieu de l'Afrique. Alors elles vont expliquer chacune leur tour au chauffeur de taxi qu'il doit être là demain, à 5h15, et pas plus tard, pour qu'on récupère nos bus.
Vous vous doutez bien de la suite. A 5h15, le chauffeur n'est pas encore là. 5H25 non plus. Je reste dans mon mode Hakuna Matata, persuadé que les 8 000 shillings convenus hier soir vont le faire rappliquer à un moment. Les filles mettent tous les moyens qu' elles ont à disposition pour essayer de le contacter, utilisant le téléphone du garde (qui, lui, était persuadé qu'il devait arrêter les taxis sur la route). 5H35, il débarque enfin, au grand soulagement de mes Allemandes. Le bus partira de toute façon avec 30 minutes de retard. Hakuna Matata.
Notre doux bus de la veille est remplacé par un vieux de la vieille. On est compressé comme rarement. Surtout, on se retrouve sur une route vraiment dégueulasse, avec des secousses qui nous font bondir de notre siège (il devait y avoir sans mentir 250 dos d'ânes sur le trajet !). Free African Massage qu'ils appellent ça. Alors que les filles étaient persuadées que le trajet allait durer 4 heures, on apprend un peu plus tard que ce sera en fait 9 heures minimum. On pensait avoir touché le fond, mais un vendeur ambulant s'est installé dans le bus. Il répète inlassablement les mêmes phrases pour vendre une bouteille d'eau ou une brosse à dent. On pensait avoir touché le fond pour la deuxième fois, lorsque le bébé devant nous s'est mis à pleurer. Mais le fond, réel, était l'odeur du vomi arrivant dans nos narines. Là, vraiment, on était au fond du fond.
Reste ma fenêtre. Reste le paysage. C'est plat comme rarement en Afrique, le soleil de plomb n'empêche pas les enfants de se chamailler aux portes des maisons. Le linge sèche, les femmes portent de l'eau sur leurs têtes. Des poules picorent. La vie semble suivre son cours. Ma voisine est plongée dans un Lonely Planet. Et moi, devant cet écran, en train d'écrire ces quelques lignes. Malgré les secousses du bus, malgré les secousses de la vie. C'est chouette tout de même.