La démocratie est fragile comme la dictature.
Ce dernier mois, nous avons assisté à deux défaites de la démocratie.
Tout d'abord, il y a l’Égypte. Rappelez-vous 2011, la révolution. Je m'en souviens comme si c'était hier. J'étais sur Internet, en direct avec Al-Jazeera, dans la bibliothèque de l'université de Lille 2. Le vieux Moubarak, qui avait séjourné dans mon hôtel (true story), quittait le pouvoir après 20 ans. On imaginait une nouvelle destinée pour la grande civilisation égyptienne. Et puis...
Et puis les élections sont arrivées après une période troublée. Et c'est le parti le mieux organisé, celui des frères musulmans, qui l'emporta. Morsi devint président, légitimé par les urnes.
Des urnes que tout le monde semble avoir oublié depuis plusieurs semaines. Ce qui s'est passé en Égypte n'est rien d'autre qu'un coup d’État militaire. Mais nos belles démocraties occidentales n'en ont pas prononcé le nom. Un immense silence a résonné jusque dans les couloirs de l'ONU.
Faut dire que la victoire des « islamistes » Frères musulmans, n'arrangeait pas grand monde. Nos belles démocraties occidentales avaient un peu peur de l'islam politique, de ses abus. Et imaginez que ça marche...
Bon, ça n'a pas vraiment fonctionné. En une année les Frères Musulmans et Morsi avaient perdu une belle partie de leur légitimité acquise par les urnes. Beaucoup de décisions discutables et des résultats économiques franchement mauvais. Les dernières manifestations contre le président Morsi et son gouvernement furent immenses. Mais est-ce suffisant ? Est-ce que cela justifie et légitime un coup d'état par les militaires ? Des militaires qui jurent qu'ils vont rendre le pouvoir très vite, que la démocratie va l'emporter... Mais l’Égypte et les militaires, c'est une histoire d'amour. Coup d’État de Naguib, présidence de Nasser, El-Sadate, Moubarak... que des hommes formés à l'académie militaire. Et loin d'être des démocrates...
Imaginez un peu l'inverse. Imaginez un coup d’État renversant un président libéral égyptien. Un coup d’État qui amènerait des islamistes au pouvoir, à la mode iranienne. Imaginez un peu les réactions outrées des démocraties occidentales. Et aujourd'hui, rien. Un coup d’État militaire, quel coup d’État militaire ?
La deuxième défaite de la démocratie est le refus par l'ensemble des pays occidentaux d'offrir l'asile à Edward Snowden.
Pourtant, on parle ici du plus gros scandale d'espionnage de l'histoire. Les États-Unis ont espionné les conversations du monde entier. Au départ, la raison invoquée fut celle de la lutte contre le terrorisme. Avec le discours traditionnel : vous ne pouvez pas avoir à la fois une sécurité complète et en même temps une protection de la vie privée complète. Problème, l'espionnage ne concernait pas que les personnes susceptibles d'être des terroristes. Non, les autorités américaines ont également espionné les diplomates occidentaux, avant des négociations importantes. Ils ont également espionné des industriels... et glanaient ainsi quelques informations en toute illégalité.
Un seul type a réussi à sortir cette information démente : Edward Snowden. Réfugié à Hong Kong, puis en transit à Moscou, il a envoyé des demandes d'asile à beaucoup de pays occidentaux, Allemagne et France inclus. Il faut dire que ces pays ont grandement protesté par voix de presse. Ils étaient fort mécontents. Très. Enfin, un peu. Pas assez en tout cas pour accueillir l'incroyable informateur, poursuivi par la justice américaine. Et c'est ainsi la Russie, grande démocratie (sic!) et éternel opposant à Washington, qui a offert aujourd'hui un droit de résidence d'une année à Snowden.
Imaginez un instant que Snowden soit chinois. Imaginez qu'il ait dévoilé un programme d'espionnage chinois concernant l'ensemble du monde occidental. Ne pensez-vous pas que les pays occidentaux se seraient bousculés pour l’accueillir ?
Mais ici c'est les États-Unis. Un État de droit qui va respecter Snowden pendant son procès. Pas d'asile donc. Et tant pis si ce même État espionnait le monde entier, bafouant ainsi... le droit.
La démocratie, c'est donc le droit de se taire. Même au plus haut niveau.