« À Saint-Omer, les réfugiés ukrainiens retapent les logements qu’ils peuvent ensuite habiter » La lecture des commentaires m'interpelle. « Honteux de voir sa nous on galère et eux il on le droit de tout » « tout pour les étrangers et rien pour nous. vive la France hein ». « Une honte ». Au-delà des quelques fautes, c'est surtout le ton. La colère. Une ambiance que je retrouve traditionnellement sur les articles à propos des « autres » migrants. Les Ukrainiens, jusque là, étaient plutôt préservés. 3 mois après le début de l'offensive, on commence à pointer du doigt les avantages de ces réfugiés. Pensez : ils ont dû quitter leur pays, leur maison, leur famille, leur école... et on les loge ! Inadmissible pour certaines et certains.
« Et tout les SDF de saint omer vous en faitez quoi messieurs le maire ». » « et du travail nos sdf rien mais eux 5 étoiles ». « mais les sdf français oui. qui pense à eux avant et au étrangers ensuite. » Intéressant de voir à quel point, dans ces moments-là, le SDF français devient tout à coup un être exceptionnel que l'on souhaite protéger. Je regarde les profils des commentateurs. Un agent de conditionnement, un jardinier, un gilet jaune, une auxiliaire de vie. Des milieux populaires. En clair, des gens plutôt pauvres. Et mécontents. Ils n'ont pas l'impression d'avoir été aidés dans leur vie. Ils en veulent au gouvernement. Je vois un profil pro-Marine le Pen. Non, ce n'est pas une surprise.
Au niveau national, plus de 8 millions de voix pour elle au premier tour, 2,5 M pour Zemmour. A eux deux, 30%. Au second tour, 41,5% des Français ayant voté ont choisi le Front National. Le chiffre me choque encore, et c'était presque pourtant un soulagement. C'est qu'autour de moi, les langues sont déliées depuis de nombreuses années. Le Pas-de-Calais a voté à 57,5% pour Marine le Pen au second tour, avec parfois des scores impressionnants (71% à Auchel ! ). Il y a 10 ans, je signalais déjà à Facebook les menaces de mort à l'encontre des migrants, notamment à Calais. A l'époque, le réseau social n'y trouvait rien à redire. Ça faisait du buzz, des clics, bref, de l'argent ! Depuis, la modération empêche les appels au meurtre, mais le fond du discours, lui, reste haineux.
Pourquoi une haine des plus pauvres à l'encontre des réfugiés ? Est-ce un mal français ? Pas tout à fait. Petit exemple que j'ai pu observer pendant mes études, en Afrique. Les réfugiés rwandais étaient nombreux en Ouganda dans les années 1970-80 en raison des pogroms qui s'étaient déroulés contre les Tutsis au moment de l'indépendance. D'abord bien accueillis, ils sont ensuite régulièrement pointés du doigt par une partie de la population locale. En effet, ils disposent dans les camps de réfugiés d'une distribution de nourriture et d'un accès à l'éducation, via les associations, ce que le gouvernement ougandais se révèle incapable de faire dans cette zone rurale. Injustice crient les habitants du coin ! On leur donne tout ! Et nous n'avons rien ! Le confort de ces étrangers provoquera des pogroms en 1982-83 contre les réfugiés rwandais, pogroms encouragés par quelques politiques avides de pouvoir.
Ce scénario existe ailleurs. Je ne pense donc pas que pointer du doigt les commentateurs racistes soit suffisant. Ça reste important, et je vais de temps en temps « au charbon » sur Facebook lorsque je vois trop d'âneries concentrées sur un article. Mais il faut plus. Ça passe par une lutte dans sa famille, ça passe par une lutte dans les conversations avec des ami.e.s, des proches, des collègues, des copains du foot etc. Ça passe aussi par un réveil des politiques, au niveau national ou local. Le mal-logement est un fléau, les prix n'arrêtent pas de monter, les gens se sentent délaissés, et la réponse n'est pas à la hauteur.
Mais, surtout, ça passe par une mobilisation réelle de la population qui n'est pas raciste. Malheureusement, mes proches ne souhaitent pas participer à ces débats. Très peu pour moi disent-ils. On observe, mais on se tient loin. On vit son propre bonheur, on ne veut pas se salir, on ne veut pas participer au débat public via les réseaux sociaux. Et on laisse ainsi le champ libre aux extrêmes, qui eux, sont omniprésents. Le danger, de plus en plus réel, est de voir leur nombre augmenter à mesure que nous abandonnons les espaces d'échanges. Oui, je sais, époque de merde où Facebook et Twitter sont les lieux du débat public. Mais c'est notre époque, et lui tourner le dos ne changera pas les choses. Engagez vous, mobilisez vous, car j'ai peur qu'un jour vous le regrettiez.