Non, ce n'est pas pour « prendre en otage » les Français. Oui, car, à chaque grève, une partie des médias va plutôt insister sur les conséquences de la grève sur les usagers (oh la la, mon Dieu, je dois attendre à la gare une heure, c'est une prise d'otage..... non, non ma ptite dame, une heure d'attente, c'est une heure d'attente, une prise d'otage, c'est risquer sa vie). Ou alors ça va être sur les casseurs (oh la la, mon Dieu, il y avait 50 casseurs sur 350 000 personnes, vite, on fait la moitié du journal sur eux !). Alors qu'il faut expliquer pourquoi nous faisons grève.
Nous, car je fais maintenant partie de la grande famille du service public. Et, au niveau national, le gouvernement annonce 140 000 postes de fonctionnaires en moins sur le quinquennat. Où ? Parce que c'est la vraie question. Des personnes pourraient considérer que oui, il y a trop de fonctionnaires en France ! Bon, prenons la question autrement : souhaitez-vous voir à côté de chez vous votre service de maternité disparaître ? Souhaitez-vous attendre plus longtemps aux urgences car des infirmier-e-s n'ont pas été embauché-e-s ? Ou préférez-vous des suppressions de postes dans la gendarmerie de votre ville ? Faire votre carte grise à 50 kilomètres ? Moins de profs pour vos enfants ? Car c'est là le choix à faire. Je fais grève pour défendre le service public, destiné au public, à nous tous. C'est à ça que doivent servir nos impôts, à nous rendre des services publics de qualité. Plusieurs décennies de budget en berne font aujourd'hui une situation explosive dans les hôpitaux, polices ou collèges. Réduire les effectifs, c'est réveiller un volcan déjà en ébullition.
Et puis il y a la situation guyanaise. Vous voyez les problèmes de métropole, vous les multipliez par deux. Non, plutôt par trois. Hôpital délabré et saturé, insécurité constante, et un système éducatif sous assistance respiratoire. Pensez, le collège en face du boulot : 800 places. Nombre d'élèves en ce moment : 1143. Sur place, c'est Bagdad. Situation isolée ? Nous avons 5 collèges à Saint-Laurent du Maroni, il y a 1 000 élèves en surnombre. L'année prochaine, 200 de plus ! Comment fait-on rentrer les élèves dans ces établissements ? Réponse entendue : « il faut pousser les murs ». Alors on met des bungalows (que l'on loue à un prix exorbitant, plutôt que de les acheter une fois pour toute et d'assumer l'impréparation de l'Etat, de la région et de la municipalité...). La ville est en pleine explosion démographique, avec une société très particulière (1 500 élèves ne maîtrisent pas la lecture à l'entrée en 6ème!). Et il faudrait faire plus, avec moins de moyens (suppression de postes de surveillants en début d'année...). Je passe les agressions physiques envers les élèves et le personnel, les armes, la drogue, les menaces de mort, les attouchements et viols... Nous demandons l'ouverture d'un nouveau collège pour la rentrée 2018. Réponse : c'est mort. Démerdez-vous. Des cantines ? Des transports scolaires pour tous ? Des pistes cyclables ? Toujours une réponse : y'a pas d'argent ! On va finir par prendre de la peinture blanche pour la faire nous même cette piste cyclable ! (ça m'évitera de ramasser des gamines sur le goudron...).
Alors oui je fais grève. Et j'assume totalement. J'en ai marre de voir des hommes et femmes politiques simplement jouer les comptables et toujours parler de « réduire les déficits ». La France a les moyens d'offrir des services publics de qualité. N'est-ce pas là une preuve que nous serions « un pays développé » ? « Un pays riche » ? Dans le top 10 du PIB mondial ? Que voulons-nous faire de notre richesse ? Quelle société voulons-nous ? J'ai fait mon choix.