4 étages, du bleu, du jaune, un peu d'orange. Y'a pas à dire, ce collège est le parfait exemple de la barre d'immeuble des années 70 au style plus que douteux. Arrivé là-bas à 11 ans, en sortant d'une école primaire de village, le choc est important. 4 étages c'est grand, très grand. Je revois les escaliers et les salles qui s'enchaînent. La sonnerie a remplacé l'instit qui frappait dans ses mains. Où aller ? J'ai de la chance, je suis dans la classe d'Alexandre, alors j'ai un copain de Tilques avec moi. Plus de Tony, plus de Guillaume, plus de Florent, Frédéric ou Yvan. Les filles ne sont pas là non plus. On était 12 en CM2, on est 28 en 6ème A3. Quand je regarde la photo de classe aujourd'hui, je vois de vrais sourires, mais aussi des sourires gênés, voire pas de sourire tout court. Je pense que j'étais loin d'être le plus flippé.
Dans la cour, on est au moins 800. Les grands, les 3èmes, jouent au foot dans la cour du bas, je les regarde avec envie. Un jour, ce sera moi. Je revois des gens de Tilques, Rémi, Johan. Lui m'avait vendu le collège un jour au coin de nos rues « c'est vraiment différent ». Quand t'es en CM2, tu n'imagines vraiment pas à quel point.
Le premier cours dont je me souviens, c'est celui d'arts plastiques. La salle dans le bâtiment A au troisième étage avait le sol défoncé, un vieux parquet dont il manquait des lamelles [elles ont été refaites l'été suivant]. Le prof avait l'air un peu perché. Surtout il criait. Nous ne comprenions pas trop pourquoi : personne ne parlait vraiment. Il impressionnait. La semaine suivante, il expliqua que des parents étaient venus au collège parce qu'il nous avait fait peur. Et il demanda « à qui je fais peur ici ? » La moitié de la classe leva la main. Tout d'un coup, il se tourna violemment vers Jonathan et lui cria « toi, je te fais peur ? ». Le pauvre répondit en larmes : « oui, beaucoup ».
Je crois que la violence a commencé ainsi. Car, honnêtement, quand je me souviens du collège, je pense surtout à cet univers où la loi du plus fort est toujours la meilleure (jusqu'à l'arrivée des pions). Ça se bastonnait sévère dès le début, et je me souviens des courses de la cour du haut jusque la cour du bas pour assister, souvent de loin, aux échanges de marrons. Quand c'était les 6ème, ça nous faisait presque rire, tant les coups s'échangeaient avec délicatesse, tandis que les larmes coulaient dans les yeux des deux boxeurs. Quand c'était les 3ème, ça nous semblait être un combat entre poids lourds pour la ceinture de champion de France, et ça tapait sévère. C'était rarement un sixième contre un troisième : il y a un minimum de savoir vivre, même en temps de guerre.
Son nez saigne. On le transporte dans les couloirs rapidement, avec, derrière lui, une foule de curieux. Lui, c'est un type de ma classe. Il s'est fait coincer contre un mur par trois autres sixièmes. Il avait des lunettes, le look Harry Potter. A 3 contre 1, on est toujours très fort. Et très lâche. Je les ai vu faire, je n'ai pas réagi. Il quittera le collège là-dessus.
Si ça se bagarre entre élèves, il y a aussi des tensions avec les adultes. Une prof d'anglais remplaçante attire les moqueries. Sa coupe, ses habits, même son nom. Un jour, alors qu'une bagarre éclate dans la cour du bas, elle vient chercher ses élèves dans la cour du haut. Elle est chahutée, je revois même un élève lui tirer les cheveux.
Attention, mon collège, ce n'est pas que ça. Déjà, c'est du football. Car en cinquième on a trouvé la technique pour jouer : une balle de tennis, et le fond de la cour du milieu est à nous. 3 contre 3, 4 contre 4, on s'use les semelles à chaque récré, et ma mère râle quand elle voit l'état des baskets.
J'ai 12 ans et demi, et je suis un grand maintenant. Je m'habille tout seul : j'ai troqué le gilet choisi par maman contre le survêtement intégral choisi par moi. Je veux acheter des chaussures de marque et je commence à faire attention à mon look. Je coupe mes cheveux à la tondeuse, et je veux me faire une houppette. Ca va bien à Rémi, et Rémi a l'air de plaire aux filles de ma classe. En vérité, et avec du recul, ça ne me va pas du tout ! Mais qu'importe, la balle de tennis qui court devant moi est plus importante encore, j'irai courir les filles plus tard.
Ma hantise de l'époque : faire tomber mon verre dans la cantine. Car, à ce moment-là, et comme dans toutes les cantines de France, un grand « wéééééééé » résonne et le malheureux, tout penaud, se retrouve avec un ramasse-poussière.
Le moment qui me plaît bien, c'est le cross du collège. On n'a pas cours de l'après-midi et on fait deux boucles autour du jardin public. J'ai de la chance, je cours plutôt vite. Pas contre, c'est plus compliqué pour certaines filles. Et quand tu es un peu plus gros ou grosse, c'est l'enfer. D'ailleurs c'est l'enfer tout le temps pour toi. Pareil si tu as des cheveux bizarres, ou un nom bizarre, ou un sac bizarre. Bref, le collège c'est l'enfer dès que tu n'es pas dans la normalité. L'objectif de tout collégien, c'est d'être dans le moule, de ne pas dépasser. Sinon, on se moque de toi. Et à 13 ans, tu n'as pas les épaules assez larges pour subir les moqueries.
En 4ème, je retrouve ma prof de français de 6ème. Elle me demande pourquoi mes résultats ont baissé à ce point. Je rigole. 14 ans, un garçon plein de maturité [sic!]. Elle veut nous faire travailler sur Haïti. Construire des petites maisons, faire un projet. Moi, l'art plastique, c'est pas trop mon truc. Mais c'est bien, on est en groupe, et on peut parler. Aujourd'hui, quand j'entends Haïti aux infos, je me demande ce qu'elle en penserait.
Je n'aime pas le collège. Les cours m'ennuient. Les bagarres me font parfois flipper, et pourtant j'en ai déjà vu quelques dizaines. Un jour, un troisième m'a poussé dans les sacs, autour d'un poteau. J'ai pleuré tellement j'étais énervé. Mais il fait du judo, et je le sais. Ma honte a redoublé quand une fille de ma classe m'a demandé pourquoi je pleurais. « Je pleurais pas » que j'affirme.
J'ai arrêté de travailler en musique. Honnêtement, 4 ans de flûte, quel gouvernement a eu cette idée ? Un instrument de canard, alors qu'il existe des guitares ! On aurait pu avoir une nation de guitariste, imaginez un peu ! En anglais, je ne comprends pas grand chose. En allemand, ce n'est pas beaucoup mieux. Je commence à tricher. Je ne fais plus trop mes devoirs. Les professeurs commencent à me mettre en garde. Pffff, ils ne comprennent rien de toute façon. C'est officiel, je suis un petit con. Et fier de l'être.
Si j'ai un rêve en quatrième, c'est de plaire aux Pauline. Et d'être footballeur. A la fin de l'année, j'arrive à 12 de moyenne. Deux ans auparavant, j'étais à 17. La chute est rude.
3ème. Prof principal : Mr Paris. Alors lui, on sait d'avance qu'on n'a pas intérêt à broncher. Sa réputation le précède et quand tu le croises dans le couloir tu baisses la tête, que tu sois bon ou mauvais élève. Son premier cours me reste gravé : la première guerre mondiale. Il explique que nous sommes en troisième et que nous devons maintenant prendre des notes, pour nous préparer au lycée. Et il commence son cours magistral. Son cours, magistral. J'y étais. Vraiment. Je croisais les poilus de 1914, j'entendais les bombardements, nous naviguions dans les tranchées. Tous. Sauf Guillaume, qui, après 10 minutes, a commencé à écrire. Et Mr Paris de dire : « c'est bien Guillaume, il faut prendre des notes ». Et nous tous de nous regarder et d'écrire en quelques lignes dix minutes d'immersion. Là, j'ai compris que j'aimais l'histoire. Et si je suis prof d'histoire-géo aujourd'hui, c'est sans doute grâce à Mr Paris.
Il avait un projet : faire un journal ! Alors nous nous y sommes mis, je me revois même être allé le vendre à Carrefour aux habitants du quartier.
Ce qu'il y a de bien en 3ème, c'est que les grands buts de la cour du bas sont désormais les tiens ! Alors, chaque midi, on se régale avec Yann, Guillaume et Alexandre. On frappe de toutes nos forces, et on refuse les petits sixièmes qui veulent jouer avec nous. Non mais oh ! Chacun son tour ! Tu verras dans 3 ans !
Quand je regarde la photo de 3ème je vois maintenant des adolescents. Les enfants de 6ème sont partis, leur innocence avec. A la fin de l'année, ça organise une soirée qui ne s'éternise pas, puis un grand camping. Ce sont des souvenirs mitigés, où j'ai vu les premiers verres d'alcool, où j'ai senti les premières odeurs de cannabis, où j'ai effleuré pour la première fois un corps.
Hum. C'est bizarre ce sentiment. Je souris avec une certaine mélancolie, et pourtant ça ne me manque pas le moins du monde. Même le foyer avec le baby-foot et les cannettes de coca où en appuyant deux fois très vite sur la machine ça en faisait tomber deux. Même les voyages scolaires en Allemagne où un cache-cache géant nous avait fait repartir en enfance. Alors oui, quand je revois les visages d'Emilie, Swan, Alexandra, Guillaume, Charlie, Aurélie, Amélie, Amandine, Angélique, Camille, Margaux, Guillaume, Alexandre, Yann, Vanessa, Amélie, Justine, Marie-Laure, Rémi, Camille, Sébastien, Jean-François, Romain, Benjamin, Pauline et Pauline, quand je les recroise au hasard des jours et des rues de Saint-Omer, je m'arrête, et je discute un peu. Mais pas de cette époque-là. Car le collège, c'est dur. L'adolescence est compliquée. Et quand je vois certains adultes dire aux plus jeunes « vous avez de la chance, profitez ! », j'ai plutôt envie de leur dire « bon courage ».
Au fait, je vous ai déjà parlé de mes 3 ans à Ribot ?