15 septembre 2020 2 15 /09 /septembre /2020 07:19

Ça a commencé avec ce blog, il est donc normal que cela se termine ici. 159 pages. 64 150 mots. Près de 382 000 caractères. Il est terminé. C'est son faire-part de naissance.

Écrire un livre

A la base, je voulais écrire un article de blog sur l'histoire du village. Et améliorer la page wikipedia. Puis je me suis rendu compte qu'il y a avait un peu trop à dire, et que ça ne tiendrait pas. Alors j'ai découpé mon article en deux. Et, lentement, au rythme de mes visites à la mairie de Tilques ou aux archives départementales d'Arras, j'ai compris. Il en faudra plus. Je me suis lancé.

 

Et alors que le confinement arrêta beaucoup de choses sur Terre, il me permit de trouver un rythme de travail. Écrire, chaque jour ou presque, pendant plusieurs heures. Analyser mes archives, recouper mes informations, téléphoner quand j'avais des manques, lire chaque page de la presse locale. Internet fut une bénédiction. Et plus j'en trouvais, et plus je voyais d'autres choses à trouver. Plus j'interviewais des Tilquois.es, plus on me donnait les contacts d'autres Tilquois.es qui pourraient me renseigner.

 

J'ai pris énormément de plaisir à faire ce livre. A rencontrer les habitant.e.s, notamment les plus ancien.ne.s. Les écouter, c'était entrer dans le livre de leur vie. Rien n'était plus passionnant. J'ai arpenté à nouveau toutes les rues, et même tous les canaux. J'ai recontacté des gens que je n'avais parfois pas vus depuis deux dizaines d'années.

 

Et j'ai appris. Tellement. Désormais, quand je me balade dans Tilques, je vois un petit peu tout différemment. Quand je regarde son château le plus connu, j'imagine la vie des séminaristes après-guerre, je me demande comment étaient logés les Allemands, je m'interroge sur la famille Taffin qui possédait ce château au cours de la période moderne. Quand je regarde l'école du village, j'imagine les classes des garçons et des filles séparées, ou alors celles et ceux qui ont eu les cours dispensés par des religieuses. Je vois des distilleries, des brasseries et des cabarets à tous les coins de rue, j'entends la J.S.T. jouer au football, les pompiers sonner le tocsin et la clique défiler. Les agriculteurs sont au pousse-pousse ou derrière le cheval, les soldats canadiens surveillent sur le toit de l'église, l'abbé veille au salut de ses fidèles. Un petit Intervillages pour animer le dimanche, une joute sera organisée dans le marais, on finira par une session de théâtre.

 

Ce village, je l'ai dans les veines, plus que je ne le pensais. C'est chez moi. Mes souvenirs d'enfance, bons ou mauvais, y sont gravés. Je paierais cher pour revoir les parties de football que j'y ai jouées, chez les copains, sur le terrain ou dans la cour de récré. Je voudrais bien avoir une trace de mes cabanes ou pouvoir analyser ma tête lors de mon premier baiser. J'ai grandi, je suis devenu homme, je suis parti, souvent, loin. Et je suis revenu, toujours.

C'est sans doute un peu cocasse d'avoir écrit ce livre quelques mois après le déménagement familial. C'était peut-être le déclic. Il fallait laisser quelque chose de notre venue.

 

La suite ? Je vais démarrer les souscriptions dans la semaine, les visites à la presse locale, faire marcher le bouche à oreille. Car écrire un livre qui n'est pas lu, cela n'a pas d'intérêt. Et, quand j'en saurais un peu plus du nombre de lecteurs potentiels, je passerai à l'étape de l'impression.

Je voudrais aussi faire d'autres choses, comme une petite randonnée historique un dimanche, ou même créer une section histoire dans le foyer rural afin de prolonger tout ça. Car rien n'est parfait, et l'histoire du village est constamment à écrire. Il y aurait encore des habitant.e.s à rencontrer, des instants de vie à écouter, des documents à consulter. L'histoire ne s'arrête jamais.

 

Enfin, ce livre me prouve que je suis capable d'écrire. Il y en aura d'autres.

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13 juillet 2020 1 13 /07 /juillet /2020 20:17

Ça y est, le sac est posé. D'abord sur ce sol, puis rangé dans l'étagère. L'air de rien, ce sac ne m'a pas quitté pendant une année. 12 mois S.D.F. Enfin, du S.D.F. choisi, et non pas contraint (et ça change tout). Un sac qui aura vu un peu de pays, et qui est aujourd'hui fatigué de tout ça.

A peine les clefs en poche que j'ai cherché le plus important mobilier de la maison : un bon lit ! Mon lit ! Plus le lit de mes parents, plus le lit de ma grand-mère ou de ma marraine, plus le lit, le matelas ou le canapé des copains et des copines... c'est mon lit ! En quelques jours j'ai aussi récupéré mes vêtements, de ceux que je n'ai pas mis depuis 3 ans et mon départ en Guyane. Tiens, j'ai ce pull là ? Ah, mais oui, trop bien ! C'est facile, j'ai l'impression d'avoir acheté une nouvelle garde-robe.

 

Emménager, c'est aussi faire des trucs un peu chronophage. Électricité, gaz, ligne téléphonique, changement d'adresse... et il faut aussi passer par une étape que je n'affectionne pas tout à fait : faire les magasins. Comparer les prix, trouver un frigo, une gazinière, un salon. Ce midi, je mangeais toujours assis sur mon lit, l'assiette sur une table de salon gentiment donnée. Je n'ai pas encore de chaises, et les ampoules du salon ne fonctionnent pas.

 

Pas grave, car je suis chez moi. Vraiment chez moi. Mon premier chez moi, en solo, depuis 12 ans. Woh, 12 ans. Depuis, j'ai fait 7 colocs. Alors là, c'est moi qui vais décider du rythme du ménage et de la vaisselle, et je mets la musique au volume que je souhaite. Il n'y a plus de partage des taches, il n'y a plus non plus de partage des repas. Solitude. Est-ce que ça me fait peur ? Oui, toujours un peu. C'est d'ailleurs l'une de mes missions premières depuis que j'ai mon chez moi : voir du monde. Tous les jours je recontacte un copain ou une copine. Car c'est l'avantage de mon nouveau lieu de vie : Saint-Omer, la ville de mon enfance, et de ma jeunesse. Puisque je vous dis que je suis chez moi !

Emménager
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5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 16:59

Honnêtement, ce serait mentir de vous dire que Lille m'a plu dès le départ. Je garde d'ailleurs encore aujourd'hui des sentiments contrariés. Je peste contre son béton, ses bagnoles et ses injustices qui me paraissent plus importantes qu'ailleurs. Plus importantes que chez moi en tout cas. Car Lille, ce n'est pas chez moi, et ça ne l'a jamais vraiment été. J'ai toujours eu cette impression de passage, d'une cité qui m'adopte essentiellement la nuit pour mieux me rejeter le jour. Oui, cette ville est reine de la fête, et je ne préfère pas compter le nombre de fois où nous avons essaimer à Massena ou transpirer dans les boîtes du vieux-Lille. Mais ce n'est pas suffisant. Ça n'a pas emporté mon choix. Finalement, Lille restera la ville d'à côté, et j'ai décidé de vivre là où je me sens chez moi, constamment. Reste des sacrés souvenirs by night, et quelques moments sympas sous un soleil souvent capricieux.


Et je sais que je ne suis pas le seul. J'ai même retrouvé les souvenirs lillois de ma grand-mère, ainsi que de mon arrière-arrière-grand-mère. Oh, ce n'est pas vraiment le monde de la nuit. Ce sont des mots, tellement banals car si quotidiens, posés au revers de vieilles cartes postales rappelant le temps qui passe, vite.

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Prenons d'abord le beffroi et la place du théâtre dans les années 1950. Les changements visibles sont mineurs : les lampadaires, le couloir du tramway, les voitures à la place des terrasses, et le sommet de la petite tour derrière le beffroi.

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Place de la République c'est plus flagrant : la route a disparu ! Plus de tram ! (disparu en 1966) A la place, une fontaine datant de 1979 et un ensemble devenue entièrement piéton.

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Quant aux rues nationales (1946) et Faidherbe (années 1950), elles n'ont quasiment pas évolué hormis les traces du tramway. Ah, oui, les voitures ont bien changé et on ne se gare plus aussi facilement !

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Les fusillés lillois ont eux connu une vie mouvementée. Oui, déjà de leur vivant, car les quatre hommes debout et celui au sol sont des résistants lillois fusillés lors de la première guerre mondiale. On construit alors un monument, inauguré en 1929. Les Allemands, apparemment un peu rancuniers, l'attaquent à coups de pioche et de dynamique en 1940. La carte postale des années 1950 montre ainsi des fusillés décapités... Ils ont retrouvé leur visage en 1960 et sont installés au boulevard de la liberté. Peut-être pas tout à fait au même endroit, et avec un mur retravaillé.

Allez, direction le coeur de la ville, sa Grand' Place.

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Une chose saute aux yeux : l'encombrement ! Au sortir de la seconde guerre mondiale, alors que les voitures sont pourtant peu nombreuses dans le reste de la région, la métropole montre déjà une appétence pour les 4 roues ! La Grand' Place est alors peu piétonnisée, et le marcheur navigue entre la route et des voitures stationnées. Quelques échoppes apparaissent sur la première image quand le tram montre le bout de son nez sur une carte datée de 1946. L'occasion de souligner les fils qui doivent alors courir à travers toute la ville.

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Remontons deux décennies plus tôt, dans les années 1920. La carte postale est en couleur (chose rare !) et nous présente ainsi la place dans les années folles. En plus du tramway que l'on voit apparaître au centre de l'image, les voitures stationnées devant l'hôtel Bellevue se partagent le lieu avec... les chevaux ! (à gauche) Est-ce que ce sont des taxis équidés qui attendent les clients sur cette place ? Pas impossible. La présence des piétons est plus massive qu'après 1945, et on a presque de fait l'impression d'avoir retrouvé de l'espace ! Des échoppes temporaires sont présentes en bas à droite quand un petit bâtiment occupe le bas de la statue (arrêt de bus et toilettes ?). Les bâtisses ont finalement peu évolué, le Bellevue a juste changé son nom de place, tandis que l'actuel deuxième bâtiment à sa gauche est en fait l'assemblage de trois de l'époque. Les autres n'ont pas bougé, ce qui paraît assez fou en considérant que cette carte postale a 100 ans !

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Direction 1910 ! La statue de Faidherbe qui fait tant causer (j'y reviendrai) est bien présent sur son gros socle quand les arbres qui l'entourent sont alors de première jeunesse. L'entrée du métro République est bien sûr absente (métro inauguré en 1983), les lampadaires ont disparu, et la devanture de l'actuel Crédit Mutuel a été fortement retravaillé (beaucoup plus de fenêtres aujourd'hui). Et ce qui est formidable à cette époque, ce sont les gens qui posent pour le photographe ! Moi, j'ai eu beau attendre quelques minutes, personne n'a fait attention à mon appareil !

Lille, à l'ancienne
Lille, à l'ancienne

Je termine par une carte postale datée de 1905. Oui, ces deux photos ont été prises à peu près au même endroit ! Le théâtre de Lille a été inauguré en 1787 mais... il prend feu dans la nuit de 5 au 6 avril 1903. Le toit s'écroule, et la municipalité décide de construire un nouveau bâtiment, l'opéra actuel (presque fini en 1914 il se retrouve occupé par les Allemands, il faudra attendre 1923 pour une inauguration française !). De ce fait on peine aujourd'hui à imaginer le lieu, seule la vieille bourse sur la gauche fait figure de grand indice.
L'autre aspect incroyable de cette carte postale c'est le cheval... qui tracte le tramway ! Car c'est à cette époque un tramway hippomobile ! Il faut attendre de 1902 à 1904 pour voir l'électrification du réseau. De ce fait, cette carte dont le timbre me dit 1905 est en fait une photo datant de quelques années plus tôt.

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25 mai 2020 1 25 /05 /mai /2020 09:07

Un autre dossier concerne la « défense passive ». Pas de résistance là, puisque ce sont des courriers envoyés par le chef de la Kreiskommandantur militaire de Saint-Omer : « Des attaques aériennes dans l'Ouest de la France ont eu parfois comme résultat l'anéantissement de quartiers entiers parce que la population civile, au lieu de s'employer à combattre les bombes incendiaires, quittait les lieux sinistrés sans se préoccuper des mesures de défense passive. »[1] Il est marrant le chef de la Kreiskommandantur ! Il rappelle notamment qu'en cas de bombardement il ne faut pas fuir ! Plus facile à dire qu'à faire à mon avis ! Un autre texte explique « les bombes incendiaires ne sont pas dangereuses pour autant qu'on les neutralise rapidement et efficacement » ...

Tilques occupé : la défense anti-aérienne

Ce sont les pompiers de Tilques qui se retrouvent en première ligne de cette défense passive, qui consiste essentiellement à lutter contre les incendies et à l'évacuation des blessés, une cinquantaine de pompiers en tout, avec quelqu'un de désigné « pour sonner le tocsin », ou encore des infirmières et des brancardiers. Il n'existe qu'un seul véhicule dans la commune, un camion, il est donc réquisitionné en cas d'intervention. Un ordre de réquisition est aussi envoyé le 27 janvier 1944 à Joseph Caffray « tueur de porcs […] qu'en cas de bombardement ayant occasionné la mort de bestiaux, il est requis pour avoir à saigner et vider les dits animaux » ! Hummm

En plus du bombardement de Saint-Omer de mai 1943 où deux Tilquois perdent la vie, le village est concerné par le bombardement du 27 août 1943 qui cible (plutôt bien cette fois) le blockhaus d'Eperlecques. Ainsi, dans un rapport du sous-préfet adressé à son supérieur, j'apprends qu'un avion a été abattu à Tilques[2]. Où ? J’ai le récit de la chute d’un avion allié dans le village (pas sûr à 100% que ce soit celui-là, il y en a peut-être d’autres). « L’avion était touché et j'ai vu un type qui a sauté en parachute, le parachute ne s’est pas ouvert du côté de l'épinette. J'ai été voir tout de suite, j'étais jeune, il avait tous les os cassés. L'avion s'est écrasé du côté de la terre Bédague au niveau de la nationale, on le voyait plus tellement il était encastré dans la terre. »[3] Par qui cet avion a-t-il été abattu ? Par les Allemands, oui, je sais. Mais est-ce que ce sont ceux positionnés à Tilques ? Car, sur le toit de l’église du village « ils avaient mis une mitrailleuse de la DCA [défense contre l’aviation], elle était amarrée »[4]. Et elle avait donc pour objectif d’abattre les avions !

Ce n’est pas la seule défense anti-aérienne, il y a aussi les pieux Rommel (aussi appelés asperges de Rommel !) : ce sont des piquets anti-planeurs dans les champs. « Il y’en avait tous les 20 mètres, c’était des piquets de 4-5 mètres de haut, et ils étaient reliés par des fils barbelés, une sorte de grande toile d’araignée, pour empêcher les avions et les parachutistes d’atterrir.  Les agriculteurs cultivaient entre les piquets. Ils allaient couper ça dans le bois d’Eperlecques »[5]. Tous mes interlocuteurs vivants à Tilques à l’époque m’en ont parlé, il semble que ça marquait dans le paysage.

Les pieux Rommel, Schneiders T., Frankreich, "Spargelfelder", juin 1944, Archives fédérales allemandes, Bild 101I-582-2122-31

Les pieux Rommel, Schneiders T., Frankreich, "Spargelfelder", juin 1944, Archives fédérales allemandes, Bild 101I-582-2122-31

Quelques mois plus tard, le 22 mars, alors que les bombardements se sont intensifiés, le maire écrit pour aviser le Kreiskommandant que « trois bombes non éclatées sont tombés dans les champs sur le territoire de la Commune. Point de chute entre Tilques et Cormettes ». Dans l'ensemble ce sont 25 bombes qui sont tombés dans les délimitations du village[6], dans des champs, en direction de Zudausques [c'est Cormette qui est visé : le village est bombardé à 9 reprises en l'espace de 6 mois, alors qu'une base de lancement de V1 était mise en place sur la commune]. Ce n'est pas la première fois car le 12 janvier 1943 le maire avait déjà écrit à ce propos, pour la même zone (« deux bombes d'avions ont été trouvées […] par des cultivateurs travaillant aux champs »[7]).Tilques reste néanmoins épargné (au contraire de certains de ces voisins le village ne possède pas d'objectif militaire).

Ce qui marque les habitants ce sont aussi les V1 et les V2 « j’en ai vu 2-3, derrière la maison. C’était un autre son que les bombes ou les avions » ; « surtout au soir j'men souviens, c'était comme une fusée, ça passait pas haut, et un bruit que ça faisait, souvent ça passait du côté de Cormette, au loin là-bas, on entendait bien que c'était pas un avion, on avait toujours peur que ça se retourne » ; « J’me rappelle encore les V1, il y avait une flamme derrière, au départ ils devaient partir dans le sens de l'Angleterre et ça partait dans tous les sens »[8]. La Kreiskommandantur avertit d’ailleurs la population en août 1944 de ne pas toucher les pièces pouvant provenir des V1 et qui pourraient être trouvées, surtout en ce moment pendant la moisson[9]. Pour se protéger des bombardements, certains construisent des abris de fortune sur leur terrain, « enfin un abri.... s'il tombé quelque chose… c'était de la terre, un truc de fortune »[10].

 

A mesure que les troupes alliées avancent le préfet collaborationniste insiste sur la défense passive, ainsi, au cours de l'été 1944 il faut creuser des tranchées pare-éclats, des trous-abris etc. En octobre, alors que la région a été libérée, le nouveau préfet souhaite connaître le matériel allemand présent sur place « ce matériel est considéré comme butin de guerre ». Le 9 novembre une lettre est adressée à propos du « désobusage et enlèvement des engins non éclatés ou douteux ». 

 

A la fin de la guerre les choses évoluent et cette fois c’est un avion allemand qui est abattu : « un coup on a vu un avion allemand en flamme, touché, et il tournait au-dessus des maisons… on est descendu à la cave, puis on est remonté… il tournait encore ! On a redescendu, et il est tombé au bout de l’impasse des 20 mesures »[11]. D’autres souvenirs reviennent, comme « quand les Allemands se sauvaient, ils passaient ici, devant la maison, ils étaient nombreux avec les mitrailleuses, mais ils ne nous embêtaient pas » [12]. « Des Allemands ont logé à la maison au moment du débarquement et la libération, ils étaient pressés, ils logeaient n'importe où ! »[13]. Et, quelques semaines plus tard « on a vu passer des bœufs, des centaines, des centaines et des centaines qui allaient à Calais (qui venait d'Argentine), certainement plus de 1000, tout le long de la nationale ». Les Alliés sont arrivés, la guerre est terminée à Tilques.

 

[1] Mairie de Tilques, Archives, série H11, Défense passive.

[2] Archives du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 667, Bombardements.

[3] Interview Daniel Bouton, 20 février 2020.

[4] Interview Jacques Dercy, 24 janvier 2020.

[5] Interview Roger Thomas, 6 mars 2020.

[6] Archives du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 667, 4Z 668, Bombardements.

[7] Archives du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 668, Bombardements.

[8] Interviews Roger Thomas, 6 mars 2020 ; Daniel Bouton, 20 février 2020 ; Jacques Dercy, 24 janvier 2020.

[9] Archives départementales du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 667, Bombardements.

[10] Interview Marguerite Dercy, 24 janvier 2020.

[11] Interview Roger Thomas, 6 mars 2020.

[12] Interview Roger Thomas, 6 mars 2020.

[13] Interview Daniel Bouton, 20 février 2020.

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19 mai 2020 2 19 /05 /mai /2020 07:38

A l'issue d'une guerre rondement menée (sic!), la France se retrouve occupée. On ne va pas se mentir : le NPDC est en première ligne. Et pour cause, les Anglais restent en guerre. De ce fait, Tilques devient, comme toutes les communes de l'Audomarois, un lieu de cantonnement pour les troupes allemandes... on ne sait jamais, un débarquement allié est si vite arrivé... (quoi ?! La NORMANDIE?!?)

 

C'est le sous-préfet de Saint-Omer qui écrit aux maires des communes, dont celui de Tilques (Auguste Lurette). On demande notamment d'indiquer « les possibilités d'occupation de chaque commune », c'est à dire les maisons disponibles, mais aussi la place pour les chevaux, ou encore les garages permettant de garer des véhicules. A Tilques, le chiffre de 520 personnes est indiqué « dont 60 dans l'école, 80 dans les estaminets (ohoh c'est pas dangereux ça !?) et 196 dans les maisons « cantonnements de fortune »[1]. Dès le 7 novembre 1940 des « troupes venues pour cantonner peu de temps dans la commune se sont emparées d'une quantité importante de paille de blé dans une ferme et ont réquisitionné plusieurs locaux sans ordre émanant d'une Kommandantur (…) les troupes cantonnées dans la commune se ravitaillent aussi en pain sans produire de tickets »[2]. Oui, Monsieur le maire est tatillon sur les règles (vous verrez !). Des travaux sont effectués au cours de l'hiver 1940-41 pour ces lieux (les Allemands râlent d'ailleurs car ça ne va pas assez vite à leur goût)[3].

En plus du cantonnement il y a les réquisitions officielles : « par ordre de la commandanture de Tilques la commune (…) doit fournir tout cela : 7 rouleaux (…) 4 kg peinture huile, 6 kg peinture sèche, 9 interrupteurs, 2 abat jour modernes, 55 vis à bois.... »[4] Une vraie liste de courses !

La Kreiskommandantur de Saint-Omer s'interroge aussi sur les distilleries de Tilques : quel stock, quelle est la production d'alcool par semaine, comment peut-on transporter l'alcool ? Sauf que la réponse n'a pas dû plaire aux autorités : la production est... au chômage ![5]

 

Il y a aussi des réquisitions non officielles... Le maire de Tilques écrit ainsi au Commandant de la Kreiskommandatur pour signaler que « dans la journée du mardi 12 janvier, vers 16 heures, un camion militaire allemand s'est arrêté à Tilques […] des soldats descendirent de ce véhicule […] et s'introduisirent dans les lieux après avoir brisé un carreau et ouvert une fenêtre, s'emparèrent de la cuisinière achetée par la commune pour les besoins militaires habitant ces lieux, prirent également 12 draps, 3 bassins et un fauteuil dessus cuir, sous réserve d'autres objets moins importants […] je vous serais, en conséquence, Monsieur le Commandant, respectueusement obligé de vouloir bien faire procéder à l'enquête nécessaire pour recouvrer lesdits objets mobiliers. »[6]

Il faut remarquer le ton du maire, respectueux mais ferme ! Il faut dire que le logement était utilisé par… des militaires allemands pour leur cantonnement ! (et c'était la responsabilité de la commune, donc du maire…)

 

Ce n'est pas parce que c'est la guerre que le droit n'existe plus ! Le 11 mai 1943 c'est directement au préfet à Arras que le maire de Tilques écrit, pour faire parvenir les factures de commerçants ayant été réquisitionnés (10 personnes en tout, de 123 francs à 8 907,50 francs pour Fardoux !). Des factures et bons de réquisitions de paille de couchage sont également envoyées (16 personnes) ou encore des factures pour transport de matériel (2 personnes)[7]. L'idée est d'être remboursé !

 

Dans le même genre, une demande particulière est faite par Rossey Declerck à monsieur le maire : « j'ai dû quitter ma demeure pour me rendre auprès de ma fille institutrice à Moulle et durant une absence prolongée causée par les bombardements j'ai dû constater la disparition des objets suivants : 1 paire de draps, 1 couverture, 3 torchons, 2 serviettes de toilette, 2 paires de bas, vaisselles, casseroles et moulin à café » ![8]  Un soldat en retraite ? Un autre habitant ? Le mystère reste entier !

 

Là où c'est plus compliqué, c'est pour les châteaux ! Car ils présentent un avantage certain : la place ! Le mobilier est très important, ainsi on retrouve l'inventaire du château Hocquet, avec 31 matelas pour... 32 lits ! Mais aussi 96 chaises, 4 bancs, et... 3 chaises longues [9]! Tu m'étonnes qu'ils préfèrent être là ! Les Allemands évitent de faire n'importe quoi avec les deux châteaux, ils réquisitionnent même une vidange des fosses des châteaux du Hocquet et des Ombrages en avril 1944 ! A cette date, je remarque aussi une réquisition de 4 cendriers, 24 verres à vin, 24 verres à bière et 24 verres à champagne ![10] On savait aussi s'amuser en ce temps-là !

Le 14 mai 1943 est envoyé en allemand et en français un petit télégramme d'un « capitaine Hauptmann » : « le château des Ombrages est remis à la disposition du propriétaire, Monsieur Fichaux, qui est sinistré à Saint-Omer. L'occupation éventuelle du château par l'armée sera fixée par la troupe elle-même. »[11] Là aussi le ton est ferme !

Le propriétaire, négociant en épicerie et vin à Saint-Omer, témoigne le 4 mars 1943 des dégâts faits dans sa demeure par les troupes allemandes : « un hangar planché a été complètement démoli pour être brûlé ainsi qu'une grande porte de garage et des portes de poulailler (…) et dans la propriété ils ont scié cinq arbres ». Le PS vaut le coup d'œil : « les soldats ont laissé un fusil, j'ai chargé mon jardinier de remettre cette arme à la mairie ». Résumons : le soldat allemand pratique l'écocide en étant en plus tête en l'air !

Pour le château d'Ecou c'est une lettre du maire qui raconte les faits à « Monsieur le Kreislommandant (…) il résulte que les portes et fenêtres sont démolies, de nombreux carreaux sont cassés. Les fils de l'électricité nouvellement installée sont arrachés. Le parquet de deux pièces du 1er étage a été détérioré et des planches enlevées ainsi que des portes. Le chauffage central est aussi abîmé. De renseignements pris il appert que ces faits ont été occasionnés par les soldats cantonnés au château De Coussemaecker à Salperwick ». Il a le droit de balancer les coupables, c'était un sport d'époque ! Sauf que « la Kreiskommandatur de Saint-Omer m'inform[e] que ces dégradations avaient été commises par des civils (sabotage civil) », lors d'une réponse début 1944. Le maire décide alors de visiter la propriété : « ce château est aujourd'hui dans un état de délabrement complet. Une bombe qui aurait explosé à l'intérieur n'aurait pas fait plus de dégâts. Une seconde enquête me fit connaître par des civils qui avaient eu en cantonnement des troupes courant janvier et février dernier, déclarant avoir vu ces soldats transportant du bois, portes, fenêtres, panneaux et planches de toutes sortes pour faire du feu ». Cette lettre du 6 mars est adressée au capitaine commandant la brigade de gendarmerie de Saint-Omer, lui demande une enquête.

Le résultat ? Une lettre en allemand datée du 14 mars « la communication concernant les dommages au château d'Ecou n'a pu obtenir par nous aucun résultat, car l'unité qui occupait alors le château a trouvé les choses dans l'état (…) la population civile a pu se livrer à toutes sortes de déprédations et de sabotage, desquels l'armée allemande ne peut en aucun cas être responsable. Nous remettons la chose à vous, pour que vous cherchiez les auteurs parmi la population civile ». Signé « Der Kreiskommandant »[12]. Autant dire que les positions restent figées !

Pour le château du Hocquet (NDLR château de Tilques), le lieu est plus respecté. Le 2 février 1944 le capitaine Gauer précise : « le château occupé par l'unité 00035 a été évacué et doit être libre en ce moment. Vous êtes au courant, que quand celui-ci n'est pas occupé par la troupe, vous êtes dans l'obligation de prendre le mobilier et le bâtiment en consigne. Veuillez vous mettre pour cela en rapport avec la Standortkommandature de Tilques. Veuillez me faire part également, si des dommages ont été causés soit au bâtiment lui-même, soit à son installation. Ce château ne doit pas être occupé à nouveau sans autorisation formelle par écrit de la Kreiskommandature de St Omer »[13].

Une autorisation arrive justement le 23 février, avec « l'unité de la Feldpostnr. 73074 A 3 est autorisée par la Kreiskommandature à occuper le Château Hocquet de votre Commune ». Même chose le 5 avril pour l'unité FN. 56034. Ce château et celui des Ombrages, occupés, ne sont jamais bombardés, et pour cause… les Allemands ont installé une grande croix rouge sur chacun d’eux, une manière de dire « ici c’est un hôpital, ne bombardez pas ! » (pas cons les Allemands !)[14].

Au final, le château du Hocquet cesse d'être occupé le 12 août 1944. A cette époque les propriétaires ne sont plus à Tilques, puisque Madame Veuve de Taffin de Tilques est partie à Blassé (Rhône). Joseph Philippe, le propriétaire du château d'Ecou, est quant à lui prisonnier en Allemagne[15]. C'est son père Henri, domicilié à Cysoing (Nord), qui essaie de faire respecter les droits. Son fils Joseph entreprend en octobre 1945 un état des lieux, fait par le maire de Tilques : 10 pages de dégâts ! Des 61 arbres coupés dans le jardin aux canalisations arrachées, des trous dans le plafond au mur percé... autant vous dire que le château n'est plus vivable ! (ce n’est pas le seul lieu endommagé, l’école présente une facture de 6 850 francs de dommages de guerre).

 

Beaucoup de maisons sont réquisitionnées, comme celle de Monsieur Caron de Fromentel, sur la route nationale, ou celle des Thomas : « le soir les Allemands avaient pris la salle à côté, dans la maison. Une fois on a eu une équipe qui buvait c’était pas fameux. Mais il y avait aussi un Allemand qui venait souvent dormir ici, fort gentil »[16]. Parfois c'est juste une réquisition d'électricité, comme dans la ferme Legrand (et s'en suit un échange de 7 lettres entre le préfet, le sous-préfet, le maire et Monsieur Legrand pour savoir qui va payer !).

 

Le 23 février 1944, Auguste Lurette écrit à nouveau : « j'ai l'honneur de vous faire connaître que la compagnie des Pionniers 12949 C et la Compagnie d'Artillerie 33.776 qui ont logé dans les deux classes de l'école des filles ont emporté les deux poëles avec chacun 12 mètres de tuyaux. Je vous serais, Monsieur le Kreiskommandant, très obligé de vouloir bien me permettre de rentrer en possession desdits poëles et tuyaux »[17]. Décidément, on va finir par croire que ce sont des voleurs !

 

Beaucoup plus étrange : une lettre est envoyée par le Capitaine Foque [j'ai une tombe d'un général Foque ? Le même?], stationné à Clermont-Ferrand. Je vous la retranscris car elle vaut le coup :

Mairie de Tilques, Archives, série H20, Cantonnement ennemi – occupation allemande

Mairie de Tilques, Archives, série H20, Cantonnement ennemi – occupation allemande

Là ce n'est plus être ferme, ça en devient presque menaçant ! Et toujours pour gagner plus d'argent... (le temps passe, les fléaux restent)

 

A noter que si les réquisitions matérielles sont nombreuses il existe aussi des réquisitions d'hommes !

Tout d'abord, il y a le S.T.O. (Service de Travail Obligatoire), avec 15 Tilquois concernés. En plus des prisonniers, en plus du S.T.O., le 2 octobre 1943, le sous-préfet écrit au maire de Tilques : « vous devez requérir 50 ouvriers pour combler entonnoirs, commune de Longuenesse. Ces hommes munis de pelle doivent se rendre porte d'Arras à Saint-Omer d'où ils seront dirigés sur Longuenesse par soins Service Ponts et Chaussées »[18]. L'ordre est envoyé à toutes les communes du coin, l'objectif étant de réparer les dégâts des bombardements (parfois précisé « les entonnoirs de bombes »). La mission dure deux semaines (les hommes alternent chaque jour).

1944 est l'année décisive à Tilques, et les réquisitions sont croissantes : 57 demandes de remboursement entre le 18 janvier et le 29 février 1944, 29 en mars-avril-mai, et 16 bons de cantonnement sont déposés sur la période 6 juin (débarquement) – 31 juillet. Pas sûr que ces derniers aient été remboursés ! De même pour 37 764 francs de mobiliers achetés à Saint-Omer le 14 juin 1944 pour l'armée allemande de Tilques (notamment deux grands fauteuils confortables suspendus à soufflets garnis satin... quand tu vois la défaite arriver tu te lâches clairement avec l'argent du contribuable !).

Le maire écrit au commandant de la Kreiskommandantur une dernière fois le 30 août 1944 (pour un remboursement de bois!) tandis que le 21 septembre c'est un nouveau préfet de libération qui écrit.

Concernant les réquisitions après la libération, le 39 régiment d'infanterie (1er Bataillon, 1ère Compagnie) est détaché à Tilques et s'y cantonne du 7 mai au 22 mai 1945 (4 chambres). Et où demeurent ces braves soldats anglais ? Dans les châteaux pardi ! Ainsi au château des Ombrages jusqu'au 22 mai 1945, tandis que le château du Hocquet a été occupé du 18 janvier au 29 avril 1945[19].

Le 16 juin 1945 un avis de levée de réquisition est envoyé, la seconde guerre mondiale s'arrête pour de bon à Tilques.

 

Enfin, je termine avec des choses un peu étonnantes. Ainsi, dans le dossier des affaires militaires on a par exemple un dossier « recensement des chevaux » ! 50 seront réquisitionnés ! (dont 2 attelages en permanence pour le champ d'aviation des Bruyères !)[20]. Il y a le même recensement pour les... bicyclettes ! Et il faut faire une demande d'achat au service pneumatique du département ![21] Et, sans surprise, il y a aussi le recensement et les réquisitions... d'armes à feu ![22] Là, pas trop de choix : il faut déposer ses armes à la mairie sur ordre de l'autorité allemande... pas de chasse ces années-là ! Autre chose assez marrante : une rue des Poilus et une rue du Maréchal Pétain sont apparus à Tilques à ce moment-là ! Bizarrement on ne les retrouve plus !

Il y a aussi un dossier rationnement des textiles et chaussures. J’observe ainsi que le 26 février 1944 la mairie demande à la sous-préfecture de Saint-Omer 187 paires de chaussures, surtout… des pantoufles (56 paires) ! En mai 1944 ce sont… 115 paires de pantoufles qui sont demandées ![23] On est donc des pantouflards à Tilques !

 

[1]     Mairie de Tilques, Archives, série H20, Cantonnement ennemi – occupation allemande.

[2]     Archives départementales du Pas-de-Calais, Danville, 4Z 687, Réquisitions.

[3]     Archives départementale du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 679.

[4]     Mairie de Tilques, Archives, série H22, Réquisitions de matériel de la part des Allemands.

[5]     Archives Départementales du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 670, Correspondances 39-45.

[6]     Mairie de Tilques, Archives, série H20, Cantonnement ennemi – occupation allemande.

[7]     Ibid.

[8]     Mairie de Tilques, Archives, série H24, Dégradations de demeures privées par l'occupant.

[9]     Mairie de Tilques, Archives, série H22, Réquisitions de matériel de la part des Allemands.

[10]    Ibid.

[11]    Mairie de Tilques, Archives, série H20, Cantonnement ennemi – occupation allemande.

[12]      Mairie de Tilques, Archives, série H24, Dégradations de demeures privées par l'occupant.

[13]      Mairie de Tilques, Archives, série H20, Cantonnement ennemi – occupation allemande.

[14] Interviews Jacques Dercy, 24 janvier 2020 ; Daniel Bouton, 20 février 2020.

[15]      Archives départementales du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 687, Réquisitions.

[16] Interview Roger Thomas, 6 mars 2020.

[17]      Mairie de Tilques, Archives, série H20, Cantonnement ennemi – occupation allemande.

[18]      Archives départementales du Pas-de-Calais, Dainville, 4Z 668, Bombardements.

[19]      Mairie de Tilques, Archives, série H21, Cantonnement allié.

[20]      Mairie de Tilques, Archives, série H22, Réquisitions de matériel de la part des Allemands.

[21]      Mairie de Tilques, Archives, série H27, Réquisitions de bicyclettes.

[22]      Mairie de Tilques, Archives, série H28, Réquisitions d'armes à feu par les Allemands.

[23] Mairie de Tilques, Archives, série Q22, Rationnement des textiles et chaussures.

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12 mai 2020 2 12 /05 /mai /2020 22:34

J'écris cet article dans un document intitulé Rédemption.

J'ai eu envie de pleurer devant un film, mais je n'ai pas assumer ces larmes. Une seule a coulé. A la fin du film, j'ai eu envie de faire pipi, et je me suis dit que pleurer aurait éliminer cette envie.

Le confinement ne m'a pas fait grand chose. Pas de changement dans ma vie, pas de baisse de moral. Au contraire, ça m'a permis de trouver un rythme et une motivation.

Je me demande ce que je vais faire dans 3 mois et demi. Et puis j'arrête de me demander, et ça va mieux.

Deux fois une fille m'a dit je t'aime, et je ne pouvais pas répondre. J'étais triste.

Je n'ai pas aimé depuis 6 ans. C'est long. Et je soupçonne le karma.

Quand quelqu'un se met en couple autour de moi, je le félicite. Et je le jalouse.

Je me suis demandé si je ne devais pas recontacter toutes mes ex. C'était apparemment une mauvaise idée.

Il y a un an je me levais en me disant « pourquoi je me lève si tôt ? » Maintenant, je me lève en pensant à ce que je vais faire. C'est mieux.

Je suis parfois asocial.

Je suis parfois un animal de sociabilité. C'est dur de me suivre. Moi-même j'ai du mal.

Je n'ai pas de regret. J'en suis fier.

J'ai quelques remords. Ca ne change rien.

Parfois je m'arrête en me disant « à quoi bon ? ». A rien, et c'est pour ça que la vie reste sexy.

J'ai envie de voyager. Mais moins qu'avant.

J'ai envie d'avoir des enfants rapidement. Et puis j'écoute les histoires de mes potes, et je me dis que j'ai encore le temps.

Il y a 15 ans, ma vie allait être séparée entre Arras et Saint-Omer. C'était facile.

Ce soir, à cet instant, je voudrais être ailleurs. Mais je ne sais où.

J'aime écrire des messages pour recevoir des nouvelles des gens. Et puis je réponds avec 3 mois de retard.

J'ai un super-pouvoir : je peux dormir n'importe où, n'importe quand. Ca m'a beaucoup aidé.

J'ai un autre super-pouvoir : je ne grossis jamais. J'aime moins celui-là.

Parfois j'écris, et les gens aiment. Je ne comprends pas toujours.

Je ferai bien un aller-retour express en Guyane pour voir mes élèves. J'en souris.

J'essaie de faire un jeu de mots avec Jean la souris. C'est nul, alors je m'arrête.

Y'a pas d'arrêtes dans le bifteck. Mais y'en a dans le poisson. Le poisson se jette dans la mer. La mer c'est sur le terre. La terre est une boule. Et toi t'es maboul.

C'est tout.

Transparence d'un soir
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4 mai 2020 1 04 /05 /mai /2020 08:12

J’avais plusieurs possibilités d’analyse. Par exemple les élections législatives. Mais ce vote peut parfois être un vote personnel, un vote d’affection pour une personnalité locale charismatique, ou encore quelqu’un de présent sur le territoire, celui qu’on voit à la ducasse chaque année par exemple. L’avantage des élections présidentielles et européennes, c’est la distanciation vis-à-vis des candidats, et un vote de parti plus assumé : quand on vote Europe Ecologie aux élections européennes, c’est clairement que l’on a des aspirations à l’écologie, c’est rarement parce qu’on a croisé un des candidats à la ducasse. J’ai décidé de mettre un code couleur : en vert lorsque Tilques vote plus que la moyenne (supérieure d’un pourcent) ; en rouge lorsque que le village vote moins que la moyenne (inférieure d’un pourcent).

Les élections européennes

Sources : Archives municipales, Ministère de l’intérieur

Sources : Archives municipales, Ministère de l’intérieur

Ce tableau est très parlant : Tilques est clairement plus à droite que ne l’est la France. Les résultats des chasseurs à l’époque du CPNT sont sans équivoques : le village chasse ! A gauche, hormis une très légère exception en 2009, les résultats sont clairement plus défavorables. Pour le FN on peut voir une évolution dans le temps : Tilques vote moins FN que la moyenne française jusque 2004, avant un retournement sur le période contemporaine (situation qui suit une dynamique régionale).

Les élections présidentielles (Vème République) 1er tour

Sources : Archives municipales, Ministère de l’intérieur

Sources : Archives municipales, Ministère de l’intérieur

 

Les résultats du premier tour des élections présidentielles confirment l’impression des élections européennes. Tilques n’est clairement pas communiste, ni, dans une moindre mesure, socialiste (à l’exception de 1988). Le village affirme son ancrage à droite : De Gaulle et Pompidou étaient élus directement au premier tour si ça ne tenait qu’à ces scores.

Le Général est sympa, en retour il s’arrête dans le village avec sa femme en septembre 1959. On le voit ici serrer la paluche du maire André Legrand.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 73.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 73.

Vient ensuite une période Giscard pour le village (son chiffre de 1981 est celui qui présente le plus gros différentiel avec les résultats nationaux). Chirac, après un résultat décevant en 1981, remporte le village de 1988 à 2002. Pour les autres partis, les chasseurs font plus du triple de leur score national en 2002, le FN présente la même évolution que les élections européennes (avec le tournant de la décennie 2000) quand Lutte Ouvrière fait des scores étonnants.

Tilques présente ainsi une image assez traditionnel d’un vote villageois du nord de la France : de droite, plutôt conservateur, avec une tendance affirmée à la chasse. Un profil d’agriculteur.

 

C’était déjà le cas au sortir de la seconde guerre mondiale. Ainsi les votes des deux élections « législatives » de 1945 et 1946, ayant pour objectif d’élire une Constituante. Tilques se distingue déjà par son ancrage à droite et par la faiblesse des communistes.

 

Les constituantes d’après-guerre

En %

 

Communistes

SFIO

Radicaux

Modérés

MRP

1945

Tilques

France

14,8

26,2

23,9

23,4

-

10,5

-

15,6

61,4

23,9

1946

Tilques

France

15,7

25,9

21,9

21,1

6,1

11,6

21

12,8

35,4

28,2

Sources : Archives municipales.

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 09:22

Quel est le sport tilquois ? Quelle est aujourd’hui la spécialité du village ? En y réfléchissant un peu, je me dis que Tilques fait partie du groupement de Saint-Omer rural en matière de football, et ainsi ma formation à l’ESSOR est assez symbolique. Avec des copains, nous avons aussi développé le FC Tilques, en mode football loisir. Ainsi, sans forcément nous en rendre compte, nous prenions la relève des footballeurs de la J.S.T., la Jeunesse Sportive de Tilques, créée en 1937. La plus vieille photo que je connais a été prise pendant la seconde guerre mondiale, en 1942. Est-ce le match pour les prisonniers de guerre datant de cette année-là dont je vous ai déjà parlé ? Peut-être. On y remarque le maillot violet frappé du sigle J.S.T., ainsi que Gaston Bonnet dans l’équipe (oui, le même qui a donné son nom au stade de Saint-Omer).

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 80.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 80.

De gauche à droite, en haut : Roger Grébret (dirigeant), André Hermel, René Devos, Alfred Foulon, Emile Taine, Gaston Bonnet, Charles Roussel. En bas : Eugène Butin, Jean Evrard, Paul Macrel, Robert Demaretz, Gaston Auxenfants (capitaine).

 

Au niveau des surnoms, la source de cette photo me parle des « canotiers ». J’ai aussi vu à plusieurs reprises le terme de « carottiers ». Où se dispute ce match ? Au départ je pensais au centre du village mais je ne suis pas sûr que ce soit à Tilques. Imaginez, à l’époque, le fait d’aller à l’extérieur : pas de bus ou de voiture ! Toute l’équipe enfourche son vélo et 20 kilomètres plus loin vous allez parfois disputer votre match ! On comprend mieux l’avantage de jouer à domicile à cette époque !

A noter que le capitaine, Gaston Auxenfants, devait, comme beaucoup de jeunes hommes à Tilques, partir au S.T.O. pendant la guerre… mais il jouait au football avec le club et il s’est cassé le pied. Plâtré, il échappe ainsi à l’Allemagne ![1]

 

La J.S.T. s’arrête aux lendemains de la seconde guerre mondiale (la dernière photo en ma possession date de 1948), puis est refondée vingt ans plus tard, à priori en 1969. C’est l’idée de Gaston Auxenfants, devenu président, qui monte une équipe avec ses deux fils Philippe et Jean-Luc pour base. Le maillot est rouge et noir, sur le modèle de Nice. Deux équipes existent : les cadets et les seniors. Ceux-ci ne sont pas toujours au complet et il faut que des jeunes viennent les renforcer régulièrement.

Le maillot de Didier Helleboid

Le maillot de Didier Helleboid

  Football, sports sanglants et jeux bizarres de ducasse

De gauche à droite, en haut : Philippe Auxenfants (cap.), Joseph Sciacaluga, Manuel Wanwinck, Gilles Bayard, Hervé Beauchamp, Michel Fardoux, René Barrère.

En bas : Michel Leroy, Daniel Toupiole, Didier Helleboid, René Mesmacre, X (Houlle), Joël Dive.

 

Le terrain se trouve au croisement de la rue de la Croix et de la rue du Château. Aujourd’hui c’est une pâture. A l’époque c’est…. aussi une pâture ! En début de saison, « tous les ans on allait avec la faucheuse, puis le rouleau et enfin une machine à carottes qu’on utilisait pour marquer le terrain avec de la chaux »[2]. « Sur le terrain, il fallait enlever toutes les bouses de vache avant le début du match car Legrand laissait là ses bêtes le reste de la semaine »[3]. Pour Francis Doyer, qui vient souvent faire l’arbitre, « un seul club avait ce fonctionnement-là ! ». Et pour cause, imaginez un vestiaire dans les locaux de la MJC, à… 1 kilomètre du terrain ! « Pas de douche, un bac d’eau dehors, on se lavait avec les gouttières qui arrivaient »[4]. Quelques entraînements pendant les vacances et c’est tout (les joueurs travaillent ou sont en étude). L’équipe monte toutefois rapidement en troisième division, et rencontre alors des clubs comme Blendecques, Esquerdes, Hallines, Dohem, Quiestède, Roquetoire, Saint-Martin-au-Laert ou Watten. Le village vient voir ses enfants, et doit pour cela payer l’entrée ! « Il y avait une ambiance particulière, on ne jouait pas pour gagner ou pour monter de division, on jouait pour se retrouver le dimanche »[5]. C’est cette bonne ambiance qui reste dans les récits, et certains regardent encore parfois leur ancien maillot avec un petit pincement au cœur.

Après le match, on se retrouve chez Sailly pour une 3ème mi-temps qui restait toujours saine. Le club reste confronté à des problèmes d’effectifs (les fermiers sont très occupés, les jeunes partent à l’armée et/ou en étude) et une fusion a alors lieu avec Moringhem en 1972. Elle dure jusqu’en 1976 avant la fondation de l’ESSOR en 1977.

 

Un autre sport voit aussi son équipe se développer, c’est le ping-pong ! Cela se passe au début de la décennie 1990, via le foyer rural (créé en 1981). Pendant trois ans les pongistes tilquois vont affronter les joueurs d’Eperlecques, de Quercamps, de Blendecques, de Wizernes ou encore de Saint-Martin-au-Laërt. Parmi eux : Jean-Jacques Leblond, Arnaud Devos, Frédéric Huyart, Anthony Delattre (peut être aussi Frédéric Fournier). Ils sont encadrés par Claude Revel et Jean-Jacques Legrand. L’expérience ne s’inscrit toutefois pas dans la durée en raison des effectifs (il fallait être 3 minimum pour une équipe) et des problèmes logistiques (trouver des voitures à chaque match !).

 

Pas dans la durée non plus mais j’ai des bons souvenirs : les 10 kilomètres de Tilques (ou du château de Tilques) ! Le projet est monté par Xavier Dassonneville (Association Défi Frangins Aventure) et semble dater de 1991 (9ème édition en avril 1999). 3 tours du village, une animation devant l’école, des courses pour les enfants (notamment un 1,5 kilomètres il me semble). L’événement amène du monde dans le village (272 participants en 2000, pour ce qui semble être la dernière édition).

18 avril 1999

18 avril 1999

Le village voit aussi la création d’un tournoi de pétanque. Un groupe se met en place au sein du foyer rural au milieu de la décennie 1990 (Jean-Paul Lambert en est le responsable en 1996), le tournoi se déroulant mi-août. Un tournoi de tennis a également lieu à cette époque.

 

Il existe aussi, via le foyer rural, du tir à la carabine, à l’arc et au javelot. Là, par contre, c’est une vraie tradition. En effet, la Société des Francs-Tireurs de Tilques est apparue en 1892, et elle participe et organise de nombreux rassemblements de tirs. Les carabiniers tilquois semblent plutôt doués. Cette société semble prendre la suite du tir aux pigeons… vivants ! Nous sommes en 1887, et on annonce que le dimanche 28 août un grand tir aux pigeons aura lieu chez Cappe. Le journal local a une opinion tranchée sur le sujet : « il ne manquera pas d’amateurs pour le massacre des innocentes petites bêtes »[6]. La pratique est interdite en France en… 1976 ! Sans surprise, les jours suivants, le même monsieur Cappe annonce qu’il fait de la poule aux pigeons dans son cabaret !

Dans la même thématique, il y a un autre sport… enfin, c’est pas vraiment un sport… euh, bon, à vous de décider ! Les combats de coqs ! Ainsi, le 18 mai 1914, on annonce la tenue de combats au café de l’abattoir à Saint-Omer « contre la Société de Longuenesse et les carottiers de Tilques ». Décidément, le surnom de carottiers est utilisé dans tous les domaines ! J’ai retrouvé le gallodrome tilquois : un concours de combat de coqs est organisé dans le village, à l’estaminet Cappe-Dubois, le 15 mars 1908[7].

 

Dans l’ensemble le sport tilquois tourne beaucoup autour des animaux. Un autre « sport » concerne les chevaux, avec des concours hippiques. Tilques se fait un nom dans ce domaine au tournant du XXème siècle, avec le « Haras d’Ecou » : Henri Lelièvre, dresseur-entraîneur, vous propose dressage et entrainage [sic !] de chevaux. Plusieurs fois des Tilquois participent (et gagnent) des concours de pouliche et autres chevaux, surtout les familles… Legrand et Taffin de Tilques. Oui, l’équitation est un sport de famille aisée !

Le mémorial artésien, 27 décembre 1891

Le mémorial artésien, 27 décembre 1891

Pour les autres jeux, je les retrouve notamment les jours de ducasse. C’est quoi la ducasse ? (car tous les lecteurs ne sont pas du nord de la France) C’est la fête du village. A l’origine elle avait lieu en octobre (période monarchique). Après 1870 (j’ignore quelle année exactement), c’est devenu une fête en juillet, autour du 14 : un symbole républicain ! Ainsi, voici une description de la fête du 14 juillet 1912 : « rares étaient les maisons de la route nationale et des différents quartiers qui n’eurent pas arboré les couleurs nationales (…) la fête s’est continuée dans le marais comme cela a lieu tous les trois ans. A 3 heures ½ des bateaux magnifiquement décorés et pavoisés venaient chercher au rivage communal M. le maire et le conseil municipal ainsi que les nombreux curieux qui, attirés par le charme d’une promenade en bateau, escomptaient bien trouver au bord de l’eau un peu d’ombre et de fraîcheur. MM. Mièze Frédéric et Planquette Charles, conseillers municipaux du marais (…). Les joutes organisées ont commencé aussitôt. Jamais elles ne furent plus intéressantes, huit passes successives eurent lieu (…). D’autres jeux et le mariage flamand, scène burlesque qui amuse toujours, terminèrent la fête (…) qui se clôtura par un bal champêtre chez M. Dubont-Castier »[8].

Ah, le bal du village ! Un grand classique. Là où je suis un peu plus perdu c’est cette histoire de « mariage flamand », un jeu qui existe à l’époque (j’en trouve la mention entre 1890 et 1912) et dont on a perdu la trace (si vous avez l’info ça m’intéresse, même Google ne connaît pas !). Pour les joutes c’est quelque chose qui a existé il n’y a pas si longtemps (et que je voudrais bien revoir !). Il semble que les habitants du village soient des spécialistes dans ce domaine puisqu’ils participent à un tournoi dans le Haut Pont le 24 juillet 1895, ou organisent un match aller-retour en juin-juillet 1896 contre Salperwick[9]. Une association tilquoise encadre cette pratique : la société du sport nautique.

Le mémorial artésien, 17 juin 1895

Le mémorial artésien, 17 juin 1895

Ce document est intéressant car il évoque d’autres jeux. Ainsi les courses à l’escute ; ce dernier est un bateau du marais audomarois, des barques individuelles (ou pour deux personnes), pas forcément très stables, sur 5 mètres de long. J’observe aussi parfois des « courses en périssoires », ancêtres du canoë, que l’on retrouve sur le tableau de Caillebote (oui, l’art a aussi sa place dans cet article !).

Gustave Caillebote, Les périssoires, huile sur toile, 155 x 108 cm, 1895, Musée des Beaux-Arts de Rennes.

Gustave Caillebote, Les périssoires, huile sur toile, 155 x 108 cm, 1895, Musée des Beaux-Arts de Rennes.

Pour « la lutte norvégienne », voici une description contemporaine trouvée : « elle se pratique avec des coiffures spéciales. Les lutteurs se placent dos à dos. Les coiffures sont attachées avec une corde. Sur un signal, les deux lutteurs tirent chacun en avant jusqu’à ce que l’un deux soit amené sur le dos »[10]. En plus des joutes, je retrouve en juillet 1893 « le dentiste comique ». Là encore, c’est un mystère ! (peut-être un simple divertissement)

 

En remontant un peu plus loin, j’ai retrouvé les jeux du 28 août 1859 à l’occasion de la paix ! Quelle paix ? C’est la fin de la campagne d’Italie, la France est intervenue pour repousser les Autrichiens (la grande phase de l’unité italienne). Pour fêter ça, plusieurs jeux sont organisés à Tilques, tels que la course au cochon, le mât de cocagne et le jeu d’oie. Après ces divertissements il y a un grand bal champêtre. Pour la course au cochon et le jeu d’oie, je mise sur des sortes de tiercé, avec peut-être le gagnant qui remporte la bête (ma sœur a gagné un lapin un jour de ducasse de cette façon). Pour le mât de cocagne, vertical ou horizontal, l’objectif est d’aller récupérer des objets.

Mât de cocagne, MUCEM, 1990.39.19

Mât de cocagne, MUCEM, 1990.39.19

Plus récemment, dans mes ducasses, ça partait aussi un peu dans tous les sens (en plus des manèges et autres des forains) : tournoi de football, balade en calèche, vélos fleuris (petite pensée à Alexandre dans mon fossé avec son vélo), concours de déguisements pour enfants, course de sacs, baby-foot humain, combat du sumo, rodéo mécanique, ventriglisse ou encore le tiercé à poneys (où j’ai rassemblé deux photos de mon père, la première où il passe en tête, la seconde où il va tomber !). Le soir de la danse country, danse traditionnelle, du karaoké, un orchestre pour danser, la retransmission des matchs (en année de Coupe du monde ou d’Euro) et bien sûr le feu d’artifice !

  Football, sports sanglants et jeux bizarres de ducasse

J’ai aussi connu les intervillages comme celui organisé à Tilques dans la pâture de Philippe Dassonneville au tournant de la décennie 1990. J’ai retrouvé des traces vidéos d’un autre, le 26 juillet 1992, à Bonningues les Ardres. Il rassemble le village local vs. Tilques vs. Nordausques vs. Tournehem. J’y vois notamment un jeu où on doit attraper des truites, un relais enfant mélangeant course avec une roue de vélo et montée à la corde, un tir à la corde entre les hommes forts… on m’a d’ailleurs raconté que les hommes du village s’entraînaient au tir à la corde en face d’un… petit tracteur des Wavrant ![11] Le dernier jeu, le plus spectaculaire, était une traversée de piscine où il faut éviter les tirs de l’équipe adverse. J’ignore qui a gagné mais ce n’était pas le plus important ! D’ailleurs mes jeux préférés restent ceux quand il y a de l’eau ! Je termine donc avec une bataille de polochon au-dessus d’une piscine lors de la ducasse 1996 !

 


[1] Interview Colette Lemaire-Auxenfants, 29 avril 2020.

[2] Interview Didier Helleboid, 28 avril 2020.

[3] Interview Philippe Dassonneville, 26 avril 2020.

[4] Interview Philippe Dassonneville, 26 avril 2020.

[5] Interview Didier Helleboid, 28 avril 2020.

[6] Le mémorial artésien, 28 août 1887

[7] Le mémorial artésien, 23 février 1908.

[8] Le mémorial artésien, 20 juillet 1912.

[9] Le mémorial artésien, respectivement 15 juillet 1895 et 14 juillet 1896.

[10] PETROV Raïko, L’ABC de la lutte, FILA, 2003.

[11] Interview Philippe Dassonneville, 26 avril 2020.

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26 avril 2020 7 26 /04 /avril /2020 16:51

Je vous ai déjà dit que j’ai été pompier ? Oh, seulement deux fois, alors que des proches avaient déclenché des incendies : la première fois chez moi, à Tilques, alors que mes sœurs avaient mis le feu à la friteuse ; la seconde en Guyane, quand mon petit voisin avait fait de même à... une carcasse de voiture ! A une autre époque,  j’aurais donc pu être un pompier de Tilques…

 

Des pompiers à Tilques ? Je ne connaissais pas cette information il y a 10 ans. Mais en 2013, devant l’école communale, s’est construit un petit hommage aux soldats du feu : le local d’exposition de la pompe à bras. A l’intérieur, une pompe à incendie restaurée et une photo des soldats du feu datant de 1933.

Les Sapeurs-Pompiers en 1933

Les Sapeurs-Pompiers en 1933

En haut, de gauche à droite : Albert Delozière, Abel Duvivier, Désiré Delozière, Abel Deufour.

3ème rang : Henri Portenart, André Loingeville, Alix Delannoy, Jules Dubout, Omer Sailly, Gaston Bertin, Omer Delannoy, Pierre Sailly.

2ème Rang : Léon Delaunay, Eugène Chaput, Adrien Loisel, Gaston Cappe, Adrien Helleboid, Léon Huyard, André Lahaye, Julien Dubout.

1er Rang, en bas : Jules Mièze, Victor Dalenne, Victor Lefebvre, Joseph Sailly, Lieutenant Benoit Regnier, Sous-Lieutenant Edouard Cappe, Auguste Lurette, Casimir Lefebvre.

 

Un document m’y raconte une petite histoire : un corps de sapeurs-pompiers communaux est créé en 1902, sous la conduite d’un lieutenant. « Elle comptait en outre un sous-lieutenant, deux sergents, quatre caporaux, un tambour et 2 clairons ».

Voilà mon information de base. Direction les archives du village. J’y retrouve la fondation : ils sont 48 volontaires qui s’engagent pour 5 ans. Leur drapeau est… béni dans l’église de Tilques le 9 novembre ! Ils manœuvrent et font des exercices une fois par mois. Une histoire de famille à sa tête, puisque le 1er lieutenant est Ovide Dassonneville, tandis que son sous-lieutenant est… Eugène Dassonneville ! Oui, mon brasseur !

Je retrouve aussi la trace d’une intervention : les 24 et 25 septembre 1946, avec la ferme Grébert qui est en feu. 25 pompiers sont mobilisés pour éteindre l’incendie. Il y a aussi dans le dossier une « médaille d’honneur des sapeurs-pompiers » décernée à Gabriel Viniacourt en 1946 (je ne sais pas trop ce que ça fait là !)[1].

Au feu ! Les pompiers tilquois

Là je peux m’arrêter en me disant « c’était sympa ces infos ! ». Ou alors je vais chercher un peu plus… direction les archives de la presse locale ! Le mémorial artésien est disponible à la bibliothèque de Saint-Omer (et en ligne) et il couvre une partie de cette période. Peut-être vais-je y trouver d’autres interventions des pompiers tilquois…

Bingo ! Ainsi je retrouve plusieurs incendies qui touchent des meules de foin, mais aussi les étables d’Isère Flament le 15 juillet 1902, le 14 février 1903 la ferme Stopin, le 16 mars 1904 l’écurie d’Amand et Louis Beauchamp, en avril 1904 chez Pouchain-Roere, le 17 juillet 1905 la ferme de Marie Pruvost, le 15 novembre 1905 la grange appartenant à M. Beauchamp… oui, sacré rythme ! 6 incendies en trois ans et demi, on comprend mieux la création du corps des pompiers, qui ne chôment pas. Ils n’interviennent d’ailleurs pas que dans le village : je les vois aussi à Saint-Momelin pour l’incendie d’un double hangar au cours de l’été 1906. Retour à Tilques en 1911, un feu détruit la ferme de M. Caffray, agriculteur[2]. Comme on peut le remarquer, nous sommes à une époque où les agriculteurs forment la majorité de la population. Et l’incendie est LA phobie : c’est perdre le bâtiment, les récoltes, les bêtes…

 

Ça y est, j’ai terminé. Ou alors… et si la compagnie ne datait pas de 1902 ? Et c’est là peut-être la clé du bon historien : déconstruire ce que l’on pense savoir, et chercher d’autres sources. Et c’est ainsi que l’histoire des pompiers tilquois va reculer de 35 ans !

 

Commençons cette histoire en 1834, le 6 octobre pour être précis. A cette date, il n’y a pas encore de pompiers ou de pompes à Tilques. Et un très grand incendie ravage quatre maisons du village en ce jour de ducasse. Je vous mets le récit complet car il est intéressant.

Le mémorial artésien, 9 octobre 1834

Le mémorial artésien, 9 octobre 1834

Un article mi-accusateur mi-paternaliste, rejetant presque la faute de cet incendie sur les habitants et leur demandant clairement de mettre en place eux-aussi, comme à St-Martin, une compagnie de pompiers ! Le feu de Tilques semble émouvoir jusqu’en haut-lieu, car le ministre du commerce accorde un secours de 365 francs et le roi lui-même, Louis-Philippe, accorde sur ses fonds particuliers une somme de 200 francs.

Une souscription est mise en place dans les villages alentours en faveur des incendiés de la commune (355 francs à Saint-Martin-au-Laërt, 82 francs à Salperwick, etc).

Le mémorial artésien, 16 novembre 1834

Le mémorial artésien, 16 novembre 1834

Il s’en suit trois décennies d’incendies où la population ne peut pas faire grand-chose. Le 15 février 1841 la maison de Pierre Delattre, cabaretier, est totalement détruite. On signale en 1850 et 1851 deux incendies de maison. En 1857, des enfants jouaient avec des allumettes et mettent le feu à la maison occupée par une veuve route de Serques.

Histoire un peu plus bizarre le 16 décembre 1858 avec l’incendie d’une petite maison, habitée par une veuve et sa fille. L’ensemble est totalement pris par les flammes. Or, la maison était assurée depuis peu, à une valeur de 600 francs, quand le propriétaire l’avait achetée 400 francs. Quelques jours plus tard, la justice débarque et le propriétaire est embarqué, soupçonné d’avoir lui-même mis le feu à la maison ![3] En 1859, pas de soupçon car c’est la foudre qui tombe sur une grange et la consume.

Une petite évolution arrive au cours de l’été 1863, alors qu’un incendie détruit complètement la ferme Alfred Bouvard, le meunier du village : s’il n’y a pas de pompe, il semble que l’usine Legrand amène de l’eau[4].

C’est au cours de l’été 1867 que j’observe pour la première fois l’action des pompiers tilquois. Et… ce n’est pas pour un incendie dans le village mais chez nos voisins de Salperwick ! Leur intervention serait d’ailleurs passée inaperçue si le maire de cette commune n’avait pas pris lui-même la plume pour remercier nos pompiers d’être venus.

Le mémorial artésien, 29 juin 1867

Le mémorial artésien, 29 juin 1867

« La première fois qu’ils se sont trouvés au feu ». Ainsi, la compagnie des pompiers de Tilques a dû être fondée en 1866 ou 1867. Son premier lieutenant est dénommé l’année suivante, c’est un… Bédague ! Je retrouve nos soldats du feu dans d’autres villages, comme à Serques ou à Saint-Momelin, en intervention en 1868, 1875 et 1890. A Tilques, le 4 juillet 1885, un incendie détruit totalement la maison des époux Petit, cantonnier aux chemins de fer quand le 7 mars 1888, les récoltes, les instruments de culture et les bâtiments d’hébergeage de la ferme occupée par Charles Lurette, sur la route nationale, sont détruits.

 

Néanmoins, il existe peut-être un petit problème technique révélé par l’incendie du cabaret de Désiré Grébert sur la place de Tilques le 26 mai 1887 : « on nous dit que Tilques ne possède pas de pompe à elle ». Des pompiers sans pompe ? Est-ce donc possible ? C’est que « la pompe fournie par l’usine de M. Legrand, fabricant de sucre, a été d’une très grande utilité ». Alors il existe bien une pompe pour lutter contre les incendies dans le village mais elle appartient à une structure privée, la distillerie Legrand. Tiens, mais qui est le maire en cette année 1887 ? Adolphe Legrand…

 

Est-ce suffisant pour protéger son plus grand bien ? Non. Car l’incendie le plus impressionnant date sans doute du 24 avril 1890 où, dans la nuit, la distillerie Legrand part en fumée. On parle tout de même d’un bâtiment sur 3 étages, de 80 mètres de long sur 46 mètres de large, « de la meunerie où se trouvaient entassés dans d’immenses greniers, plus de 600 000 kilos de grains de toutes sortes : maïs, blé, fèves, avoine, etc., les flammes ont pénétré dans les germoirs de la distillerie. En quelques minutes, le bâtiment plein de liquides inflammables et de matières des plus combustibles, est devenu un brasier ardent duquel il était impossible et dangereux d’approcher. (…) que pouvaient les efforts de l’homme et les jets des pompes contre ces flammes d’huile, de graisse et d’alcool, d’alcool surtout ? Trois grands réservoirs placés à 10 mètres du sol projetaient au loin des flammes bleuâtres. C’était un spectacle grandiose »[5]. Pas sûr que le propriétaire trouva ça grandiose ! Face au feu les pompiers de Tilques, de St-Martin, de Salperwick, la pompe de l’usine Belin, deux pompes et les pompiers de Saint-Omer. Les dégâts sont énormes (mais l’usine est assurée). L’incendie est observé depuis la tour Saint-Bertin où le veilleur de nuit averti la police.

 

Ainsi, nous pouvons observer l’histoire des pompiers de Tilques, longue d’un siècle. Elle prend fin avec la dissolution de la section en 1967, à une époque où elle ne compte plus que 6 hommes, et où aucun volontaire ne souhaite alors remplacer le lieutenant Sailly, atteint par la limite d’âge[6]. Les coûts devenaient trop importants pour remplacer le matériel et confiance était donnée aux pompiers de Saint-Omer pour arriver très vite.

 

A noter qu’il y a aussi à Tilques une garde nationale ! Cette invention de la Révolution, qui va durer au niveau national jusqu’en 1870-71, est une milice de citoyens qui fait un peu la police. Ainsi, en 1831 :

Le mémorial artésien, 25 août 1831

Le mémorial artésien, 25 août 1831

C’est la seule fois où je l’observe, j’ignore si elle a existé dans la durée.

 

Enfin, qui dit pompiers dit aussi… bal des pompiers ! Ainsi le 28 septembre 1913 est organisée « la fête de corps » des pompiers de Tilques, avec le bal à 9 heures du soir chez M. Lefebvre-Devin, place de Tilques ![7] En septembre 1904 c’était un banquet chez Sailly-Mièze dont je vous retranscris ici le récit, à peine grandiloquent.

Le mémorial artésien, 29 septembre 1904

Le mémorial artésien, 29 septembre 1904

Mais est-ce qu’ils vendaient déjà leur calendrier ?


[1] Mairie de Tilques, Archives, Série H2, Dossier Sapeurs-Pompiers Communaux.

[2] Le mémorial artésien, 19 août 1911.

[3] Le mémorial artésien, 18 et 22 décembre 1858.

[4] Le mémorial artésien, 18 juillet 1863.

[5] Le mémorial artésien, 25 avril 1890.

[6] Mairie de Tilques, délibération du 8 septembre 1967.

[7] Le mémorial artésien, 28 septembre 1913.

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20 avril 2020 1 20 /04 /avril /2020 12:10

On dit souvent qu’il existait trois personnes essentielles dans la vie d’un village : le maire, le curé, l’instituteur. Vous allez voir que les trois sont parfois reliés ! Et, comme souvent à Tilques, c’est une belle histoire de famille !

 

J’ai décidé de commencer mes recherches à la fin de la période napoléonienne, avec Pierre Lurette, membre de l’université et adjoint à la mairie en 1812, qui est aussi l’instituteur entre 1814 et 1821. Il passe donc de l’Empire de Napoléon à la monarchie de Louis XVIII, dans une période très mouvementée de l’histoire de France. J’ai assez peu d’informations sur cette période à Tilques, je sais toutefois qu’il est remplacé par… son cousin, Auguste Caron ! A priori il prend sa fonction sous Charles X, en 1827, et il est recensé instituteur entre 1831 et 1862 ! Autant vous dire qu’il a dû en voir grandir des Tilquois, surtout vu les conditions de travail : en 1847 il est à la tête d’une « école de 102 élèves des deux sexes, dont quarante sont instruits gratuitement »[1]. Nous sommes alors au milieu du XIXème siècle, sous la monarchie de Louis-Philippe, et les conditions de travail sont un peu différentes d’aujourd’hui !

 

Son successeur, Augustin Leullieux, est sans aucun doute LE personnage important de ce chapitre. Il est instituteur suppléant en 1862, le suppléant d’Auguste Caron donc, et il se marie avec… Marie Caron. A nouveau, ça reste en famille : Augustin Leullieux est le beau-fils de son prédécesseur (ils travaillent ensemble l’année du mariage).

Augustin Leullieux débute sa carrière sous l’Empire de Napoléon III, et la finit sous la IIIème République. Entre-temps, il a connu la défaite française face à la Prusse en 1870, la perte de l’Alsace-Lorraine, la mise en place d’une République dominée par… les monarchistes, puis son enracinement. Son rôle d’instituteur est essentiel, c’est le pilier de la politique des députés radicaux : alors que l’école n’est pas gratuite, ni obligatoire au début de sa carrière elle le devient avec la mise en place des lois Ferry : gratuité de l’enseignement primaire par la loi du 16 juin 1881, enseignement obligatoire et laïcité de l’enseignement le 28 mars 1882.

Augustin Leullieux s’installe aussi dans une nouvelle école… un don à la commune fait par les filles de Maximilien Legrand le 2 octobre 1874. Comme on le remarque, Adolphe Legrand est le maire à ce moment-là, et ce n’est pas qu’une école : c’est aussi la mairie.

Tilques, ses instituteurs.trices

Augustin Leullieux reste longtemps : plus de 30 ans ! Il voit passer de nombreux adjoints et suppléants. Ainsi, en l’espace de trois ans (1883-86) : M. Cordier part en 1883 pour Boulogne, M. Fournier arrive de la même ville et le remplace, M. Cressent arrive de Saint-Pol à l’automne, quand M. Pouchain part à Loos, M. Fermentel part en 1884 pour Carvin quand M. Gouble arrive du même endroit ; ce même M. Gouble part deux ans plus tard pour Thiembronne, remplacé par M. Delevaque, en provenance de Givenchy-en-Gohelle. C’est que l’instituteur adjoint ou suppléant est un travailleur précaire, déplacé au gré des envies d’une académie où le réseau est déjà très important.

En 1891, Augustin Leullieux est toujours recensé instituteur, avec Arthur Lefebvre en adjoint. Le 23 février 1893, alors qu’Alexandre Ribot préside le Conseil des Ministres, on dit de lui qu’il est en congé (pré-retraite ? il a 50 ans), et en février 1894 il devient instituteur honoraire.

Chose sans doute assez rare pour l’époque, on bénéficie d’une photo de classe ! A noter les quelques enfants qui ont la main dans la veste, pose très napoléonienne !

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 65.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 65.

L’installation dans la nouvelle école-mairie a dû donner des idées à Augustin Leullieux, puisqu’il est ensuite le maire du village (en 1900 et de 1902 à 1912).

 

En 1886, dans la presse, on précise quelque chose à son propos : il est à la tête de l’école publique laïque de Tilques. Pourquoi le préciser ? C’est qu’à la même époque il y a une école privée, tenue par… des religieuses !

Je situe leur arrivée au milieu du XIXème siècle, car elles ne sont pas présentes en 1846 et je les trouve sur le recensement de 1851 : Ortense Bocquet et Constantine Lehercke sont religieuses-institutrices rue des Processions. Lors des recensements suivants on parle toujours du chemin T, l’actuelle impasse T, où se situe leur école mais aussi leur domicile. Plusieurs se succèdent à un rythme rapide : Célestine Lepine est présente entre 1856 et 1861, Appoline Varlet en 1861, Augustine Dormart entre 1871 et 1876, Léontine Maniez entre 1872 et 1876, Joséphine Lemaire et Elise Dumont en 1881.

On précise parfois que ce sont des religieuses de la Sainte Famille, une congrégation féminine enseignante créée en 1816 dans l’Aveyron et qui reçoit l’approbation pontificale en 1875.

La plus connue à Tilques est Madame Sœur Bellet, Madeleine de son prénom, qui est institutrice privée entre 1890 et 1921. Léonie Rousselle est son adjointe en 1906. Je n’en trouve plus la trace en 1926.

L’école des sœurs en 1907.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 64.

L’école des sœurs en 1907. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 64.

Quelque chose frappe sur cette photo : on ne voit quasiment que des filles. Est-ce que les sœurs ne sont que des institutrices pour les filles ? En fait non, car je dispose d’une autre photo, datant de 1915, où on observe la présence de garçons. Pour se rendre dans l’école, on passe alors par l’ancien chemin Larivière.

L’école des Sœurs en 1915.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

L’école des Sœurs en 1915. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

Dans l’école publique, Augustin Leullieux est remplacé en 1893 par Edouard Dauthuille, en provenance de Magnicourt-en-Comté. Ce n’est pas un jeune, puisqu’il est le doyen d’âge des instituteurs du canton en 1899. Il est encore présent en 1906 (et doit partir à la retraite autour de cette date). Avec lui, je retrouve M. Deneux en tant que titulaire-adjoint : il arrive de la fosse n°1 de Bruay en octobre 1894 (c’est la date de la rentrée, l’année scolaire finit au 14 juillet… à croire que c’est calqué sur les moissons !) en remplacement de M. Lefebvre parti à Rollez-Verchocq. Mr Dauthuille est accompagné de M. Capet entre 1895 et 1904 (il arrive de Calais, devient titulaire en 1899 et part pour Bellebrune), et d’Hector Seigre en 1906.

En 1897, petite information intéressante : « le musée scolaire de l’école de garçons a reçu les dons suivants : […] les matières premières servant à la fabrication du savon des Princes du Congo, […] des échantillons de cacaos, sucre et vanille, entrant dans la fabrication de leurs chocolats »[2]. Intéressant car l’idée d’un musée scolaire est plutôt sympa, et que cela confirme donc qu’il existe une école de garçons. Et qui dit école de garçons dit école de filles…

Bibliothèque d’Agglomération du Pays de Saint-Omer, 40 Fi 2423.

Bibliothèque d’Agglomération du Pays de Saint-Omer, 40 Fi 2423.

L’image ci-dessus est datée de 1907. L’école des filles (« le gîte » comme on l’appelle encore parfois aujourd’hui) est toute récente : c’est Agénor Taffin de Tilques qui vend ce terrain du Brunevert à la mairie pour la construction d’une école de filles début 1906[3].

Jusque-là, je n’ai pas trouvé d’institutrice publique (aucune sur le recensement de 1906). A l’automne 1910, je vois Melle Bouchez et l’année suivante Mme Leclercq. Les deux restent une année (la seconde part pour Blendecques). Ce sont les arrivées de leurs remplaçantes, Berthe Cavry en 1911 et, en provenance de Seninghem, de Marie Grare en 1912, qui vont donner au village leurs « vraies » institutrices, de celles qui durent et qui marquent une génération complète. La première est encore là en 1921, la seconde est présente en 1932 ! Elle côtoie en 1926 Henriette Février et en 1932 Melle Grege. Celle-ci est toujours là en 1945, et on se souvient qu’elle arrivait de Moulle avec un grand vélo !

L’école des filles en 1932. A gauche Mme Grare, à droite Melle Grege.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 63.

L’école des filles en 1932. A gauche Mme Grare, à droite Melle Grege. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 63.

Dans le même temps, quelques mètres plus loin, les garçons rencontrent Aristide Pette, qui sera présent entre 1911 et 1926 (il est le directeur à cette date). Avec lui M. Bernard, instituteur adjoint au printemps 1912 en provenance de Lens, Léon Huyart en 1913, puis Paul Souillez. En 1931, c’est Gustave Défossez qui est recensé comme l’instituteur.

Le bâtiment n’a pas tant changé que ça : des volets habillent les fenêtres, quelques arbres et plantes supplémentaires, une cour fermée bien sûr et, tout en haut du bâtiment, peut-être une cloche ?

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 16.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 16.

Au tournant de la guerre, le directeur est Mr Merlier. Il est déjà présent en 1936, certains Tilquois ont encore aujourd’hui les souvenirs intacts : « j’écrivais de la main gauche, alors il fallait que je montre mes doigts et paf, un coup de règle ! »[4]. Anecdote amusante, on dit de lui qu’il était « très bien » avec la directrice de l’école des filles, Mme Belval ! Elle aussi est déjà présente en 1936.

L’école des filles en 1938-39, avec Mme Belval.  Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

L’école des filles en 1938-39, avec Mme Belval. Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 66.

Un autre instituteur présent dans les années 1940 c’est Paul Barrère. Il est fait prisonnier et passe plusieurs années en stalag. Apparemment il a été poussé vers la sortie au début des années 1950. Il côtoie quelques années Monsieur et Madame Gariniaux, arrivés en 1950.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Ainsi, Monsieur Gariniaux est le directeur de l’école des garçons, Paul Barrère est son adjoint, quand Madame Gariniaux est la directrice de l’école des filles, avec Régina Obaton-Baude en suppléante en octobre 1952. Cette dernière s’occupe des filles du primaires et du CP mixte : « on était suppléant 5 ans, après on avait la chance d’être titulaire. Moi je n’ai fait qu’une école. Un adjoint de monsieur Hannotel, M. Balligant a fait 17 postes avant de le devenir »[5]. Madame Obaton habite dans le gîte de nombreuses années (ci-dessous une photo de 1957).

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Dussaussoy Roland, Legrand Jean-Jacques, Tilques, la mémoire et l’histoire par les photos, 1999, p. 67.

Après le départ à la retraite de Monsieur Gariniaux (vers 1964-5), c’est l’arrivée de Monsieur Sauvage, et, rapidement de Monsieur Ricard (un an), puis de Monsieur Hanotel (vers 1970) que l’on voit paraître avec une 4L charleston. Chez les filles, Madame Gariniaux prend sa retraite en 1967, alors qu’une classe est supprimée. Madame Obaton récupère alors ses classes (un niveau d’âge fait ainsi toute sa scolarité avec elle ![6]). Au milieu de la décennie 1970, avec la chute des effectifs, une seconde classe est supprimée (c’est la fin du baby-boom !). Madame Obaton reprend la section enfantine et le CP (ce sera encore ses niveaux en 1984, lors de son départ en retraite) quand Monsieur Hanotel prend les deux autres classes en mélangeant les filles et les garçons : c’est le début de la gémination.

 

La gémination. Voilà un mot que j’ai appris pendant cette recherche : c’est le fait de mélanger les filles et les garçons à l’école. Pour moi, cela me semble logique. Pour la génération de mes parents c’était tout nouveau… puisque ce sont eux qui ont connu ce changement !

Pourtant, en 1862, il y avait environ 25% d’écoles mixtes lorsque c’était la seule solution pour scolariser les filles. Officiellement, la cour de récréation était… non-mixte, avec une claire-voie pour séparer les enfants ! En 1886 il est précisé que la mixité s’applique en-dessous de 35 élèves. Pourquoi ne pas géminer ? L’objectif est d’éviter les trop nombreux échanges entre filles et garçons, éduqués très différemment au XIXème siècle, mais aussi d’éviter tout risque de « promiscuité entre instituteurs et élèves filles, particulièrement lors des récréations »[7]. Hum.

Pour Tilques une disposition particulière existe, elle date de 1874 : « la famille Legrand a fait don de l’école à condition qu’il n’y ait pas de gémination » [8]. Et cette disposition est encore bien en tête dans les années 1950, alors… qu’André Legrand est le maire de la commune ! La construction de l’école des filles en 1906, 100 mètres plus loin, facilite grandement cette non-gémination.

Pour les élèves, la situation paraît normale, et « quand on avait des contacts c’était l’évènement ! »[9]. En 1972, l’école est encore non-géminée.

Il faut attendre 1965 au niveau national pour que la mixité devienne le « régime normal de l’enseignement primaire » pour les écoles nouvellement construites, et 1976 pour tous les degrés d’éducation (loi Haby). A Tilques, il faut une délibération de la municipalité pour passer outre les vœux de la famille Legrand !

 

Concernant mes professeurs, j’ai débuté en primaire avec Mme Guillemant-Bonnet en maternelle (arrivée en 1988, part à la retraite en 2011), puis Mme Baudelle-Mametz ma grande section (elle arrive en 1990 et part en 1999). Pour mon CP-CE1-CE2 c’est avec Mme Blanquart-Bruge. Elle arrive en 1985, en remplacement de Melle Delton (restée une seule année), et s’occupe de la petite section jusqu’au… CE1 (Mme Hanotel vient l’aider en plus de gérer la cantine) ! C’est qu’il n’y a que deux classes à ce moment-là.  Avec la construction du lotissement les inscriptions décuplent et deux nouvelles classes s’ouvriront. Mme Bruge part du village en 2005. J’ai terminé ma période scolaire tilquoise avec Mr Hanotel en CM1-CM2, en 1998. Il partira à la retraite l’année suivante.

Tilques, ses instituteurs.trices

Enfin, pour les années 2000 :

- je retrouve Mme Hennon au CP à partir de 2002, puis Mme Bellivier à partir de 2012 jusqu’en 2017 (qui récupère CP-CE1-CE2 après la perte de la 4ème classe), remplacé par Mr Hébert (de grande section à CE1). Quant à Mme Hennon elle récupère les maternelles après le départ de Mme Guillemant jusqu’en 2014, c’est aujourd’hui Mme Duisant.

- Mme Bodart reprend les CE1-CE2 en 2005 avant Mme Carpentier (2008-2009) puis Mme Rufin-Severac (2011-2015).

- Pour les « plus grands », après Mr Hanotel ça bouge rapidement : Mme Helleboid-Jumelle le remplace une année puis Mme Castelain avant l’arrivée de Mme Martelle (présente au moins de 2002 et 2007), puis Mme Forget (2009-10), Mme Jeu (2010-11), Sophie Ghys (2011-2016), Mme Jeunot et Sylvia Damie (depuis 2017, en charge des CE2 au CM2).

Ça défile ! (on est loin des 30 ans d’Augustin Leullieux !) Mais il n’y a pas à dire, ils continuent de marquer le village !

 

[1] Le Mémorial artésien, 2 janvier 1847.

[2] Le Mémorial artésien, 20 juillet 1897.

[3] Le mémorial artésien, 9 avril 1906.

[4] Interview Daniel Bouton, 28 février 2020.

[5] Interview Régina Obaton, 17 avril 2020.

[6] Interview Chantal Bédague, 20 avril 2020.

[7] VERDET Anne, Quand l’école séparait les filles et les garçons à la récré, Theconversation.com, 4 octobre 2016.

[8] Interview Régina Obaton, 17 avril 2020.

[9] Interview Chantal Bédague, 20 avril 2020.

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