Il est 6h45. C'est l'heure du réveil et très franchement, je n'ai pas envie. J'ai mal dormi, sans doute un mélange d'excitation et d'habitude de se coucher tard. Je suis encore fatigué, et ce n'est pas vraiment un bon signe quand on s'apprête à aller courir le marathon de Paris.
Un petit-déjeuner plus tard, je m'en vais vers mon tram. A la station, nous sommes 3 avec un dossard. Petits sourires. Il est 7h30. Puis c'est un métro, bondé de coureurs. Enfin l'arrivée sur les Champs-Élysées. C'est ici qu'aura lieu le départ de la 38ème édition. L'avenue est déjà bondée. Je m'en vais vers mon sas de départ : 4h00. Oui, 4h00, c'est le temps plus ou moins estimé de ma course. Je sors d'un semi-marathon de Lille à 1h35, mais ça fait déjà plusieurs mois. Et j'avoue partir dans l'inconnu. Mon entraînement n'a pas été très régulier. Je me suis surtout évertué à ne pas arriver blessé, comme c'était le cas lors de 2 semi-marathons (sur 3, saloperie de tendinite).
L'ambiance est bon enfant. Une sono nous tient informés de tout ce qui se passe, fait le décompte toutes les cinq minutes. Et surtout, il y a les entraînements collectifs ! Là, c'est folklore. Deux types surplombent les SAS, et suivent une musique entraînante. L'ensemble des coureurs participe à une chorégraphie, style Véronique et Davina. « On lève les mains bien haut, on applaudit, on lève le genou droit, on fait des talons fesses... ». Mais c'est assez marrant de voir 40 000 personnes se bouger les fesses ensemble. Une sorte de flash mob géant en fait.
Le premier SAS prend le départ à 8h45. Je n'y suis pas. Le premier SAS, c'est les barges. Ceux qui vont courir le marathon en un peu plus de deux heures, alors que je pense faire le double. Des types qui sprintent (pour moi), et ça pendant 42 kilomètres. Des monstres physiques. Alors on les applaudit, en sachant très bien qu'on ne les reverra pas (ils seront douchés et dans un avion pour le Kenya/Éthiopie avant que je sois arrivé!).
Et puis petit à petit, les SAS partent, un à un. Les 2h30, les 3h, les 3h30, les 3h45...
Le départ, 0-5 kilomètres, le plaisir
Nous sommes sur la ligne de départ. Enfin. Il est 9h35. Bekele (le futur gagnant) est déjà à mi-épreuve. Et c'est parti. On descend les Champs-Élysées sous un beau soleil. Je profite des cinq premiers kilomètres pour savourer l'ambiance, la chance d'être dans Paris sans voiture, je regarde un peu les monuments. Y a pas à dire, c'est tout de même une jolie ville !
Après le cinquième kilomètre, j'essaie de me concentrer un peu. Dans ma poche, j'ai un petit papier avec les temps de passage que je dois faire pour réaliser 4h00. Je suis bien dans les temps dès le départ. Ce n'est pas rapide pour moi, ce n'est pas fatigant. L'idée est de ne pas puiser dans mes réserves pour aller vite. Ces réserves, je vais devoir y piocher dans 20 bornes, autant les garder bien à l'abri pour le moment.
C'est fou le monde autour de moi. On est 42 000. Forcément, ça impressionne. 42 000 fous, sans aucun doute. Car courir un marathon est une sacrée folie. Je le sais déjà, je vais m'en rendre compte un peu plus encore ensuite.
5ème-29ème kilomètres, la course
Arrive la place de la Bastille. Je suis bien. Très bien même. Bon, il y a bien une petite douleur au genou droit dès le onzième kilomètre. Sur le coup j'ai un peu peur, ça sent la tendinite à plein nez. Mais mon genou est chaud, ça devrait tenir. Pendant une dizaine de kilomètres, c'est le bois de Vincennes. C'est la première fois de ma vie que je viens ici. Le château est sympa, il y a du monde dehors, dans le parc. Les coureurs autour de moi profitent de n'importe quel arbre pour pisser (j'ai l'impression d'être sur une étape du tour de France).
Les ravitaillements sont plutôt tranquilles. Et pour cause, j'ai pris mon sac « petit tuyau » avec moi. J'ai un litre et demi d'eau. Du coup pas de galère. Je me suis arrêté une fois sans grand souci pour récupérer du sucre et des raisons secs, puis quelques oranges. Mais il n'y avait pas de bousculade. Il y a beaucoup de bénévoles, l'organisation est rodée, ça se sent.
On repart vers le cœur de Paris, avec notamment les quais de Seine. Notre-Dame de Paris apparaît sur notre gauche. L'ambiance est assez folle dans les tunnels, avec des spots, de la musique électro et peu de lumière. On se croirait en boite de nuit. Les gens nous encouragent tous, même si tout le monde est plus ou moins à l’affût de la personne qu'il est venu encourager. Les groupes de musique (plus de 70 tout au long du parcours) rythment nos passages. C'est cool, c'est bon enfant. J'apprécie.
Au niveau des temps de passage, je suis bien. Plutôt régulier d'ailleurs, jugez-en plutôt :
0-5 28'16
5-10 28'36
10-15 29'08
15-20 29'11
20-25 31'45
Jusqu'ici tout va bien.
29ème-36ème, la souffrance
Mais j'ai fait une erreur. Erreur bête. Au 29ème, j'ai voulu manger. Oh, pas grand chose, une banane et quelques oranges. Ce n'était pas mes premières, ça ne devait pas être mes dernières. Alors je me suis arrêté au ravitaillement, faisant gaffe de ne pas glisser sur une peau d'orange (j'avais vu une chute au ravitaillement précédent). Et alors que je souhaite repartir...
Aie. 3 mètres. Aie. 3 mètres. Je regarde mon genou, le genou me regarde et dit « mais, c'est pas de ma faute ! ». Je pense la tendinite, je vois la tendinite. J'essaie de me relancer mais je n'y arrive pas. Je tente quelques étirements. Mais rien n'y fait. La douleur est atroce à chaque fois que j'essaie de courir. Je marche vers le 30ème kilomètre, celui du fameux mur. Mon souffle va très bien, la jambe gauche aussi. Mais à cloche-pied, c'est plus difficile. Je réessaie encore. C'est un échec. J'ai la haine. Je suis en colère. Mais je sais que je n'y peux rien. Je marche donc, en espérant que ça passe.
Les gens essaient de me motiver, pensent que c'est dans la tête. « Allez Jérémy ! ». Oui, sur mon dossard est écrit mon prénom. Et comme je marche, ils ont bien le temps de lire ! Autour de moi il y a de plus en plus de marcheurs. Ceux qui boitent, comme moi. Et d'autres, qui n'en peuvent tout simplement plus. Dès le quinzième kilomètre j'avais vu des gens en souffrance. A partir du 30ème, j'ai vu des gens dans un sale état. Des types allongés sur le sol, une civière à côté d'eux, la Croix Rouge à leurs côtés. Un mec en pleurs, qu'on est obligé de porter. Nombreux sont assis sur le sol, et attendent je ne sais quoi.
Entre le 30ème et le 35ème kilomètres, j'ai mis une heure et huit minutes. Dont un passage à la Croix Rouge. Là, c'est mon dernier espoir. On m'accueille très gentiment, on me file une poche de glace, on prend mon pouls, ma tension. J'en vois d'autres arriver, et en comparaison je vais très bien.
Et c'est là que je comprends : le marathon est une torture. Bon, une torture choisie (je viens d'écrire sur 12 years a slave, et il n'y a pas de comparaison). Une torture pour le corps. Pour les articulations. Une folie. D'ailleurs le premier marathonien, Philippidès, celui qui a annoncé aux Athéniens la victoire des Grecs face aux Perses en partant de Marathon, le premier qui a effectué ces 42 kilomètres, il est arrivé à Athènes, il a dit « victoire » et il est mort tout de suite après ! Si ce n'est pas une preuve de la dangerosité de cette épreuve !
36-42ème, la fin
Blessé, à cloche-pied, à quatre pattes, peu importe : j'arriverai au bout ! Il ne m'est pas venu l'idée d'abandonner, et qu'importe si au lieu de quatre je fais sept heures ! C'est une question de fierté, une question d'objectif, je l'ai dit, je veux finir un marathon ! Et je le ferai !
Le froid a fait du bien, je vois que mon genou a un peu dégonflé. Je tente de trottiner. J'ai mal, mais seulement un peu. C'est le moment, il faut repartir. Quand le genou sera chaud, je ne sentirai plus rien !
Et ce fut le cas. Quasiment. J'étais loin d'être aérien dans ma foulée. Mais je pouvais courir. Et je n'en demandais pas plus. Logiquement, je double beaucoup de monde. Je suis ici avec ceux qui pensaient courir le marathon en plus de 4h30, un rythme plus lent que le mien. Mais je l'affirme, ce sont eux les vrais marathoniens. Ce sont eux les courageux. Parce que Bekele, soit dit en passant, est un feignant. Le type court deux heures. Et c'est tout ! Ici, je suis avec des gens qui courent cinq heures ! C'est autre chose ! C'est plus de classe, c'est plus de mérite ! C'est eux qui devraient recevoir les médailles et le plus d'applaudissements ! Car courir deux heures, moi aussi je peux le faire, et souvent d'ailleurs ! Mais courir cinq heures, faut être sacrément motivé ! Et fou !
Je cours donc dans le Bois de Boulogne, espérant chaque seconde croiser un sosie de Brandao (sans succès). Le parcours est à nouveau plat (sur les quais de Seine, le nombre de faux plats montants est assez élevé, à ma surprise d'ailleurs, avec les tunnels qu'il fallait toujours emprunter). Je profite des dernières centaines de mètres. J'ai retrouvé le sourire. Ma poche d'eau est à sec, mais je sais que l'arrivée est là, sur cette bonne vieille avenue Foch. La boucle est bouclée. Je suis officiellement un marathonien. Je suis allé au bout. J'éprouve un sacré sentiment de fierté de ne pas avoir lâché. Je souris quand je reçois mon T-Shit « Finisher » et ma médaille. J'ai la classe, malgré un vieux K-Way vert Schneider Electric. Et je rejoins Alba, exténué. 42,195 km. 5'07''27. Putain de folie.
Ma Bucket List perd donc un seizième élément. Il m'en reste vingt-quatre. Pas mal pour un type de vingt-trois ans à peine. La suite, les courses, tout ça, tout ça, ce n'est pas encore défini. J'ai traîné un énorme hématome le lendemain et le surlendemain de la course, au niveau du genou droit. Je boitais sacrément bas. Mais ça ne m'enlève pas l'idée de recourir un jour un marathon. Quelques heures après la course, j'avais envie de crier haut et fort, tel un poilu : « Plus jamais ça ! ». Mais finalement, je me dis qu'un dix kilomètres en moins de 40 minutes ou un semi en moins d'1h30 sont des choses réalisables. Pour le marathon, plus en 2014, soyez-en assuré !