13 septembre 2019 5 13 /09 /septembre /2019 22:19

Le territoire israélien est finalement assez petit : nous sommes partis de l´extrémité sud en début d´après-midi et nous voici arrivés dans le Nord en soirée. Haïfa. Clairement pas la ville qui nous laissa de grands souvenirs. C´est un lieu plutôt industriel qui demande du temps pour être apprécié. Les touristes que nous étions sont repartis un peu frustrés, le centre mondial Baha´i ayant refusé nos tentatives de visite ! (le bahaïsme est une "religion mondiale" influencée par le chiisme, je vous conseille de lire sur le sujet si vous êtes intéressés, ça reste flou pour moi, même après lecture !). Reste une vue sympa, faut pas se mentir !

Le Nord d´Israël, et du conflit israélo-palestinien en voyage
Le Nord d´Israël, et du conflit israélo-palestinien en voyage

Direction Akko (en hébreu), ou plutôt Akka (en arabe), ou plutôt Saint-Jean d´Acre pour nous autres Français ! Il suffit de traverser la baie pour rejoindre la ville des croisés, celle qui a vu Philippe-Auguste, Richard Coeur de Lion et Saladin se battre pour son contrôle ! Drôle d´idée tout de même que celle du pape Urbain II qui, dans la cathédrale de Clermont, demande à tous les chrétiens d´aller reprendre la Terre Sainte occupée par les Musulmans depuis 4 siècles. S´en suivront 8 croisades aux histoires mouvementées, permettant d´établir deux siècles de domination chrétienne sur cette zone (souvent française d´ailleurs). Acre est LA ville des croisés (non, pas les ligaments), celle restée le plus longtemps sous leur contrôle. Aujourd´hui cette histoire se retrouve directement dans les fortifications donnant à la vieille ville l´air d´une cage dorée. 

Le Nord d´Israël, et du conflit israélo-palestinien en voyage
Le Nord d´Israël, et du conflit israélo-palestinien en voyage

Acre nous a beaucoup plu grâce à son atmosphère et sa situation, une sorte de Saint-Malo posée sur la Côte d´Azur. La ville, à quelques kilomètres du Liban, regorge de communautés qui semblaient plus mélangées qu´ailleurs.

Nous terminons notre périple par Safed, petite ville religieuse posée dans les "montagnes" (plutôt des grandes collines) et le lac de Tibériade, également appelé Mer de Galilée, lieu saint par excellence : c´est la zone principale des actions du nouveau Testament, ainsi Jésus marchant sur l´eau ou la multiplication des pains. Et je pense que Jésus serait un peu triste de voir l´état des plages (la gestion des déchets est vraiment à revoir !). De l´autre côté du lac, la plateau du Golan, occupé par les Israéliens (ou annexé à la Syrie d´après eux !).

Le Nord d´Israël, et du conflit israélo-palestinien en voyage

La transition est parfaite (et je me félicite !) pour parler d´un aspect essentiel de ce voyage : la politique et l´histoire. Car partir en Israël/Palestine c´est se retrouver dans un endroit qui passe aux infos depuis ma naissance, et depuis la naissance de mes parents (et presque de mes grands-parents). Je rappelle rapidement l´histoire en quelques lignes (si vous êtes un spécialiste vous allez vous étrangler mais je dois simplifier pour ne pas écrire 400 pages !) : l´Etat d´Israël est créé sur les cendres de l´Empire Ottoman après une petite période de colonisation britannique sur un territoire appelé Palestine. Nous sommes après le génocide nazi, et le lieu est déjà peuplé de Juifs depuis de nombreuses décennies (avec une présence de plusieurs siècles pour certains). Les Palestiniens non-Juifs refusent cette création, tout comme les Etats voisins (Syrie, Jordanie, Egypte). S´en suivent plusieurs guerres (1948, 6 jours, Kippour etc.), avec un résultat : les Israéliens l´emportent sur le terrain militaire. Mais gagner la guerre est une chose, gagner la paix en est une autre. Après l´espoir de la période 1990 (Camp David, Rabbin etc.) vient le désespoir depuis 1996 (coucou Bibi Netanyahu !). Intifada I et Intifada II le retour, Gaza.... aujourd´hui ça donne quoi sur le terrain quand on voyage ?

Déjà l´aéroport nous a mis dedans ! 25 minutes d´interrogatoire individuel avec une agent du Mossad ! Rien que ça et c´était à Roissy ! "Pourquoi vous voyagez en Israël" [ne pas répondre "car je suis un fan de tonton Adolf"] Combien de jours ? C´est quoi votre métier ? C´est pas la rentrée ? Pourquoi vous arrêtez de travailler ? Qu´est-ce que vous êtes allé faire à Dubaï il y a 4 ans ? Euhhhhhh Combien de jours vous restez ? Euh, je te l´ai déjà dit, non ?! L´exercice est piégeux : elle pose plusieurs fois les mêmes questions, puis elle compare avec mon alcoolique, acolyte pardon, de voyage. Ca donne envie de faire des blagues, mais il vaut mieux éviter [pas sûr qu´ils apprécient le cri Allah Akbar au milieu de l´aéroport de toute façon]. Le même interrogatoire aura lieu à notre retour de Jordanie (alors que nous étions partis le matin même) et de Palestine. La sensation de l´aéroport était bizarre, surtout quand on a entendu nos noms appelés et qu´on les a vu s sur une liste de l´agent ! Forcément, j´ai pensé aux Palestiniens qui font l´aller-retour tous les jours...

D´ailleurs, et je l´ai appris là-bas : la Palestine n´existe pas. Celle des cartes en tout cas. Dans les faits, quelques villes (Jericho, Ramallah, Bethléem...) sont contrôlés par l´autorité palestinienne, mais elles ne sont pas reliées entre elles : l´Etat israélien contrôle 80% au bas mot de la Cisjordanie, et ces enclaves palestiniennes sont de plus, murées ! L´homme construit trop de murs et pas assez de ponts disait Newton. L´Etat israélien doit faire fantasmer Donald Trump car 4 milliards de dollars ont été utilisés pour murer la Cisjordanie, sans vraiment suivre les frontières officielles. Ainsi, nous avons traversé une frontière et un mur pour passer de Jérusalem Est à Bethléem, quand l´ONU dit que c´est la Palestine. Le mur est aussi impressionnant qu´à Belfast avec deux côtés très différents : blanc côté israélien, tagué de messages côté palestinien (on y réclame souvent la paix, la justice etc.)

quel mur ?

quel mur ?

C´est d´ailleurs ce mur, plus que notre absence de GPS, qui a ralenti notre sortie de la ville : on prenait des routes sur notre carte, et on nous disait au bout "ah, non, on ne passe plus là aujourd´hui, il y a le mur..." Ces Palestiniens sont-ils en cage ? La question se pose, mais pour Gaza pas de doute. Etrange sensation de voir cette ville au loin, alors qu´un blocus la coupe du reste du monde depuis 12 ans !!! Etrange aussi lorsque nous sommes sur la plage de Tel-Aviv et qu´un hélicoptère de l´armée israélienne passe au loin direction la cage, pas dorée celle-là.

Nous avons plutôt rencontré des filles israéliennes très à gauche. Clairement pas celles qui votent Netanyahu et sa politique colonialiste. Il n´empêche qu´elles expliquent aussi très bien les peurs du pays, comme les sirènes de Tel Aviv qui se mettent en branle, signifiant aux habitants : vous avez 90 secondes pour trouver un abri avant que la roquette arrive ! Nous n´avons pas connu ça (merci !), mais des roquettes sont tombées du Liban dans le Nord du pays lors de notre passage au Sud. Dans le même temps l´armée israélienne bombardait un lieu en Syrie et un autre en Irak.

L´Etat de guerre permanent. Aujourd´hui toutes les maisons ou appartements doivent avoir un abri ou une pièce forte. Toutes ! L´Israélien semble toujours se préparer au pire. 3 ans d´armée pour les mecs, deux ans pour les filles, obligatoire ! 

Petite scène dans le désert : nous roulons tranquillement quand un bruit sourd touche la voiture. Je m´arrête, et je pense que notre antenne qui bougeait s´est décollée, ou que l´on a heurté quelque chose. Je regarde : rien. Une deuxième énorme déflagration ! Boum ! Je ne comprends pas tout de suite. Je regarde à gauche, et je vois écrit : champ de tir pour tanks ! Et en effet, les tanks tiraient à côté de nous ! Impressionnant !!

Le Nord d´Israël, et du conflit israélo-palestinien en voyage

Et pourtant, aussi bizarre que ça puisse paraître, c´est un immense sentiment de sécurité qui a prédominé pour nous durant ce voyage. Ca a du bon, les Etats militaires et la surveillance de masse [sic !]

Est-ce que les choses vont s´arranger un jour ? Forcément j´en doute, et je suis pourtant un très grand optimiste. J´ai vu des communautés qui ne se mélangent pas, alors qu´elles ont tant en commun.... de la bouffe au bon Dieu lui-même ! 

Houmous israélien/palestinien

Houmous israélien/palestinien

Le gouvernement israélien est aujourd´hui tellement à droite qu´on se demande comment il fait pour continuer à pencher de ce côté-là à l´approche des élections ! Parvenir à la paix avec Bibi ? Non, je ne crois pas. Dans le même temps Gaza semble condamné à des décennies d´extrémisme et de misère, alors que le Hamas semble plus doué pour construire des roquettes qu´un programme économique et social...
En France, on a tendance à avoir une opinion assez pro-palestinienne, plutôt un soutien au petit David contre le gros Goliath (Israël n´est pas David cette fois !). L´Etat français n´a pourtant pas encore reconnu l´Etat palestinien (au contraire de 138 autres pays ! Allo Macron ?!)

"les pays développés" qu´on appelle ça, à savoir ceux qui ne reconnaissent pas l´Etat palestinien

"les pays développés" qu´on appelle ça, à savoir ceux qui ne reconnaissent pas l´Etat palestinien

L´espoir fait vivre. Clairement l´Etat israélien, vainqueur militaire, a les clés de la voiture qui emmène à la paix (il a aussi le moteur, la carosserie, les freins.... en gros les Palestiniens ont les feux de signalétique arrière !) Bibi n´est pas éternel, et ce sont de fait les électeurs israéliens qui décideront de gagner un jour la paix. Avec qui et comment, c´est une autre histoire.
 

Allez-y, c´est fascinant.

Partager cet article
Repost0
12 septembre 2019 4 12 /09 /septembre /2019 20:27

Le choix d´Israël/Palestine s´est fait au sein d´une short list : l´Islande, la Géorgie, le Mexique et même le Japon en faisaient partie ! Avec seulement 12 jours et une envie de diversité, c´est très vite apparu comme le choix idéal : de l´histoire, des paysages extraordinaires (dans le sens premier du terme), de la plage, du soleil, et un peu de politique ! (beaucoup en vérité) Et le symbole c´est forcément Jérusalem. LA ville. Difficile d´expliquer comment je l´imaginais, magique est peut-être le mot le plus adéquat, avec un foisonnement religieux incomparable.
A notre arrivée c´est pourtant vers la ville nouvelle que nous nous dirigeons, à la recherche de victuailles et de vie nocturne ; le lieu est adéquat, à des années lumières du coeur historique.

A Dunkerque, quand vient le carnaval

A Dunkerque, quand vient le carnaval

Le lendemain, nous franchissons les remparts, tels des croisés défiant Saladin, partant à la rencontre de David, Jésus et Mahomet. Bref, d´Abraham.

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

Le Mur des Lamentations, la Mecque des Juifs (comment ça j´ai pas le droit ?!). C´est le dernier vestige du second Temple construit par Hérode le Grand au premier siècle de notre ère (quoique les historiens ne soient plus tout à fait d´accord, je ne rentre pas dans le débat). 20 siècles nous surplombent. 

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

Le lieu sépare les hommes et les femmes pour la prière devant un mur de 500 mètres de long et 32 mètres de haut, craquelé, rempli de petits papiers laissés là par des pratiquants venus déposer ici leur prière. Les Juifs l´appelent simplement le Mur (Kotel), le terme de lamentations venant des chrétiens un peu moqueurs ! Une zone à l´ombre rassemble des Juifs orthodoxes effectuant une prière collective. Je regarde et j´écoute en silence. Frissons, même pour l´agnostique que je suis.

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)
Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

Au-dessus même du mur, de l´autre côté, le dôme du Rocher et la Mosquée Al Aqsa, 3ème lieu saint de l´Islam (comme Moscou est la troisième Rome ! oui, j´arrête avec les comparaisons religieuses !). Le lieu est seulement ouvert 3 heures le matin et 1 heure l´après-midi pour les non-musulmans (bon les Juifs n'ont pas l´air invités ! hormis à vouloir refaire une Intifada !). Le dôme est clairement le monument le plus impressionnant de la ville. Il a été construit en 691 par les Musulmans, pris par les croisés puis repris par Saladin.

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)
Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

Ce serait le lieu où Mahomet est monté au paradis. C´est également le lieu où Abraham est monté avec son fils Isaac pour l´offrir en sacrifice à Dieu. C´est également l´endroit où Salomon a bâti le premier temple. Oui, il y en a pour tous ici ! Presque dommage que le lieu ne soit pas ouvert à tous, ça rappellerait les points communs aux trois religions (un jour Inch´Allah !).

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

On se plaît à observer les petits footballeurs pas soucieux pour un sou des cris et du ballon qui vole dans ce lieu si sérieux. 

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

Côté chrétien, Jérusalem c´est aussi le chemin de croix et l´Eglise du Saint-Sépulcre ! Cette église rassemblerait le lieu de la crucifixion, la grotte où le corps de Jésus est déposé et c´est donc le lieu de la résurrection !

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

Nous nous asseyons pour lire cette histoire quand les cloches de l´église se mettent à sonner. Quelques minutes plus tard, c´est l´appel à la prière par le muezzin. Exceptionnel. Des pèlerins du monde entier nous entourent. Le quartier arménien paraît presque tranquille en comparaison (alors qu´une cathédrale, un monastère et la tour de David s´y succèdent !)

Enfin, sur le mont des Oliviers, en haut d´un immense cimetière juif, le soleil se couche sur l´Esplanade des mosquées.

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)
Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

Il y a tellement à dire sur cette ville et ses lieux saints. Je pourrais vous parler du souk, des loukoums et du thé, des bonnes soeurs et des juifs en papillote (ceci n´est pas une recette !). En sortant de la vieille ville, après une journée sacrément chargée, on se rend bien compte de la chance qu´on a eu de pouvoir l´arpenter dans son ensemble, faisant fi des frontières religieuses et des murs parfois trop présents. Jerusalem, c´est les religions du livre, c´est un symbole des liens qui unissent les trois cultes. Dommage qu´ils soient si désunis ici.

Le lendemain, c´est à Bethléem que nous continuons notre pèlerinage. Beaucoup de différences, et pour cause : nous passons côté palestinien. C´est pourtant à seulement 10 kilomètres au Sud de Jérusalem, et la majorité des Israéliens n´y a jamais mis les pieds (j´évoquerai la politique et nos perceptions dans le prochain article).

Bethléem est considéré comme le lieu de naissance de Jésus (et de David !). La basilique de la nativité est le lieu de pèlerinage le plus important, deux millions de visiteurs y viennent chaque année. L´église est administrée par l´église orthodoxe, l´église arménienne et le patriarcat latin. C´est parfois tendu entre les 3, quand ce n´est pas l´armée israélienne qui en fait le siège (en 2002). Bref, le lieu était sur la liste du patrimoine mondial en péril jusqu´à cet été ! (et c´est vrai que ça mérite quelques rénovations)

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)
Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)

La ville vaut aussi le coup pour ses petites ruelles et ses falafels, son gros bazar et la vue des alentours. Pas exceptionnel en soi, mais c´est notre première (et véritablement seule) incursion en Palestine. Ca le vaut.

Le départ, après une couchsurfeuse très sympa, vaut le récit. Il faut vous dire comment on voyageait avec Lucas : une voiture louée, et pas de GPS. Là où ça peut se compliquer ce sont les panneaux en hébreu, c´est à dire un autre alphabet, mais c´est traduit dans l´ensemble. N´empêche que pour sortir d´une grande ville c´est jamais facile. Prenez Paris, vous êtes dans le centre : pas facile de trouver un panneau écrit Toulouse. Nous on cherchait à rejoindre la Mer Rouge, avec nos deux armes : une carte routière et.... une boussole ! Oui, l´instrument du Moyen-Age ! Direction, plein Est ! Clairement c´est l´aventure. La preuve, une heure après notre départ de Jérusalem nous étions.... revenus au même endroit ! Tu parles d´un succès ! Tout n´est pas de notre faute (j´expliquerai demain) mais ça a le mérite de rappeler à quoi sert le GPS !

Jérusalem, voyage en terre sainte (et Bethléem !)
Partager cet article
Repost0
11 septembre 2019 3 11 /09 /septembre /2019 20:29

Quand je pensais voyager en Israel/Palestine, je n'imaginais pas trop mettre Pétra dans la boucle. Et puis, en observant la carte, nous nous sommes rendus compte qu'il n'y avait que deux heures entre la frontiere israélienne d'Eilat et la capitale des Nabatéens, l'un des lieux les plus exceptionnels de la région ! Ca a l'air facile de passer la frontière, allez, en route !

Et à l'aller, c'est en effet assez facile. On doit simplement payer une taxe de sortie du territoire de 100 shekels coté israélien (environ 25 euros). Pour Pétra, on n'hésite pas ! Pas de visa coté jordanien, et nous voici dans le royaume du roi Abdhallah II, fils du roi Hussein, lui-même fils du premier Abdhallah. La généalogie est plutôt intéressante, car le dernier cité s'est fait assassiner par un nationaliste palestinien sur l'esplanade des mosquées à Jérusalem après avoir annexé la Cisjordanie (le plus gros morceau de la Palestine de l'époque). Quant à l'actuel roi, il a joué dans la série Star Trek 3 ans avant son accession au pouvoir ! (un rôle muet, mais quand même !).

Un taxi nous emmène directement à Petra depuis la frontière (90 dinars). Nous traversons alors un paysage digne de Mars, à l'ouest du Wadi Rum. Tellement martien que des scènes du film Seul sur Mars ont été tournées ici ! (ainsi que dans les deux derniers Star Wars). Côté historique, la zone est également celle arpentée par T.E. Lawrence, plus connu sous son surnom de Lawrence d'Arabie, qui joue un rôle dans la révolte des arabes contre l'Empire ottoman pendant la première guerre mondiale.

Pétra, reine du désert

Allez, assez d'histoire ! Nous arrivons dans Petra, la capitale des Nabatéens ! Euh... bon, qui étaient les Nabatéens ? Attendez, je mets une photo pour vous motiver à suivre ce cours d'histoire du Proche-Orient!

Pétra, reine du désert

Oui, quand même ! L'image est mythique, le lieu l'est tout autant ! Pour arriver devant la Khazneh, et sa façade extraordinaire, nous devons entrer dans un canyon qui l'est tout autant !

Pétra, reine du désert

La faille a été creusée par l'eau (des wadi comme on dit ici) sur plus d'un kilomètre de long pour quelques mètres de large (seulement deux parfois !). Nous sommes littéralement entourés par des murs de pierre de dizaines de mètres de haut (jusqu'à 200 !) et passons ainsi dans ce canyon étroit pour rejoindre le lieu le plus connu du site. La Khazneh est... un tombeau ! Directement taillée dans le grès rosé, elle fascine par sa précision et sa vieillesse : elle date de plus de 2 000 ans ! Le lieu est longtemps surnommé le trésor du pharaon en raison de l'immense urne en haut de la façade (les Bédouins étaient persuadés qu'il y avait à l'intérieur un trésor, au point qu'aujourd'hui il reste des traces de balles sur l'urne !). L'intérieur est par contre inaccessible.

Nonchalance

Nonchalance

Voila, pour moi, c'était ça Pétra ! Sauf qu'au-delà de cette image il y a tout un site sur plusieurs kilomètres ! Et les Nabatéens n'ont pas chômé : tombes à n'en plus finir, colonnades, et même un théâtre romain ! Un régal tout au long du parcours !

Pétra, reine du désert
Pétra, reine du désert

Bon, qui étaient les Nabatéens du coup ?! Bonne question, merci ! C'était un peuple arabe de l'Antiquité, des commerçants (surtout spécialisés sur l'encens, la myrrhe et les épices). Ils commencent à devenir importants au IVeme siecle avant J-C et restent indépendants jusqu'en l'an 106 et l'arrivée des Romains (Trajan les annexe). Ils réussissent notamment à tenir tête aux armées d'Alexandre le Grand, et ont fait de Pétra leur capitale (protection facile, système aquatique ultra-perfectionné....). On estime que 20 000 personnes y habitent à l'apogée de la ville.

Pétra, reine du désert

Enfin, tout au bout du site (et après 800 marches à grimper sous un soleil de plomb !), il y a le Deir, moins connu que la Khazneh et c'est bien dommage : 42 mètres de haut et 45 mètres de large pour une façade qui n'a pas grand chose à envier à la première (c'est peut-être moins fin au niveau de la technique de sculpture). Au sommet, une urne funéraire de.... 9 mètres de haut !

Béééé oui !

Béééé oui !

Que dire de plus. C'est un lieu magique, un air de la vallée des rois et reines en Egypte avec le temple d'Abu Simbel en prime. Peut-être le plus beau site antique méditerranéen que j'ai vu tant il y en a (en nombre mais aussi en variété). La bonne surprise ce fut le peu de touristes sur place (souvent tout seul dans le canyon, une trentaine de personnes devant la Khazneh, etc.). La chaleur est importante, c'est clairement à prendre en compte, mais vous ne le regretterez pas.... même quand vous devrez repasser la frontière de l'autre côté. Car, à partir de là, ce fut un sketch comme seule l'administration peut en faire. Ceux qui ont lu les 12 travaux d'Astérix comprendront : nous arrivons côté jordanien, personne n'est là, on avance, on avance, au point d'être à la sortie. Dernier garde, qui nous dit.... allez au bureau 7. Nous y allons, on donne les passeports et les tickets de Pétra, qui normalement nous aident à payer moins cher pour sortir. On nous demande 40 dinars, or on avait déjà payé, selon nous, 40 dinars de plus à Pétra. Pas selon eux. On paye (on n'a pas le choix) et direction.... le bureau 4. Au bureau 4 on nous dit, non, c'est au bureau 12. Direction le 12, où on nous dit qu'on doit payer 10 dinars de plus. Pourquoi ? On ne comprend pas trop, sauf qu'on a pas le choix ! Corruption organisée ? On se pose la question ! Je n'ai plus de dinars, direction le bureau de change, puis retour au bureau 12 qui, une fois payé, nous envoie au bureau 4 qui, lui-même, nous renvoie au bureau 7.... oh, les gars, on ne pourrait pas tout faire avec la même personne !! On finit par sortir, les poches plutôt vides ! Et là, côté israélien, c'est le contrôle de sécurité et le passeport.... je garde ça pour un autre article, tant l'aéroport fut intéressant ! Toujours est-il que nous sommes revenus en Israël, prêts pour nos derniers jours de découverte !

Pétra, reine du désert
Partager cet article
Repost0
10 septembre 2019 2 10 /09 /septembre /2019 21:50

Après avoir finalement réussi à trouver notre chemin pour quitter Jérusalem (je sais, vous n´avez pas encore eu l´article, mais je fais dans le désordre en raison de problèmes techniques !), nous traversons la Cisjordanie (oui, c´est la Palestine officiellement, mais dans les faits c´est plus compliqué, j´y reviendrai). Direction la Mer Morte, à la frontière jordanienne. C´est ici que se cache l´un des grands mystères de cette planète : une mer où l´on flotte ! 

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge

J´ai vu des trucs chelous dans ma vie (un lac rouge m´a fasciné l´année dernière !) mais là c´est fort ! Car oui, je vous le confirme, pas besoin de nager car pas moyen de couler ! 

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge

La Mer Morte est chargée en sel (30%!), à tel point qu´on peut ramasser du gros sel dans le fond (ca peut servir si vous nagez avec des frites !). Elle est morte car elle ne contient pas de vie hormis quelques bactéries (bref, n´espérez pas pêcher pour réaliser le fish and chips !). Clairement une drôle de sensation, c´est à faire, mais pas plus d´une journée. Car la température extérieure est un peu chaude (43 degrés !), la température de l´eau ne raffraîchit pas (plus de 30 !) et la Mer Morte frustre : impossible de nager ! Chaque mauvais réflexe se paie cash (tiens j´ai un truc qui gratte dans l´oeil..... ahhhhhh le sel ! ahhhh ça pique ! ahhhhhh où est la douche ?!!). [Conseil féminin du jour : ne pas vous épiler la veille de la nage car chaque lésion vous fera souffrir !] 

Une banquise de sel

Une banquise de sel

Au-dessus de la Mer Morte, c´est Masada, lieu mythique pour les Juifs. Petit cours d´histoire : après avoir été un palace pour le roi Hérode, la forteresse de Masada devient le lieu de résistance des Juifs face aux Romains. Car en 72 après Jacques Chirac toute la Judée est occupée. Toute ? Non, car une petite forteresse résiste encore et toujours aux envahisseurs. Pas besoin de potion magique, juste d´un lieu stratégique : une montagne totalement isolée dans le désert et entourée de falaises (jusqu´à 450 mètres de haut !) Les Romains font le siège pendant 7 mois, et font construire une rampe d´accès de 100 mètres de haut par des prisonniers juifs ! Sacrés travaux ! L´objectif est d´arriver aux murs de la forteresse. Les Juifs présents décident lorsque leur cause est perdue de tous se suicider. Les Romains franchissent la muraille et prennent la forteresse devenue cimetière. Ce sacrifice est encore commémoré aujourd´hui en Israël (des soldats viennent y prêter serment "Massada ne tombera pas une nouvelle fois !"). 

Le lieu vaut le coup rien que pour l´histoire et si ça ne vous a pas convaincu, il y a une belle vue sur la mer Morte et des restes du palais d´Hérode (il avait plutôt une vue sympa sur sa terrasse !). 

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge
Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge
Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge

Le désert du Neguev. Oubliez les dunes, ici c´est rocailleux, c´est montagneux : une superbe désolation. Nous le traversons la première fois du Nord au Sud, puis en sens inverse. Quasiment en son milieu un cratère de 40 kilomètres de long, jusqu´à 10 kilomètres de large et 500 mètres de profondeur : le cratère Ramon. Ce n´est pas un impact d´une grosse météorite, "juste" l´effet de l´érosion (dame nature est une belle artiste !).

Devant nous se dresse un mur que nous escaladons comme de vulgaires sauvageons. 

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge
Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge

En haut, le paysage nous paraît lunaire. Enfin, c´est comme ça que j´imagine la lune, quoique c´est plutôt Mars à y réfléchir ! (avec des teintes rouges et noires au milieu du jaune) Dans cette immensité même une voiture lancée à 140 km/h a l´air de se traîner comme un escargot !

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge
Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge

Enfin, au sud du désert, ce sont Eilat et la Mer Rouge qui ouvrent leurs bras. Grosse station balnéaire, avec un air d´Ibiza, Eilat est sympa pour faire la fête (on a testé pour vous la plus grande boîte d´Israël, en effet il y avait de la place, des troupeaux de filles de 18 ans qui en paraissaient 15 et une scène digne du Tomorrow Land, j´ai vomi dans la boîte (oui ça vient comme ça, je soupçonne des glaçons !).

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge

Bref, pour le côté tendre et râgoutant, il y a la Mer Rouge, connue pour être l´un des plus beaux endroits de plongée et snorkelling au monde. En effet, à peine entré dans l´eau que les coraux enchantés et les poissons déjantés sont autour de nous (ils viennent mordre nos pieds ces cons là !), dans un arc-en-ciel de couleur. Fascinant, comme à chaque fois.

Alors pourquoi, oui pourquoi (pourquoi, pourquoi, pourquoi ce silence ? oh là, je m´emballe !) les Israéliens lancent-ils leurs déchets dans la Mer Rouge ? Littéralement. Restaurant en bord de mer. Une dame assise derrière nous. Un gobelet en plastique dans la main, vide. Elle le jette dans l´eau. What ???? Allongé sur la plage, un sac plastique s´envole. Personne ne réagit. Plouf, dans l´eau. Miam miam pour les poissons !
Enervant au possible, nous nous sommes bien sûr motivés plusieurs fois pour sauver dame nature, mais je suis inquiet pour la région si les comportements n´évoluent pas.

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge

Pour terminer, tout en haut d´Eilat, après une randonnée fantastique d´une bonne heure, le Mont des Ardoises offre un spectaculaire panorama : 4 pays autour de nous ! A gauche Israël, en face la Jordanie, un peu plus loin dans le Golfe d´Aqaba l´Arabie Saoudite et à droite l´Egypte ! Paye tes démocraties ! D´ailleurs, on part dans l´une d´entre elles (sic !), il paraît que Pétra vaut le coup d´oeil !

Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge
Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge
Israël, de la Mer Morte à la Mer Rouge
Partager cet article
Repost0
8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 20:02

Demain je dois quitter ma maison. Lui dire adieu. Je ne réalise pas. C'est chez moi, depuis ma naissance ou presque. Mes parents déménagent au cours de l'automne, et je pars sur un autre continent. J'ai trié mes affaires, fait des cartons. Qu'est-ce que je garde de 30 ans de vie ? Qu'est-ce que j'envoie à Emmaüs ? On accumule forcément quand on a une maison, c'est un luxe que le possédant d'appartement connait moins. Moi, quand je devais ranger ma chambre, je déplaçais mes affaires en haut, dans la salle de jeu. Une salle de jeu exceptionnelle, immense, où trône aujourd'hui un baby-foot qu'on a usé avec mon père, Alexandre et Romain. Le parquet a remplacé la vieille moquette bleue il y a plusieurs années, emportant ainsi le souvenir visuel des milliers de piétinements ressentis par les invités dans la salle à manger en bas pendant que nous gambadions en jouant aux gendarmes et aux voleurs et à cache-cache. Le tipi a été déserté depuis longtemps, et les jeux bien rangés dans leur boite (à une époque, après les gros repas de famille, on passait le lendemain à tout ranger, sacré souk !). En haut, il y a aussi un banc de musculation que j'ai voulu utiliser épisodiquement avec une motivation alternative, et une table de ping-pong made in papa, avec des grosses planches, nous faisait rire gamins. D'en haut j'aime la vue sur mon jardin, je peux voir celui de Gisèle à droite et celui des Helleboid à gauche. Devant, c'est chez Clément, puis le garage et ses vieilles voitures toutes cassées tandis que les Wavrant sont déjà un peu plus loin, et je les jalouse d'avoir un aussi grand trampoline.

Allez, je descends l'escalier, dans un salon qui a bien changé. Les vieux divans où on pouvait faire des cabanes et des batailles de pieds ne sont plus là, la télé a bougé deux fois, et c'était pas la même. L'horloge. Le tic tac. Le temps qui passe. Une maison, ça se construit, ça vit, ça bouge, ça se transforme. Et à la fin ça meurt. Revente qu'on appelle ça. Je m'imagine déjà passer devant dans quelques mois, alors qu'un autre gamin sera dans ma chambre. Salaud ! Rends la moi ! Puisque je te dis que c'est chez moi !

 

Chez moi. Ma maison familiale est peut-être encore plus importante pour moi que pour vous, qui lisez ces lignes. Car je n'ai pas d'autres chez moi. Je n'ai pas construit ma maison, je n'ai pas acheté un appartement, je ne suis même pas locataire ! Un SDF un peu particulier, je voyage, à gauche, à droite, mais je savais qu'à mon retour je retrouverais mon chez moi, ma maison, mon village, mes ami-e-s. Mes parents diront "le sud ça sera chez toi aussi, tu peux y mettre tes cartons". Oui, un peu. Mais pas tout à fait. Car chez moi j'éteins la lumière et je traverse le couloir pour rejoindre ma chambre dans l'obscurité la plus totale, je dis quelle heure il est en ouvrant les yeux en regardant par la fenêtre, et je trouve directement la vaisselle et la nourriture dans les placards. Chez moi je regarde l'herbe et je vois la balançoire qui font les poteaux du but, les fleurs qui seront bientôt détruites par le ballon, et Pépette et Lucky qui se baladent. Ma mère a les arrosoirs en main, mon père est dans le jardin ou coupe du bois. Je vais chercher le courrier en faisant signe aux voitures qui passent. Je vais dans le garage pour récupérer mon vélo et faire le tour du marais. Papy et mamy Didi arrivent à 12 heures pour le repas dans la 205 blanche, papy et mamy Jennifer à 13h30. Anthony est là, on va pouvoir jouer jusqu'à ce que la nuit tombe. 


Je sais, ce chez moi là n'existe plus, beaucoup sont déjà partis, trop tôt ou trop tard. Mais ce chez moi est incrusté en moi, je le revois quand je veux, au détour d'un coin de porte ou d'un coup dans le plafond de la cuisine. Ce chez moi, ce sont les bons et les mauvais moments, de ceux qui ont fait qui je suis aujourd'hui. Chez moi, c'est mes racines. Et on imagine mal couper un arbre pour le faire repousser ailleurs.

Alors demain, je serai déraciné, pour de bon. Je l'étais déjà en partie, comme tous ceux qui ont vécu un peu loin de chez eux. On a les ami-e-s d'enfance et les ami-e-s ailleurs, les souvenirs ici et là-bas, et plusieurs vies difficiles à relier. Frustrant c'est sûr, car la famille et les amis te manquent là-bas et là-bas te manque quand t'es ici. L'expatrié est un éternel insatisfait et je partais déjà avec une longueur d'avance sur cette thématique.

Reste une question : quand je rentre, où vais-je aller ? Le Nord, le Sud, ailleurs ? J'y ai déjà pas mal réfléchi et le Nord tient la corde. Où exactement ? Je l'ignore encore. Mais ça ne sera plus le 2 rue de Zutpré, Tilques. Allez, je dois dire au revoir à toutes les pièces de ma maison, comme quand on partait en vacances deux semaines. Cette fois, ce sera adieu. Les larmes aux yeux.

Déraciné
Partager cet article
Repost0
31 août 2019 6 31 /08 /août /2019 21:08

Il y a sept ans de cela, j'ai lu la moitié de l'Ancien Testament : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome pour Moïse, le livre de Josué, des Juges, de Ruth, I-II et de Samuel.  Pas une mince affaire en soi, tant les longueurs sont nombreuses. Le livre des Rois m'a d'ailleurs fait craquer et je n'en suis pas revenu. Aujourd'hui, en direct d'Israël, j'avoue que j'ai replongé ! Mon objectif : le Nouveau Testament. C'en est fini des meurtres et des méchancetés, je veux entendre la Bonne Nouvelle ! Le premier Evangile est celui de Matthieu, plutôt écrit vers l'an 80 du côté d'Antioche, en suivant principalement l'Evangile de Marc (j'y reviendrai !). Bref, un livre sacrément historique !  En voici un résumé, avec en vert les moments les plus connus, et en rouge les moments les plus surprenants.

 

Tout d'abord, le livre commence par revenir sur les ancêtres de Jésus (seulement la branche paternelle d'ailleurs !), via Abraham et David (42 générations en tout !). Sa naissance est forcément un moment-clé : "Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; mais avant qu'ils aient vécu ensemble, elle se trouva enceinte par l'action du Saint-Esprit" Sacrée histoire ! Joseph est plutôt dubitatif (je pense que je l'aurais été aussi !), il veut rompre les fiançailles, mais un ange apparu dans un rêve le fait changer d'avis. Après la visite des Savants (les rois mages), Joseph fuit en Egypte pour éviter le massacre des enfants de Bethléem décidé par le roi Hérode. Ils en reviennent après la mort de celui-ci. Que se passe-t-il pendant son enfance ou son adolescence ? Jésus faisait-il  pipi au lit ou a-t-il eu de l'acné ? Mystère ! Car l'histoire reprend sur le prêcheur Jean-Baptiste, celui qui va baptiser Jésus dans le Jourdain. "Bande de serpents !" lance-t-il à destination des Pharisiens (aucun rapport avec le PSG, c'est le nom donné à un groupe de Juifs, clairement l'Evangile ne les aime pas beaucoup car ils sont souvent surnommés serpents). Le baptême de Jesus voit le ciel s'ouvrir pour voir apparaître l'Esprit de Dieu descendre sur Jésus, avec Dieu déclarant "Celui-ci est mon fils bien aimé ; je mets en lui toute ma joie". Jésus est ensuite directement soumis à la tentation de manger, il résiste pendant 40 jours et 40 nuits (!!) et commence ensuite à prêcher. Il rencontre ses premiers apôtres, des pêcheurs qui vont le suivre (Simon surnommé Pierre, André, Jacques et Jean). Il  guérit et enseigne sur la loi, la colère... : ainsi "celui qui dit à son frère "Imbécile !" mérite d'être jeté dans le feu de l'Enfer." Un peu sévère ! Au sujet de l'adultère "tout homme qui regarde la femme d'un autre en la désirant a déjà commis l'adultère avec elle en lui-même. Si donc c'est à cause de ton oeil droit que tu tombes dans le péché, arrache-le et jette-le loin de toi" Un peu brutal ! L'enseignement sur la vengeance me plaît plus, il reprend l'oeil pour oeil et dent pour dent pour le transformer "si quelqu'un te gifle sur la joue droite, laisse-le te gifler aussi sur la joue gauche". Il faut aimer ses ennemis, donner, prier ou jeûner sans attirer l'attention sur soi, et ne pas juger les autres "enlève d'abord la poutre de ton oeil et alors tu verras assez clair pour enlever la paille de l'oeil de ton frère".  
A partir de là, c'est ce que je qualifie le temps des miracles : Jésus
guérit un lépreux, le serviteur d'un officier romain, beaucoup de malades, il apaise une tempête (costaud !), guérit deux hommes possédés par des esprits mauvais, un homme paralysé, une femme qui saigne depuis douze ans (!), ressuscite la fille d'un chef juif, redonne la vue à deux aveugles, la parole à un muet... Il ne chôme pas !

Il réunit ensuite ses douze apôtres : Simon (surnommé Pierre), son frère André, Jacques et Jean, Philippe, Barthélemy, Thomas, Matthieu, un autre Jacques, Thaddée (qq'un connait ??), Simon "le nationaliste" et "Judas Iscariote, qui trahit Jésus". Hé ! Spoiler ! Il leur demande de prêcher avec lui tout en les prévenant des persécutions à venir. S'en suit un discours que je qualifierai d'offensif "je ne suis pas venu apporter la paix, mais le combat [...] celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi." Il menace ensuite les villes qui n'ont pas changé de comportement malgré ses miracles. A partir de là se déroulent des joutes orales avec les Pharisiens qui essaient de piéger Jésus. Il guérit un homme à la main paralysée, un homme muet et aveugle, puis accuse certains qui doutent "Bande de serpents ! Comment pourriez-vous dire de bonnes choses, alors que vous êtes mauvais?" Il refuse ensuite de parler à sa mère et à ses frères (dont j'apprends l'existence !), considérant que ses disciples sont ses nouveaux frères. 

Ensuite c'est le temps des paraboles ! Concrètement, Jésus utilise des métaphores pour faire passer ses idées. J'avoue que je n'ai pas toujours tout compris, certaines sont sympas, d'autres m'embêtent plus. Le semeur est facile par exemple, c'est la plus connue : des grains tombent un peu partout, certains dans de la bonne terre, et produisent beaucoup d'épis. Ca fonctionne aussi avec la parole de Dieu il paraît. Puis vient la parabole de la mauvaise herbe, celle de la graine de moutarde, du levain, du trésor caché et de la perle, du filet... Quant à Jean-Baptiste, arrêté, la fille de la nouvelle femme d'Hérode (qui était sa belle-soeur au départ.... les histoires de famille vous savez...) demande sa tête !

Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (Le Caravage, Londres)

Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (Le Caravage, Londres)

Puis Jésus nourrit 5000 hommes avec cinq pains et deux poissons (il le refait plus loin, mais seulement pour 4000 hommes et avec sept pains !). Il marche ensuite sur l'eau (Pierre aussi !), guérit des malades et des malades, refait une joute orale avec les Pharisiens (qu'il traite d'hypocrites !) avant de dire à ses disciples "êtes-vous encore, vous aussi, sans intelligence?" Je ne le trouve pas toujours bon pédagogue. Pierre (le plus important des apôtres, je me demande parfois où sont les autres) déclare à ce moment-là que Jésus est le Messie (je l'aurais dit avant !!). Manque de chance pour lui, c'est là que Jésus annonce sa mort et sa résurrection (il va le faire trois fois). Pierre est triste, il lui fait des reproches. Jésus se retourne et dit à Pierre "va-t-en loin de moi, Satan ! Tu es un obstacle sur ma route, car tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les êtres humains". Bon.... Pas le best bro !

Tout d'un coup, en haut d'une montagne, c'est la transfiguration de Jésus, qui se met à briller et à parler avec Moïse et Elie, sous les yeux de Pierre, Jacques et Jean ! Dieu se met aussi à parler pour rappeler que c'est son fils. 

Revient le temps des paraboles avec le mouton égaré, celle du serviteur qui refuse de pardonner (sympas). Vient ensuite la vision économique de Jésus, et là, j'avoue, je ne comprends pas. Ainsi, "il est difficile à un homme riche d'entrer dans le Royaume des cieux". Puis, la parabole des ouvriers de la vigne, ceux qui travaillent huit heures reçoivent une pièce d'argent, comme promis. Ceux qui travaillent une heure reçoivent une pièce d'argent aussi, comme promis. "Ainsi, ajouta Jésus, ceux qui sont les derniers seront les premiers et ceux qui seront les premiers seront les derniers". Comprends pas le lien. Il chasse ensuite les vendeurs du temple de Jérusalem, tout en guérissant à tour de bras. Ensuite il... maudit un figuier ! Le malheureux n'avait rien fait, c'est juste qu'il n'avait que des feuilles et pas de fruit. 


Nouvelle joute orale avec les Pharisiens. Je vous la mets en entier, vous m'écrivez si vous avez compris la logique de  Jésus dans celle-la :  "Que vous en semble ? Un homme avait deux fils ; et, s'adressant au premier, il dit : Mon enfant, va travailler aujourd'hui dans ma vigne. Il répondit : je ne veux pas. Ensuite, il se repentit, et il alla. S'adressant à l'autre, il dit la même chose. Et ce fils répondit : je veux bien, seigneur. Et il n'alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? Ils répondirent : "le premier". Et Jésus leur dit : "je vous le dis en vérité, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu. Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n'avez pas cru en lui. Mais les publicains et les prostituées ont cru en lui ; et vous, qui avez vu cela, vous ne vous êtes pas ensuite repentis pour croire en lui". (j'aurais répondu la même chose que les Pharisiens, pas  vous ?). La parabole des méchants vignerons suit (pas la meilleure) puis vient la pire selon moi, celle du grand repas de mariage : un roi organise un repas pour le mariage de son fils, mais les invités ne veulent pas venir. Il finit par les tuer, et invite les gens de la rue. "Le roi entra alors pour voir les invités et il aperçut un homme qui ne portait pas de costume de fête. [...] Alors le roi dit aux serviteurs : "Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dehors, dans le noir. C'est là qu'il pleurera et grincera des dents". En effet, ajouta Jésus, beaucoup sont invités mais peu sont admis." La, je ne vois pas le lien entre la parabole, totalement injuste selon moi (ce malheureux n'avait rien demandé !) et la chute !
A partir de là la tension avec les Pharisiens augmente, "
malheur à vous, maîtres de la loi et Pharisiens hypocrites" que Jésus répète sept fois ! Il leur annonce d'ailleurs à cette occasion la destruction du Temple. 

La dernière parabole, celle des trois serviteurs, m'embête aussi : un maître part en voyage et confie sa fortune, respectivement 500, 200 et 100 pièces d'or, à trois serviteurs. Le premier et le second font du commerce avec la somme et rendent le double au maître qui les félicite. Le dernier a préféré cacher l'argent pour ne pas le perdre. Son maître l'engueule, lui dit qu'il est mauvais et paresseux, prend la somme, la donne à celui qui a déjà 1000 pièces d'or et met dehors le malheureux "dans le noir, là où on pleure et grince des dents". Non ! C'est totalement injuste ! Sacrée apologie du capitalisme en tout cas !

 

Viennent enfin les épisodes finaux, avec Judas qui dénonce Jésus pour 30 pièces d'argent, juste avant le repas de Pâques. "L'un de vous me trahira" qu'il dit, avec aplomb, suscitant la tristesse des disciples. Il rompt ensuite le pain, prend la coupe de vin etc, et annonce à Pierre que celui-ci le reniera trois fois dans la nuit (ce qu'il fera). Jésus est arrêté par une foule nombreuses de gens armés d'épées et de bâtons, envoyée par les chefs des prêtres et les anciens du peuple juif. Il est jugé par ceux-ci et condamné a mort, jugement confirmé par Ponce-Pilate. Judas, pris par les remords, jette l'argent et part se pendre

Jésus n'est pas libéré car la foule en choisit un autre, il est cloué sur la croix et meurt en criant "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné?" J'avoue que ce cri me surprend ! Il est mis dans un tombeau, des gardes le surveillent. Pourtant Jésus ressuscite, dit "je vous salue!" à deux Marie et se montre à ses onze disciples restants, leur demandant d'enseigner et de baptiser en son nom.

 

La fin est très rapide, limite plus que Game of Thrones (je pensais avoir le droit à la marche de Jésus avec sa croix, et à au moins plus d'infos sur sa résurrection et ce qui se passe ensuite, là ça tient en deux paragraphes !) De façon générale, j'avoue que je suis un peu déçu. Je pensais trouver un Jésus plus pacifique, compréhensif, moins jugeant. Les paraboles laissent beaucoup (trop) d'espace à l'interprétation (mon nouveau testament est accompagné d'explications à côté, je suis loin d'être toujours d'accord). Le récit désigne souvent les Juifs (les Pharisiens) comme les coupables de tous les maux du peuple, ça m'embête énormément. A voir ce que me dit Saint-Marc, mais j'ai bien peur que ça se ressemble...

Partager cet article
Repost0
23 août 2019 5 23 /08 /août /2019 22:20

Déjà 14 mois. C'est ce que doit se dire mon grand-père alors qu'il arrive à Marseille. Entre l'Allemagne et Châlons sur Marne, c'est déjà 14 mois qu'il n'a pas faits en Algérie. Et officiellement le service dure 18 mois....

Le 8 janvier 1958, la carte postale est écrite à Marseille « je suis bien arrivé à Marseille, le voyage en train s'est bien passé, cette nuit je couche ici, au DIM, pour le logement et la nourriture c'est plutôt dégueulasse mais comme j'embarque demain à 8h ça sera vite passé. La mer est plutôt mauvaise car le vent souffle en rafale, espérons que le mal de mer m'épargnera ». Une photo est prise le lendemain, c'est le bateau sur lequel papy embarque pour sa traversée de la Méditerranée, direction l'Algérie...

Papy fait son service militaire (3/3) : la guerre d'Algérie

Drôle d'histoire tout de même que celle de ma famille, puisque le père de Papy était allé en Algérie pendant la première guerre mondiale, pour former des soldats algériens pour se battre pour la France. Et voilà que son fils y va, mais cette fois c'est la France qui se bat contre les soldats algériens...

Le 11 janvier, c'est d'Oudja qu'il écrit sa première lettre africaine : « ma longue traversée de l'Algérie vient de se terminer, elle s'est très bien passée, et vraiment vous savez chers parents c'est un magnifique voyage car d'Oran je suis passé à Sidi-bel-Abbès pays de la légion et puis Tlemcen et ses environs, région montagneuse pour enfin passer la frontière et arriver à Oujda. J'ai fait la connaissance des arabes et de leurs bourricots légendaires, des fameux gourbis, des mechtas, et aussi des médinas, ici il fait très bon on se croirait au printemps en France, tout est vert, les orangers et les citronniers sont chargés de leurs fruits, des arabes sur les quais nous les vendent 100 francs pour 20 ! et des grosses ! […] Je ne m'étonne plus que les soldats d'Algérie nous prenaient pour des tout petits, les planques d'armes de France et même des bons à rien car je les ai vus en passant dans leurs postes isolés de tout en pleine nature sauvage, gardant la voie ferrée ou un pont ou encore une route ou un tunnel, ils sont admirables et vraiment ce soir je me demande à quoi j'ai servi moi ? […] j'arriverai à Casa lundi matin, ça va me faire presque huit jours de voyage c'est pas dégueulasse et sans débourser un seul rond, je crois que plus jamais je n'aurai l'occasion d'en refaire un pareil, depuis deux jours je suis soldat d'Afrique et j'en suis fier"

 

Le 13 janvier, « ici à Casa il fait vraiment un temps magnifique, un ciel tout bleu, et le soleil qui chauffe comme au mois de juin en France, tout est vert, et bien des plantes sont en fleur, et avec ça le vent semble parfumé des orangers qu'il traverse, ce soir de ma fenêtre je vois Casa tout illuminé, beaucoup d'immeubles ont plus de 10 étages, […] et tout est blanc. […] Grand-père tu me demandes des nouvelles de ma traversée, tout ce que je peux dire c'est que je suis prêt à recommencer ! Ça ne m'a rien fait du tout […] Ma traversée a duré 26h et se trouver en pleine mer pour la première fois est plutôt impressionnant, mais la vie sur un bateau est vraiment belle à voir, rien ne manque, une vraie ville flottante, et comme les matelots étaient presque tous des Marseillais je me suis bien fendu la pomme […] plusieurs mouettes ont fait la traversée avec nous, ainsi que des dauphins aussi gros qu'un cochon gras ! […] Hier j'ai fait toute la traversée du Maroc, d'Oudja à Casa, plus de 800 km parmi les orangers et la verdure »

 

Le 15 janvier, « quelques mots pour vous donner un peu de mes nouvelles, qui sont très bonnes, j'ai mon affectation, je me retrouve à la B.C.S., Batterie de Commandement et de Service, comme magasinier transmission, mais comme ils sont déjà deux je donne un coup de main à l'armurier et au magasin d'habillement […] je suis mieux logé, à 15, dans une belle piaule avec vue sur la mer et sur la ville […] la nourriture est bonne, meilleure encore qu'à Châlons, et très propre, mais les corvées tombent assez drues, corvée de soupe, de réfectoire, de couloir, de bureau, comme des bleus ! ».

 

Quelques jours plus tard, papy a rencontré quelques têtes connues dans le civil « Jimmy Denis, un Govard, un Lavogiez » « Demain, je vais à l'instruction de nouveau, car depuis hier je suis affecté au mortier, comme artificier, alors il faut que j'apprenne les fusées, ici fini la radio, car je ne connais pas le morse, et au Maroc tout marche en graphie, la phonie est inconnue […] et les mortiers c'est vraiment la planque, une heure d'instruction le matin, autant l'après-midi, et voilà la journée finie, et si je partais en Algérie c'est l'équipe mortier la plus en sécurité, tu dois le savoir toi hein grand-père, les mortiers sont en arrière. Je vous envoie quelques vues de Casa, vous voyez que c'est une belle ville, et je ne regrette pas d'être ici, pour mon service j'espérais voir du pays, et bien je suis servi, l'Allemagne, la France et maintenant le Maroc, je n'en verrai plus autant ».

"Souvenir de Casablanca, janvier 1958"

"Souvenir de Casablanca, janvier 1958"

Le 22 janvier, déjà du mouvement « j'ai une grande nouvelle à vous annoncer, j'espère qu'elle vous laissera aussi indifférents que moi, le régiment quitte le Maroc le 1er février, j'ai appris cela hier matin, nous embarquons sur l'Atlas II le 2, et de là nous allons à Bône, après re-chemin de fer et destination la ville de Touggourt dans le sud algérien, d'après les gars venus nous chercher là-bas c'est la vraie planque, on monte la garde deux fois par semaine, et entre deux repos complet, nous allons garder une usine de produits chimiques dérivés du pétrole et le secteur est très calme […] vous voyez que je vais encore en voir du pays hein ! ».

Le 25 janvier, « je suis allé à Médiouna, au tir au mortier de 81 où je suis artificier, ça me plaît beaucoup, je suis chargé de mettre la charge correspondante à la distance de tir, c'est très facile, j'obtiens ça avec un petit calcul, vous savez chers parents je vais devenir fort en calcul mental ! Et mon boulot se termine par la mise en place de la fusée, et aussi quand on tire avec des obus à court-retard je règle le retard du coup, c'est très intéressant, après je passe l'obus au pourvoyeur qui lui le passe au chargeur et en voiture ! » La semaine suivante, après avoir tiré 120 obus « le soir nous étions tous à moitié sourds, vous êtes des fameux artilleurs nous a dit notre lieutenant ».

 

Est-ce que papy est à nouveau chanceux ? Je le pense bien ! « Je n'ai pas encore monté la garde alors que tous mes copains de Châlons l'ont montée déjà trois, et même quatre fois, l'explication de ça c'est qu'ils ont oublié mon nom sur la liste de garde ! Et je ne dis rien... ». Néanmoins ses parents n'ont pas l'air très heureux « je vois que ma nouvelle de départ ne vous enchante pas, mais surtout ne vous faites pas de bile » « Tu sais maman tu me parles toujours de Châlons et bien moi je ne le regrette pas Châlons et je suis bien content d'être venu ici, et maintenant de partir dans le sud, à choisir j'aime mieux partir à Touggourt que de revenir à Châlons. »

 

Le départ est repoussé à plusieurs reprises « ce matin encore on se crevait à charger les camions et puis au rassemblement de 2h tout était changé, on ne partait plus le 7, et on a commencé de décharger pour avoir les camions libres ! Du vrai cirque, […] même le colonel y perd son latin ». Le trajet aussi bouge « tout le monde part par le train, un beau petit voyage en perspective ». Du coup, un peu de temps supplémentaire pour voir la ville de Casablanca (avec beaucoup de cartes postales), et autres activités : « je m'étais fait couper les tifs à la Marlon Brando ».

Avec Jimmy Denis, direction l'Algérie

Avec Jimmy Denis, direction l'Algérie

Le 13 février 1958, papy écrit d'Oujda, le 16 février « presque à Setif […] je suis passé par Blida, maison cané, Alger, Palestro et j'ai traversé tout l'Aurès et il y en a des troufions ! Dans les villes traversées tous les civils nous font de grands gestes, ils ont l'air content de nous voir ! Mais tout a l'air tranquille, et on ne peut pas se faire une idée que dans des coins ça barde, car tout a l'air paisible et calme ». Le lendemain, c'est à Philippeville que le voyage s'achève « nous sommes là pour une dizaine de jours car il va falloir récupérer le matériel embarqué par bateau […] ce matin tu sais cher grand-père je suis passé à Constantine et j'ai pensé à toi, et vraiment c'est un beau pays que l'Algérie, et je ne regrette pas d'y être ». Deux semaines passées dans une caserne à 100 mètres de la mer, à décharger un bateau, puis c'est reparti en train, arrivé à Tebessa le 3 mars. Et, finalement, le 5 mars, en direct du Kouif ! « je suis dans un bled entre Tebessa et Touggourt, et ma batterie garde une mine de phosphate […] j'ai encore une fois eu du pot car […] nous gardons le village européen, les ingénieurs et spécialistes qui sont Français, Italiens et surtout Espagnols […] les Européens ils sont contents de nous voir et vous verriez tous les gosses qui nous entourent !! Je me rappelle moi-même avec les boches ! »

C'est le moment où je fais un point géographie, avec une carte du trajet de papy depuis Marseille, jusqu'au Kouif, à la frontière de la Tunisie, en passant par le Maroc... un sacré périple ! (cliquez sur l'image pour mieux voir).

Papy fait son service militaire (3/3) : la guerre d'Algérie

Concernant le travail, « à part mes deux heures de garde sur 24 h je ne fais rien, je bricole ou je joue aux cartes, et le régiment nous a apporté des jeux de société, « bidets » ; dames, jacquet et jeux de boules ! Nous sommes comme des rois […] comme secteur il est très calme, les gars qu'on a relevés étaient là depuis un an, et ils n'ont jamais rien vu, le plus pire ennemi c'est l'ennui disent-ils ». Quelques jours plus tard « si ça continue c'est pas ici que je dérouillerai mon flingue, on ne voit jamais rien ». L'explication est peut-être à trouver dans la lettre du 7 mai « d'après un ingénieur, la mine leur verse deux millions par an pour avoir la paix ! Et vous savez c'est très possible moi je le crois volontiers. » Quelques jours plus tard, il se corrige « et bien il y a erreur, c'est tous les mois... »

 

Concernant les nouvelles de la famille qu'il reçoit ce n'est sans doute pas toujours très joyeux ; ainsi « je vois que les frangines ne sont pas « aidées » non plus, ce sont des tristes sires mes « beaux » on peut les foutre dans le même sac, et hop à l'eau. » Le 14 mai « elle m'a appris que Monique était à l'hôpital ». Fin septembre, « alors ce pauvre oncle Winoc est mort, encore un que plus jamais je ne reverrai, depuis que j'ai l'uniforme il y a déjà pas mal de gens qui sont morts ».

En mai, il parle de « la communion à Michel », il envoie une carte de bonne fête à sa mère qui, de son côté, pense toujours au salut de papy « Oui maman, il y a une église et un curé, et comme à Houlle il y a messe à 8h et 11h […] et il y a une mosquée à 300 m de chez nous et tous les jours on entend « leur curé » qui du haut du minaret braille je ne sais quoi !"

Il reçoit aussi des consignes de l'armée, « je suis bien tous les conseils qu'on me donne, pas de tête nue au soleil, ni de boissons alcoolisées ».

Et, une photo, avec cette légende « souvenirs d'une mémorable cuite »...

Papy fait son service militaire (3/3) : la guerre d'Algérie

Mais c'est surtout de la France que les nouvelles arrivent en cette année essentielle qu'est 1958. Ainsi, en mars, « d'après les journaux c'est plus calme ici que dans certains coins de France ! […] si ça continue on va revenir en France comme maintien de l'ordre ! » Le 30 avril « il y a de grandes chances que le nouveau gouvernement vote au moins 3 mois en plus avec la situation actuelle », confirmé le 4 mai, « on va sûrement faire 27 mois […] tout ça c'est de la faute à tous ces saligauds du gouvernement », le 14 mai « il paraît que le gouvernement a décidé de maintenir la 1-B « durée illimitée » faut pas qui pousse les pépéres hein […] des types bien « renseignés » prononcent même le nom de..... de Gaulle, vous vous rendez compte ! Le grand Charles au pouvoir !». Pour le coup, papy est dans le vrai, car le putsch d'Alger a débuté la veille (l'armée prend le pouvoir en Algérie!), et de Gaulle est rappelé de sa retraite (enfin, il s'est montré très disponible!). Dans son PS, il écrit « si de Gaulle vient au pouvoir je compte à peu près 999 au jus !!! ». Le 18 mai, « quelques mots pour vous dire que tout va bien, malgré tout ce gros bordel avec le nouveau gouvernement, comme vous le savez sans doute, en Algérie nous dépendons que de notre chef : le général Salan […] il fallait que ça arrive, car tout général ou colonel qu'ils sont, ils commencent à en avoir marre de voir leurs petits gars se faire buter pour rien, et tous ses salauds du gouvernement qui ne font rien, il est temps qu'ils trouvent un remède pour voir finir cette putain d'Algérie ».

 

Parfois je ris bêtement en lisant certaines lettres, ainsi, le 15 avril 1958 « je vois que le ménage à François Hollande va de pire en pire ».... non, je ne pense pas que ce soit le même ! Le 20 avril « la semaine prochaine ça sera du lapin au menu car des voisins en ont oublié une dizaine au parc la nuit dernière, et naturellement ce matin il en manque un, le plus gros....... c'est peut-être pas bien mais pour améliorer l'ordinaire il faut bien se démerder hein ! ». En parlant animal « il y a pas mal de scorpions, sous chaque pierre, et des vipères et serpents de plusieurs sortes, ainsi que des lézards assez gros […] toutes les nuits nous avons un « concert » donné par les chacals ! Vous savez ça gueule un peu aussi ces bêtes là ». Le 10 juin « d'après les copains je grossis comme une vache ! »

Il écrit parfois quelques mots d'arabe pour son père mais « je ne garantis pas l'orthographe [… et] à la quille on pourra peut-être comploter tous les deux sans que maman ne comprenne rien ». « Je leur dis « ZOB » à tous !! »

 

Comment sont les rapports avec la population locale ? Pas mauvais à première vue, comme lors de la fin du ramadan « des voisins musulmans nous ont offert le dessert, des beignets, un gâteau à la semoule, avec du miel et une pâte fruitée à l'intérieur, des dattes et des bonbons, vous voyez que nous sommes bien vus ». Quelques semaines plus tard, « je vous envoie une photo, je suis sur le devant du poste avec un copain et des petits voisins musulmans qui nous connaissent très bien, ils sont toujours sur nos « talons » le jour que nous avons les pluches, s'il n'y a pas d'école ils travaillent comme des bons !!! ». Début juillet « nous sommes mieux avec les arabes qu'avec les Européens car tous les soi-disant Français du Kouif m'ont l'air d'être des beaux sa..... ! […] vous savez, c'est pas étonnant que des types se révoltent, un mineur de fond, à 10h de boulot par jour gagne au bout du mois.... 20 000 francs pour le boulot qu'ils font c'est dégueulasse, non, à la quille, je ne serai pas d'accord avec les ex colons ».

Papy fait son service militaire (3/3) : la guerre d'Algérie

Toutefois, le 30 avril, mon grand-père évoque des scènes un peu dérangeantes, « toutes ces primes là sont pour les rempilés, les flics et C.R.S., et en général ces derniers on les voit que rarement et ils jouent les gros durs, l'autre jour ils ont cassé la g----- à un jeune arabe, pour quoi ? Il avait tout simplement volé un paquet de cigarettes au débit de tabac, le pauvre gars (13 à 14 ans) n'a pas pu se relever tout seul ! Pour ces coups là ils sont bons, mais le jour où ça pète dans un coin on ne les voit pas aller […] ici c'est comme ça tout ce qu'on peut piquer on le pique, et vous savez chers parents les copains qui vont en opération et qui fouillent les mechtas en ramassent ! Tabac, œufs, bricoles... et parfois du fric.... tout y passe, le tout c'est de pas se faire piquer par « les grands chefs »».

 

Le 21 mai 1958, « il m'est arrivé un drôle de tour ! J'étais de garde à l'entrée du village quand j'ai entendu pleurer dans une maison et ça gueulait, surtout les femmes qui hurlaient […] et voilà que je tombe sur un..... macchabée, tout frais, il venait juste d'avaler son bulletin de naissance ! »

 

Le 13 juin, « je regrette de ne pas être.... marié ! Car ceux de ma classe qui y sont partent en permission à la fin du moi, mais nous les « célibats » on fait de nouveau tintin ! ». A partir de ce moment là le mot quille apparaît très souvent, sans trop savoir quand sera la fin du service en raison des changements de gouvernement. Fin juin, deux fellagas se rendent « je l'ai vu arriver, les deux mains sur la tête, le fusil en bandoulière, il s'est arrêté aux barbelés, et a levé les bras, j'avais envie de le tuer, et puis dans les jumelles il m'a paru jeune (il a 17 ans!) […] il a fallu que deux patates viennent se faire constituer prisonniers pour que je vois des félousses en chair en en os ! Ils sont comme nous, depuis les chaussures jusqu'au chapeau ! Le même équipement !! ».

 

Le 2 juillet, je retrouve dans sa lettre un « PS : ci-joint, des tracts de propagande..... » avec un bulletin « toutes les nations du monde libre approuvent et soutiennent le général de Gaulle », ainsi qu'une grande photo et le message du général de Gaulle à Alger. A côté du paragraphe sur l'armée « qui n'en a pas moins accompli, ici, une œuvre magnifique de compréhension et de pacification », papy a écrit « ! » et « ? ».

Papy fait son service militaire (3/3) : la guerre d'Algérie

La météo est à la base de toutes les lettres, notamment le siroco « très chaud, c'est le vent qui est brûlant […] on dit que les arabes sont fainéants mais vous savez c'est pas étonnant car dans cette chaleur on n'a pas grand courage ».

 

Le 20 juillet, « comme vous l'avez sans doute appris par les journaux (il paraît qu'ils en ont fait un plat) mon régiment a accroché sec à 18km du Kouif, mais rassurez-vous je n'étais pas là, j'ai su ça le midi, c'est un groupe de reconnaissance qui est tombé sur une bande importante, il y a eu deux morts de chez nous « 1ère Batterie » il paraît que les journaux français ont exagéré question perte chez nous, la vérité c'est 6 morts et 15 blessés côté 39 de la 1ère et 3ème Batterie, […] les rebelles d'après le bilan officiel ont perdu plus de 100 mecs, deux postes tunisiens qui nous tapaient sur la gu---- ont été foutus en l'air par l'aviation, nous avons au P.C. un trophée, un drapeau tunisien ! Notre batterie a déclenché un premier tir, mais on était trop loin (nous avons blessé des copains avec un tir trop court) […] mais les autres … !! sur 200 pélots […] où les salauds étaient réfugiés, il paraît que notre tir les a hachés, il y avait un tas de cadavres, ils n'ont jamais cru que l'artillerie allait tirer en Tunisie, notre pitaine nous a réunis le soir, et nous a félicités, il en pleurait le vieux ».

Le journal le Monde évoque en effet l'incident « De violents combats se sont engagés; des renforts ont été envoyés sur place et l'aviation est intervenue à plusieurs reprises. [...] Les informations selon lesquelles nous aurions eu dix tués ne sont pas officiellement confirmées, et, d'Alger, une dépêche de l'agence France-Presse assurait même jeudi en fin de matinée que nos pertes, " peu élevées ", étaient inférieures à ce chiffre. D'après les renseignements diffusés par le porte-parole de la Xe région militaire à Alger, c'est à partir du territoire tunisien, au nord du Kouif, qu'une forte bande du F.L.N. a attaqué et pris sous un feu d'armes automatiques et de mortiers deux unités françaises patrouillant le long de la frontières. Les autorités tunisiennes ont assuré pour leur part que les combats s'étaient déroulés en territoire algérien ».

La période devient tendue, le 31 juillet « à une vingtaine de bornes d'ici ça pète à nouveau depuis ce matin à 10h, mais aujourd'hui il y a du monde, plus de 1 000 soldats sont là et ils ont accroché près de la frontière, l'aviation est de la partie, des bombardiers et chasseurs, je crois que les felousses en prennent plein leur gu----  […] j'ai eu à choisir, ou la position de batterie comme chargeur (sous la tente, pas beaucoup de garde, mais être appelé en opération avec nos 105) ou le poste comme depuis que je suis ici, et j'ai choisi..... le poste au moins je suis à l'ombre, j'aime bien l'artillerie mais ici il fait trop chaud, et puis.... avec ces cons de « bicots » on ne sait jamais, ici, s'ils viennent, ça serait plutôt étonnant car ils ont deux postes à passer avant nous!

Quelques jours plus tard « j'ai bien cru attraper 15 jours de tôle pour un de ses fumiers de felousses.... défunt, un arabe avait trouvé un macchabée près de sa mechtas, il a prévenu les gradés, comme de bien entendu c'est la B.C.S. qui a eu la corvée, j'en étais, le gars était assez « faisandé » avec la chaleur on ne voulait pas creuser, alors on a eu une idée de génie.... on l'a incinéré à l'essence ! Mais ça n'a pas plu au commandant. Enfin, tout s'est arrangé mais le prochain coup un autre ira ! Mais c'est le deuxième, deux jours avant c'était un vieux […] je suis pas fossoyeur de métier moi !! »

 

« Le 1er août je suis passé...... bricart [c'est à dire brigadier] et je ne le savais pas ! Ça va me rapporter deux mille ballades de plus par mois, c'est toujours ça hein !!! ». La tête est toutefois à la quille, comme quand « Péron se marie ! Si ça continue il ne va pas rester grande jeunesse au pays à la quille, ils vont pas m'en laisser une ces vaches là ».

Papy fait son service militaire (3/3) : la guerre d'Algérie

En France, les sabotages et attentats se succèdent (25 en région parisienne entre août et septembre 1958), « ils sont en France tous les felousses ! », « ça barde plus en France qu'ici ». Le 28 septembre, c'est le référendum pour la mise en place de la Vème République « enfin pour moi je crois que votez oui, votez non on sera toujours les cons !! »

 

Le 1er octobre, « quelques mots pour vous donner un peu de mes nouvelles, j'en ai une grande à vous annoncer car je vous écris de l'infirmerie où je suis depuis lundi après-midi car j'ai attrapé la jaunisse !! ici on est à 7 dans une piaule tous plus jaunes les uns que les autres, ordinairement on devrait être hospitalisés à Constantine mais l'hosto est déjà plein de « jaunes » et il n'y a plus de place […] je suis bien content d'être ici car c'est fini les opérations et la garde pour un bon moment ». 5 jours plus tard avec « mon teint de citron pressé ! […] depuis longtemps je n'ai pas été aussi heureux et tranquille, personne ne vient m'em........ ». Sa période d’hôpital dure quatre semaines, jusqu'au 28 octobre « heureux comme un prince ». Surtout, une période de convalescence doit suivre, et le 3 novembre « on vient de me prévenir que j'embarque le 6 ou le 8 pour la France, je quitte la Kouif demain matin à destination de Bone, je pars pour 29 jours, c'est pas dégueulasse ! ».

 

S'en suit un retour à Houlle avant d'avoir une nouvelle lettre datée du 7 décembre, en provenance de l'infirmerie d'Arras, après que « la route m'a paru assez courte, une ambulance comme ça elle a vite fait le trajet, 100-120 à l'heure je vous prie de croire que ça fonce ! ». Le 11 décembre il est à Amiens, et papy se retrouve affecté à un centre d'instruction, au 406ème « je vais avoir la planque parait-il ». Et pour cause, c'est le retour des permissions, notamment à Noël. Et « toujours le même boulot........ je ne fais rien ! ». Papy se retrouve les deux mains bandées à cause de verrues mi-janvier, et voici sa dernière lettre, datée du 29 janvier « 7 au jus ! ».

 

Finalement, son Algérie est étonnante à suivre : un jour il a envie d'action, et le lendemain il se souvient de la chance qu'il a d'être tranquille. Un jour il peste contre les fellagas, le lendemain il comprend leur révolte.

De mon côté j'avoue que je me suis régalé de ses lettres. Mon grand-père écrit bien, bien plus lisible que moi en tout cas, avec un langage fleuri ! Et j'ai l'impression de l'avoir eu à côté de moi pour me raconter son Algérie alors qu'il n'est plus.

Qu'en reste-t-il aujourd'hui, en plus de ses lettres ? Quelques médailles qui décorent un carton. J'ai aussi d'autres lettres, qu'il a envoyées à ma grand-mère, au moment où ils commencent à se côtoyer. Mais c'est une autre histoire.

Allez, je vous laisse avec les derniers mots de la dernière lettre : « Quelle belle vie hein ! Dommage que c'est bientôt fini.... ! La quille bordel ! Bons baisers à tous deux ».

"à ma petite Thérèse, 28 décembre 1958"

"à ma petite Thérèse, 28 décembre 1958"

Partager cet article
Repost0
15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 14:28

Après 6 mois allemands, voici la deuxième étape du service militaire de mon grand-père : Châlons-sur-Marne, à partir du 8 avril 1957. Dès la première lettre, écrite le soir de l'arrivée, papy a un pressentiment « à première vue, je ne suis pas trop mal tombé ». Le lendemain, c'est confirmé « j'ai reçu mon affectation, je suis de nouveau dans un bureau!  […] nous avons été passés en revue par le colonel, il nous a dit que nous avons de la chance de venir là, et qui si nous ne faisions pas le con, nous serions les plus heureux de la Terre […] à part ça la nourriture n'a pas l'air d'être trop mauvaise, c'est surtout ça le principal. Ce soir je change de chambre, j'espère que je serai mieux que dans celle où je suis en ce moment car nous sommes trop nombreux à..... 32, ce n'est plus la piaule de Reutlingen où nous étions trois ! Enfin je serais sous la tente dans un djebel quelconque ça ne serait pas mieux ».

 

De retour en France, un mot apparaît de plus en plus dans les lettres « pour les PERMS, je peux prendre 24 heures tous les dimanches, où je ne serai pas de service. Mais vous savez chers parents 24h ce n'est pas lourd ! ».

 

Le 13 avril, papy a reçu une lettre « de Rousselet qui lui est à Tozeur en Tunisie. Il n'est pas gai, sous la tente isolée à 60km à la ronde, du sable partout, mal nourri, et presque pas de flotte, il se lave une fois par semaine, pour pouvoir en boire un peu plus et avec ça les coups durs sont à craindre dit-il car les fellagas vont se reposer par là, et c'est pour ça que ce poste là a été créé, alors vous savez chers parents je suis un rude veinard. […] PS : je suis grossi de 3kg ! »

 

Une semaine après son arrivée, c'est le retour au travail « vous savez chers parents, je suis vraiment un veinard, car je me retrouve magasinier au magasin des transmissions de l'école, je suis avec 4 anciens mais il y en a un qui a la quille et c'est moi qui vais le remplacer. Je vais changer de piaule sûrement jeudi, d'une chambre de 32 je vais passer à une de 4, plus d'appel, exempt de rassemblement, et de corvées, mais pas exempt de garde, enfin je n'ai pas le droit de me plaindre. Mon boulot consiste à donner aux élèves les postes qu'il leur faut le matin, et à les reprendre le midi, ou le soir, je vais apprendre aussi à les régler, et à contrôler leur état de marche, je travaille au son de la musique car il y a un poste qui marche en permanence (Europe 1 et Luxembourg) je suis vraiment très bien, la responsabilité que j'ai est assez importante, mais cela n'est rien car le boulot me plaît vraiment. […] 2ème canonnier Guilbert Alexandre, Service des transmissions, E.A.A. ».

 

Le 21 avril, « c'est vraiment une drôle de fête de Pâques qui se prépare pour moi car je suis de garde de ce soir 7h à lundi soir 7h, et en plus de ça mercredi matin je défile dans les rues de Châlons pour la venue d'un général, grande tenue, boutons astiquées, etc, etc, le grand merdier quoi ! Où sont les dimanches de Pâques où je montais sur les planches ? C'est loin tout ça.... mais ça reviendra, dans 18 mois !  […] tu sais chère maman, tu peux te rassurer, il n'est plus question de faire de la moto, car après un essai le colonel a dit que je n'étais pas assez lourd, car dans les virages je faisais de sacrées embardées, et si je n'avais pas rencontré un grillage je serai peut-être à l'heure qu'il est dans la région d'Honolulu ! Je viens de faire ma lessive, et pour un essai c'est pas brillant, car j'ai fait bouillir mon blanc avec..... des chaussettes de l'armée, et alors tout a déteint.... « putain » c'est pas jojo !»

 

Fin avril c'est la première permission, avec le train jusqu'à Paris Est, puis Gare du Nord, et direction Saint-Omer. « Mon retour s'est bien passé, à Paris j'ai vu Montmartre, mais je n'ai pas vu la tour Eiffel ! Enfin, ça sera pour la prochaine fois ! » A mi-mai, deuxième perm, « tu sais chère maman, je vais te donner du boulot à laver, c'est surtout pour ça que je repars ! ».

 

Les nouvelles de la famille arrivent aussi, ainsi pour sa grande soeur « j'espère que le ménage Massemin va mieux, il ne changera pas, elle doit l'user comme il est, mais c'est vraiment un drôle de coco ». Quelques mois plus tard « j'ai eu des nouvelles de Marie-Rose, elle m'a appris que son « fou » avait fait une démonstration de « brisetout », il ne changera pas ce con là, le plus qu'elle regrettait c'était le poste, vous parlez d'un fellaga ce con là, je vais finir par croire que sa place est à l'hosto à St-Venant, le plus malheureux c'est pour René-min ». Le mois suivant « le ménage a l'air d'être rétabli, enfin le « fou » avait plutôt une sale gueule, mais c'est l'habitude alors... » [j'en discute avec ma mère et ma tante, j'en apprends un peu plus sur ma famille et ses secrets!] De même quelques jours plus tard « bonjour chez Monique et si Hanscotte emmerde le monde, François n'a qu'à lui faire une grosse tête il a de grandes paluches lui ! ». C'est tout de même étrange de lire ces lettres et de remonter le passé. Papy me parle d'une comète qu'il a vue dans le ciel, de la défaite de ces « cons du LOSC » 7-1, de Jacques Anquetil ou des manifestations du 1er mai 1957.

 

24 mai 1957. « Je profite de ma lettre pour te souhaiter une bonne fête des mères chère maman, et je regrette bien de ne pouvoir te la souhaiter de plus près, car tu sais ici au régiment on s'aperçoit que sans sa mère on est bien perdu, surtout au début du service, avec le temps ça se tasse, mais tu sais rien ne peut te remplacer ».

Rose Dubois, la mère de papy

Rose Dubois, la mère de papy

Le 2 juin, « pour ma perm agricole j'en ai parlé au margis qui est au bureau, il me conseille de prendre mes 21 jours d'un seul coup, car plus tard on pourrait me chercher des misères pour les quelques jours qu'il me resterait à prendre, il me faut m'a-t-il dit un certificat du maire comme quoi grand-père tu me réclames pour la durée de la moisson, et que le maire certifie que je suis cultivateur ». Une perm justement arrive à la Pentecôte pour 48 heures. Fin juin, une nouvelle perm de 6 jours est posée « j'ai écrit à St-Omer pour demander des ustensiles de pêche car je vais faire l'ouverture ! ». De même pour le 21 juillet. Quant à la perm agricole, elle est posée du 7 au 17 août.

 

Très clairement papy est chanceux ! Ces lettres parlent plus des perms à venir que du travail, qui a l'air plutôt léger, et pas fatiguant pour un sou (« cette semaine le boulot est vraiment introuvable, et on passe le temps à jouer aux cartes et à discuter le coup »). A une époque où ils sont nombreux en Algérie, c'est un luxe ! Justement, dans l'un des trains du retour, il croise « le fils à Lanchan de la Panne, à qui grand-père a vendu un poulain, lui est en Algérie, il a un an de fait et c'était sa première perm, il est dans le bled, à Tizi-Ousou, et il est déjà 3 fois tombé dans une embuscade, et je vous prie de croire que c'était pas gai sur le quai de la gare de St-Omer en quittant son père et sa fiancée, ils étaient 4 qui repartaient en Algérie, et on ne voyait que des pleurs partout, et bien je vous prie de croire que malgré un moral à bloc ça fait une drôle d'impression de voir ça ».

 

Est-ce que mon grand-père se plaît à être un militaire ? Pas sûr. En tout cas, dans son discours, ça ne transparaît pas, au contraire ! Ainsi, à l'approche du 14 juillet, « je suis convoqué demain matin à Changy pour un exercice de défilé, mais j'espère bien me tirer des pieds, car le service transmission fait une sonorisation et j'espère bien en être car ça m'éviterait de faire le con toute la matinée avec un flingue sur l'épaule ». Deux jours plus tard, « j'ai bien reçu vos lettres, et celle que vous avez re-décachetée est celle de dimanche ? Je n'y comprends rien, car je suis sûr de l'avoir cachetée, peut-être que la censure est passée dessus, c'est certainement ça car c'est arrivé à un de mes copains d'Allemagne faut toujours qu'ils nous emmerdent, car nous ne sommes pas en Algérie et la censure n'a rien à voir à Châlons ».

 

Le 1er août, un peu d'animation « j'ai passé le permis de conduire poids-lourds, car avec celui-là on a le V.L. mais manque de pot, j'ai calé le moteur dans un demi-tour et j'ai monté sur une bordure donc je suis recalé […], alors Geneviève Mesmacre va être sœurette alors, il y a pas à dire chère maman, ta famille est une famille de culs-bénis ! Deux-trois curés, deux bonnes sœurs, des organistes !! (mon cher frère) si je vais au barouf avec tout ça je ne comprends plus rien ! »

 

Le mois d'août, c'est la perm agricole, qui permet à mon grand-père d'aider son père à la moisson. Enfin, pas que.... « je viens de rentrer à l'instant, et mon retour s'est bien passé […] à part une gueule de bois épouvantable tout va bien ! ». A peine rentré que papy enchaîne trois permissions en septembre (chaque week-end!) puis une autre pour la ducasse d'Eperlecques, et une bonne nouvelle : Follette a eu un petit toutou, j'espère que tout va bien, que la « mère et l'enfant se portent bien » !! surtout soignez les bien, grand-père ne parle pas de le supprimer j'espère ? Sacré Follette va ! ». Mais dans la lettre suivante du 18 septembre 1957.... « alors le petit toutou est crevé, pas de chance... ». Un peu de mouvement néanmoins « comme vous l'avez sans doute appris par la radio et les journaux, nous sommes consignés, et les gardes doublées, toutes les casernes de France sont en état d'alerte, parce que les Nations Unies sont en train de discuter sur l'Algérie, ils ont peur que les bougnoules se révoltent pour faire voir leur puissance, ici à Chalons il y a une équipe de Marocains qui arrangent un pont, ils sont 500 et ils ont dit que s'ils voulaient, ils se rendaient maîtres de toutes les casernes, ça a été rapporté à toutes les casernes, ça a été rapporté à l'état major, et depuis lundi c'est l'état d'alerte, 60 gars de garde tous les jours au lieu de 15, et armés avec ça, et défense de sortir du quartier, remarquez on n'y pense même pas ! ».

En octobre 1957, « j'ai essayé de capter « bébé lune » j'ai bien entendu des tips-tips, des tuts-tuts et des bips-bips, mais ils ne venaient pas de Spoutnik, et comme aujourd'hui il fait plutôt froid je reste dans le piaule, et... mer-e pour les Russes ».

Papy en permission, avec Follette

Papy en permission, avec Follette

Le 6 novembre, papy craque ! « cette fois c'est sûr je ne serai pas en perm encore cette semaine, car le quartier est consigné cette fois-ci pour la grippe, vous voyez un peu le bordel […] et vraiment j'en ai marre, j'en ai plein le cul, voilà la deuxième fois que ma perm va au panier et bien pour le moment je n'ai rien, je suis toujours dispo, mais je crois que je ne vais pas tarder à me faire « porter pâle » pour une bricole quelconque, et vraiment depuis que je suis à l'armée je crois que je n'ai jamais eu la boule aussi grosse sur l'armée, car c'est la deuxième fois qu'ils me roulent avec une perm ces salauds-là, il faut pas qu'ils me fassent défiler le 11 novembre avec ça, car je crois que mon flingue va plutôt se balader dans tous les côtés, je commence à en avoir assez de toutes leurs conneries, ça devient le vrai bordel […] c'est bien pour nous faire chier, il faut qu'ils trouvent toujours quelque chose, les bougnoules, les grèves, et vous voyez ça tombe justement pour le 11 novembre, un fait vraiment curieux hein ! ». Dis-donc, il est énervé ! Le contexte, c'est dans la lettre suivante « j'avais fait les plis, astiqué chaussures et boutons et préparé ma valise, rendez-vous compte du coup de foudre ! Et aussi sec je t'empoigne le stylo à bille et crac je vous ai mis au courant de la situation ». Tout en relativisant « remarquez que j'aurais tort de me plaindre car j'en ai déjà pas mal eu de ses sacrées perms, et franchement j'en connais pas mal qui voudraient bien ma place ». Comment la famille a-t-elle pris sa lettre de complainte ? Pas toujours bien à priori « j'ai bien reçu le colis et […] avec l'engueulade à grand-père […] une lettre de Saint-Omer (consolante), une de Monique (également engueulade!) »

 

Le 8 décembre, alors que papy se retrouve à nouveau en manœuvre, un PS : « il y a 14 mois que j'ai quitté Houlle, avec leurs politiques d'économie les grands chefs du gouvernement vont peut-être nous donner la quille à 18 ou 20 mois ?? ». Noël se passe en famille, je n'ai plus d'info du 19 décembre au 5 janvier. Dommage, car beaucoup a dû être dit à ce moment là. A moins que papy n'ait préféré tout annoncer à l'oral. Car la lettre suivante est essentielle : « demain je rends mon paquetage à Châlons, le séjour au camp est terminé, nous partons pour Marseille mardi soir à 6h avec le rapide Lille-Dijon, un wagon spécial en queue, et de là, Lyon, et le camp St Marthe près de Marseille où nous serons logés quelques heures avant d'embarquer, j'embarque le 9 vers midi sur le« raffiot » « la ville de Tunis » et destination Casa Tanger ».

 

L'info est confirmée, « d'après nos guides nous resterons à Casa même, j'espère me retrouver aux transmissions avec un boulot peinard pour les quelques mois qui me restent à faire. […] Canonnier Guilbert Alexandre 1/39e RA, Casablanca, Maroc ».

 

Là-bas, ça sera une autre histoire, avec la guerre d'Algérie...

[A suivre]

Partager cet article
Repost0
7 août 2019 3 07 /08 /août /2019 19:23

J'ai de la chance. Des vieux cartons chez mes grands-parents. Certains ont été rongés par... bah, des rongeurs du coup. Et l'un d'entre eux, quasiment intact, avec des cartes postales. Pas n'importe lesquelles, puisque des enveloppes arborent le bleu-blanc-rouge avec un « F.M. » en haut à droite (pour Franchise Militaire) tandis qu'un tampon « poste aux armées » en décore d'autres. Le carton contient 242 cartes postales (!) écrites par mon grand-père à destination de ses parents. Du 8 novembre 1956 au 29 janvier 1959, à un rythme très régulier, mon papy écrit. Il faut dire qu'à l'époque le téléphone était très rare (je ne parle pas d'Internet hein!). Allez, je vous emmène dans un voyage militaire assez particulier.

Papy fait son service militaire (1/3) : un hiver allemand (1956-57)

La première carte a été postée à Amiens. « Chers Parents, je suis arrivé à bon port, tout va bien. Je suis avec un gars de St-Omer qui va au 32ème aussi, nous partons ce soir. Bons Baisers. Alexandre. » Adressée à ses parents Elie Guilbert et Rose Dubois, elle est datée du 8 novembre 1956. Mon grand-père part de son village natal de Houlle et prend le train.

La durée légale du service militaire est alors de 18 mois. Mais les « événements d'Algérie » prolongent bien souvent le service, parfois jusqu'à 30 mois. On y reviendra.

 

Le lendemain, suite du voyage : « Je vous écris du centre d'accueil de Strasbourg, d'où nous allons être dirigés vers l'Allemagne. Je suis avec un gars d'Audruicq, et un de St-Omer et nous allons tous les trois sur le 111/32 qui est à Coblence parait-il. [...]Le moral est toujours 1m90 ! comme aurait dit Pierre et surtout ne vous faites pas de bile avec moi car ça va très bien. Je passe pour un veinard car la plupart des gars qui vont en Allemagne ont un frère en A. F. N. [Afrique Français du Nord], et la plupart en Algérie. […] Recevez chers parents mes baisers les plus affectueux et surtout maman ne te fais pas de bile car ça va très bien. Alexandre ».

 

Dans cette lettre trois choses intéressantes  : la première, c'est l'importance d'être avec des gens que tu connais quand tu pars seul ! Alors deux gars du même coin, c'est clairement un plus pour mon grand-père. La deuxième, c'est la destination, qui semble inconnue ! (« parait-il »!). Ça paraît fou ! Enfin, il y a la peur d'être envoyé en Algérie, et l'insistance de mon grand-père à rassurer sa mère. Quelque chose qui reviendra énormément dans les autres lettres.

 

Le 11 novembre, la lettre est postée à Reutlingen. C'est là que mon grand-père effectuera la première partie de son service. Où diable est-ce ? A deux heures de Strasbourg, plein Est ! Oui, en Allemagne ! A l'époque la France y a des soldats pour l'OTAN (les T.O.A.) mais lui fait partie des Forces Françaises d'Allemagne.

Papy fait son service militaire (1/3) : un hiver allemand (1956-57)

« Je reviens de la prise d'armes où nous avons assisté en spectateurs, deux de nos capitaines ont reçu la légion d'honneur par un Général […] ceci nous fait entrevoir un bon dîner. Pour la nourriture nous avons pas à nous plaindre, ce matin nous avons déjeuné du fromage et deux quarts de cacao, le plus dur c'est le réveil à 6h30 ! […] nous sommes en dehors de la ville et le paysage est très beau, devant nous il y a un grand mont qui me rappelle le mont Cassel. Dans la chambrée nous sommes déjà tous copains. Il y a un gars de Boulogne, un de Lille, nous sommes très bien, car il n'y a pas d'anciens avec nous pour nous faire de vacherie. J'espère que ça va toujours et que les betteraves s'arrachent. […] les copains me réclament pour faire une belote. Je vous embrasse bien tous les deux et surtout maman ne te fais pas de bile. Alexandre 2ème CST (canonnier, servant, tireur), 1ère batterie. » [24 régiment d'artillerie]

"Souvenir du 11 novembre 1956, Reutlingen"

"Souvenir du 11 novembre 1956, Reutlingen"

Le lendemain, il rassure sa mère à nouveau « j'espère que maman ne se fait pas trop de bile, car tu sais maman tu aurais tort, bien entendu ce n'est plus le bois de Houlle, mais après ce que racontait Guy Lips et compagnie, il n'y avait pas un mot de vrai, bien entendu la discipline est là, on ne fait pas à sa mode mais ce n'est pas terrible ».

 

Le 14 novembre, petit récit de sa vie de militaire. « Ce matin nous avons passé la visite d'incorporation, alors j'ai dit que mon cœur battait vite par moment. Ils m'ont pris à part et il m'ont fait mettre un appareil spécial. Il m'avait trouvé 16 de tension alors comme j'ai cru bon de dire que j'étais essoufflé par moment et que j'insistais, le major m'a demandé si je me foutais pas de sa « gu____ » et il m'a déclaré « bon pour le service […] nous ne sommes pas crevés au boulot nous faisons 7 km par jour, et encore nous avons un quart d'heure de repos toutes les heures. Nous sommes commandés par deux Marseillais dont la devise est « si nous en faisons trop ce jour-ci, nous ne saurons quoi faire demain ! ».

 

Le 18 novembre, Alexandre signale l'achat d' « un poste d'occasion que nous avons payé 8 000 francs à 12. Nous écoutons Radio Luxembourg et Europe 1 ». Oui, car dans la chambre ils sont douze ! « nous sommes la chambre la plus gaie de l'étage ! Nous avons un trompettiste qui a joué dans un bal, deux harmonicas, un chanteur (premier prix amateur à Amiens) et moi qui fait le zaz avec deux fourchettes et le casque lourd ! Nous avons du succès dans l'étage et notre chambre est enviée par beaucoup d'anciens ».

La caserne. le petit point bleu en haut à droite représente sa chambre.

La caserne. le petit point bleu en haut à droite représente sa chambre.

A partir de cette date, c'est l'instruction (à l'intérieur dans des salles chauffées, c'est mieux, car il fait – 12°C dehors! et parfois « il neige des flocons comme des pièces de cinq francs ! ») et des exercices (longue marche, tir au fusil, champ de manœuvre, même la nuit). La messe le dimanche, et parfois le cinéma, ainsi que... des piqûres ! (des vaccins)

 

Quelques demandes parfois. Le 26 novembre, alors qu' « il y avait trois doigts de neige », Alexandre demande « voudriez vous m'envoyer mes gants fourrés, car ceux de l'armée ne sont bons à rien ! Vous n'avez qu'à bien les envelopper je ne crois pas que ça doit coûter bien cher, je voudrais bien les avoir car quand on a froid aux mains, on n'est vraiment pas heureux ». Une semaine plus tard les gants sont arrivés, avec deux plaques de chocolat et des bonbons « ces friandises m'ont fait bien plaisir ! ». Un beau cadeau qui sonne comme une récompense « tous les samedis nous avons un examen, la première semaine j'ai été dixième, la deuxième j'ai eu la seconde place et cette semaine je suis premier sur 43 alors vous voyez chers parents que je ne suis pas encore si bête que ça ! » Du coup, le lendemain, après l'achat d'un rasoir électrique, Alexandre réclame un peu d'argent. Le surlendemain c'est des timbres, et trois jours plus tard, « un petit mandat siou plait » !.

La caserne sous la neige

La caserne sous la neige

Pour mon arrière grand-père, poilu de 14, les lettres s'attardent parfois sur le côté militaire, les pelotons, les régiments, le fusil etc. « souvent je pense aux histoires que tu m'as racontées ». Sans pouvoir toujours tout expliquer « tu me demandes ce que c'est que l'OTAN, je sais que le régiment en fait partie, mais je ne sais pas au juste ce que cela veut dire ! Il est question d'entraide atlantique... et je n'en sais rien. » A l'époque, c'est la guerre froide, quoique l'année 1956 soit plutôt chaude : en novembre une insurrection est réprimée à Budapest tandis que la France et la Grande-Bretagne font un fiasco diplomatique sur le canal de Suez. Pour mon grand-père, c'est clair : « ces salauds de Russes commencent à nous faire chier ».

Le fantôme de l'Algérie inquiète, surtout que certains de ses copains y sont, « alors ma chère maman, le jour tu attrapes le cafard en pensant que je suis ici, pense aux copains qui sont là-bas, exposés au danger, et qui ont faim, et que je pourrais être là-bas aussi moi ».

 

Le 23 décembre « une grande nouvelle, hier soir je suis sorti en permission de spectacle (jusqu'à une heure du matin) ». Un resto, un film « en couleur » au foyer « et en rentrant nous sommes entrés dans un petit bal de quartier, mais nous n'y sommes pas restés longtemps, car ici pour se faire comprendre « tintin » ». Le lendemain « un bon petit gueuleton [...] et après entre copains dans la chambre nous avons réveillonné !... avec les moyens du bord, ce fut le bordel dans toute la batterie, nous nous sommes couchés ce matin à quatre heures ! Vous voyez que l'armée a quand même du bon ! »

Papy fait son service militaire (1/3) : un hiver allemand (1956-57)
Papy fait son service militaire (1/3) : un hiver allemand (1956-57)

Après un gros mois de routine, deux semaines de manœuvres en février ! « Le pire c'est le temps car il neige la nuit et pleut le jour, alors vous voyez un petit peu le bourbier que cela fait ! Enfin on se console car il n'y a pas que nous qui sommes dans le merdier, car ici il y a une concentration incroyable de troufions, nous sommes au moins 10 000, il y a de tout, depuis des tanks jusqu'à de l'aviation, des paras, des tirailleurs marocains, algériens etc etc ». Pour mon grand-père ce sont les tirs aux lance-grenades, aux grenades antichars et anti-personnels et au lance-roquettes deux fois ! « Bien souvent je pense à toi tu sais grand-père et à tous les anciens de 14, et je me demande comment ils ont pu tenir pendant si longtemps dans cette vie de taupe ! ».

"Souvenir des 35 kms, février 1957, Reutlingen"

"Souvenir des 35 kms, février 1957, Reutlingen"

A carnaval, c'est la première permission d'une dizaine de jours. Mais au retour une mauvaise nouvelle « nous sommes tous séparés, la chambre est désunie, logée un peu partout […] on ne nous a pas encore parlé de l'Afrique et nous ne savons rien ».

Le 13 mars la nouvelle tombe « je suis passé bureaucrate ! Oui chers parents, je suis un gratte-papier, je travaille au bureau de batterie, et je suis à la disposition du Lieutenant Couturier, chef de peloton.[...] Pour le moment je classe le courrier comme le chef du bureau m'a appris et je suis chargé d'aller porter des papiers […] je suis muni d'une bicyclette et je ne me presse pas trop ! Pour la planque c'est la planque espérons que ça va durer. » Pour les autres de la chambre ? « tous les copains sont partis ou vont s'en aller ces jours-ci […] deux direction la Tunisie, 4 dans le Constantinois [Algérie] les autres Oran [Algérie]. […] Vous voyez que j'ai du pot hein ! ».

Le lendemain, le moral alterne « le plus dur c'est que tous les copains sont partis, je me retrouve tout seul de la piaule, ils sont en route pour l'A.F.N. Alors quand je pense à eux j'ai le cafard. Puis je pense à vous, et le cafard s'en va....... ».

 

La vie continue de l'autre côté du camp. Les parents d'Alexandre, plutôt content de son nouveau poste, lui écrivent tout aussi régulièrement, envoient des mandats, de la nourriture et des nouvelles. Ainsi sa sœur accouche : « Monique de nouveau mère ? Six filles, c'est vraiment pas de chance ».

 

Et alors que l'Algérie devait arriver au mois de mai voilà qu'une nouvelle tombe le 3 avril : « école d'artillerie de Chalon sur Marne, car nous sommes tous affectés là-bas, cela ne me déplaît pas car je serai en France […] le colonel nous a passés en revue à 11h et nous a fait un petit speech, en disant que nous étions des veinards ».

4 jours plus tard, mon grand-père quitte l'Allemagne et Reutlingen. Un séjour qui lui a plutôt bien plu -bonne bouffe, bonnes rencontres- et qui lui aura permis d'éviter l'Algérie par un gros coup de chance. Car le 7 janvier a débuté la bataille d'Alger, avec des attentats et des embuscades meurtrières pour les soldats français. Une chance pour moi aussi, je ne serais pas là à vous écrire ces lignes si mon grand-père était tombé là-bas !

Papy fait son service militaire (1/3) : un hiver allemand (1956-57)

[A suivre]

Partager cet article
Repost0
6 août 2019 2 06 /08 /août /2019 11:33

Balance ton quoi ? Balance ton porc. Oui, me too. Depuis plusieurs mois (on va finir par remercier Weinstein... euh, non, ptet pas en fait!), les scandales s'accumulent. Des femmes dénoncent. Souvent des femmes connues. Le milieu du cinéma, puis de la télévision, la musique, les journalistes... De quoi faire délier des langues, de quoi donner un coup de fouet à de vieilles revendications. Car être une femme, encore aujourd'hui, c'est galérer. Oui, plus que nous les mecs. Je ne m'en rendais pas suffisamment compte avant ce phénomène. Ca m'a petit à petit ouvert les yeux.

 

Ca passe déjà par des « petites choses ». Je mets les guillemets, car c'est une expression que j'aurais utilisée il y a plusieurs années, alors que ce ne sont pas des petites choses. C'est important. Oui, les mots ont un sens. Les expressions. La langue française, machiste. Le sexe fort, c'est qui ? Madame LE ministre. Le masculin l'emporte sur le féminin (oui, même à 216 contre 1). L'écriture inclusive, celle où on affiche le féminin, peut sembler être un hobby de bobo parisien, car « il y a plus important ». Oui, il y a toujours plus important, mais en réfléchissant comme ça on ne fait plus grand chose. C'est un début, un premier pas. Casser des barrières, des frontières mentales inculquées depuis notre enfance, et l'école. Oui, l'école, l'éducation, comme toujours. Car le machisme s'apprend. Ce n'est pas inné. C'est notre société qui a amené à cette situation problématique (pour ne pas dire honteuse).

 

Femmes tuées sous les coups de leur conjoint. Viols. Agressions. Remarques. Combien chaque jour ? Combien parce que la victime est une femme ? Trop. Vraiment trop. En France, et dans le monde entier. Ce n'est pas comme une famine dans un pays lointain alors que le magasin du coin déborde de bouffe. Là, c'est à côté de chez nous. Et nous avons tous un rôle là-dedans.

Depuis le début du mouvement balance ton porc, je me suis plusieurs fois posé la question de mon comportement, de mes expériences passées. Qu'ai-je fait ? Ai-je bien agi ? Pourquoi j'ai dit ça ? Pourquoi je n'ai pas dit ça ? Et, finalement, est-ce que j'ai été un porc ? Oui, c'est bien ça aussi le sens de cette contestation féminine : nous amener les mecs à nous regarder dans le miroir. Ensuite ? Ca dépend de chacun de nous. A titre personnel, je vais vous raconter une histoire.

 

Il y a quatre ans de cela, j'ai rencontré une fille à Bordeaux. Un concours de circonstances, une interview en rapport avec ma thèse, un appartement fermé, une soirée... bref, toujours est-il que j'ai une petite histoire avec la demoiselle. Oh, non, pas une histoire d'amour, la distance étant, comme souvent pour moi, un frein (je suis rentré dans le Nord à ce moment là). Nous restons en contact régulier, j'apprécie cette fille, et nous nous revoyons deux-trois mois plus tard. Rien. Je suis un peu déçu, j'espérais quelque chose. Les contacts téléphoniques restent. Nous nous recroisons quelques mois plus tard. Elle me fait une mini-déclaration. Ce jour là, je sais que toute relation est impossible. Et, dans ma tête, je sais que je ne dois pas l'embrasser, au risque de la blesser quelques heures/quelques jours plus tard. Je l'embrasse. Quelques jours plus tard, je lui fais mal. Mentalement, sentimentalement. Elle m'en veut, me le fait bien comprendre par sms. Je fais l'innocent. Putain d'ego.

 

Est-ce que j'ai été un porc ce soir là ? Peut-être pas. Le mot est fort. J'ai néanmoins abusé de sa confiance. Il y a quelques mois, je lui ai envoyé des excuses. Un petit pas, qui ne répare par l'erreur du macho que j'étais ce jour là. Un petit pas quand même, qui a été bien reçu.

 

Nous faisons tous du mal à quelqu'un, un jour. Je ne connais pas de saint, et je ne pense pas que ça existe. L'idée, c'est de reconnaître nos erreurs, et d'éviter de les refaire.

 

Le mouvement me too/balance ton porc me fait surtout reconsidérer mon comportement aujourd'hui avec les filles (à mon âge je devrais dire les femmes, mais je n'y arrive pas !). Comment les draguer par exemple ? Quand tu es célibataire, c'est un peu l'une des grandes questions de ta vie ! C'est un vrai dilemme pour moi, notamment en soirée. Il m'arrive de danser. Souvent des rocks. Je trouve parfois des partenaires de danse. Certaines me plaisent. Parfois, j'ai l'impression que nos rocks endiablés (oui, je me débrouille!) pourraient mener à quelque chose de différent. Comment en être sûr ? Comment interpréter les signaux ? Et là, c'est le drame ! Car il n'y a pas de recette miracle. « y'a un signal là ? Elle m'a regardé plus de 5 secondes d'affilée dans les yeux, c'était le signal, non ? Elle a remonté les bras au niveau de mon cou, c'est un signal ? Elle a dansé huit fois d'affilée avec moi, c'est un signal ? » [ceci est une conversation avec moi-même, oui, nous ne sommes pas seuls dans ma tête!] En vérité, il n'y pas de signal. Et je me retrouve comme un con, et avec mon ancienne maladie (que certains ont appelée révillonite). Du coup, je n'ose plus. Je n'ose plus, car je ne veux pas être le mec lourd qui pense qu'une danse ça veut dire qu'on peut essayer d'embrasser sa partenaire. Je n'ose plus, car je ne veux plus embrasser une fille juste pour l'embrasser, au risque de la blesser plus tard. Je n'ose plus, car je ne veux pas être un porc, qui pense avec son sexe au lieu de son esprit.

[...]

Et le cœur, dans tout ça ?

[…]

Quel cœur ?

[...]

Alors oui, balance ton porc a eu une réelle influence sur moi. En bien je pense (tout en étant loin d'être parfait). Je soutiens les filles dans les conversations avec mon coloc sur les thématiques féministes. Je me pose des questions sur les blagues que nous faisons entre mecs, de celles où l'on rit grassement. Je m'interroge sur le rôle des films, des clips, de la musique dans les rapports hommes/femmes. Et j'essaie de faire prendre conscience aux mecs, à chacun d'entre nous, que nous avons un rôle à jouer.

 

C'est ça, l'homme du XXIème siècle devra être féministe.

Etre un homme au XXIème siècle
Partager cet article
Repost0