8 avril 2021 4 08 /04 /avril /2021 13:01

Après Tilques, direction Houlle, à une époque où le Covid s'appelait la peste et Internet les chevaucheurs de l'écurie du roi ! Le Moyen-Age et l’époque moderne (entre la « chute » de l’Empire romain au Vème siècle et la Révolution de 1789) sont deux périodes où l’histoire s’écrit souvent en pointillé. Les informations disponibles pour une paroisse de la taille de Houlle (la notion de village n’existant pas) sont très limitées, et renseignent le plus souvent sur les deux grands ordres dominants : le clergé et la noblesse. Le territoire de Houlle est d’ailleurs un exemple intéressant de lutte entre l’abbaye de Saint-Bertin et les seigneurs locaux.

 

Les donations contestées à l'abbaye Saint-Bertin

 

Le moulin et la seigneurie de Houlle appartiennent au Moyen-Age à l'abbaye de Saint-Bertin (à Saint-Omer). Comment cela s'est-il fait ? Il faut remonter vers 854, lorsque Hunroc, qui se qualifiait de comte d'Houlle, reçoit l'habit religieux dans l’abbaye ; il décide alors de donner à celle-ci sa terre d'Houlle[1]. Cette donation est rappelée dans la charte de 1117 de Bauduin VII, Comte de Flandre[2]. Les possessions de l’abbaye Saint-Bertin se renforcent en 1075-76, puisque le monastère récupère également le moulin d'Houlle à la suite d'une donation d'Héribert, 38ème abbé, ainsi qu'un marais[3]. L’abbaye Saint-Bertin sera alors un acteur essentiel de l’actuel village pendant près de dix siècles.

Ainsi, en 1159, un accord est conclu entre Walter, fils de Hugues d’Ecques, et Amilius, aumônier de l’abbaye de Saint-Bertin, au sujet des redevances que la ferme de l’abbaye, située à Houlle, doit à Walter.[4] Cet accord est loin d’être une exception : l’abbaye se retrouve confrontée à de nombreuses réclamations. Philippe d'Alsace, comte de Flandre de 1168 à 1191, confirme par exemple sa possession du marais du Warland mais l’abbaye, « pour être exonérée à l'avenir de toute réclamation » doit, en 1172, faire un cadeau de vingt-cinq marcs d'argent au Châtelain de Saint-Omer et payer, en 1186, 70 livres à Gautier de Formeselles, Coseigneur de Houlle[5].

Puis c’est le moulin de Houlle qui est au cœur des enjeux. Vers 1186, le reine Mathilde, dame de Flandre, notifie le concordat conclu entre l’abbé de Saint-Bertin et Eustache le Quien à propos du moulin que ce dernier avait fait construire à Houlle. Cela est confirmé vers 1187 par Philippe d’Alsace, comte de Flandre[6]. Quelques années plus tard, en 1193, l’abbé de Saint-Bertin donne à ce même Eustache le Quien de Houlle un marc d’argent et deux mesures de terre en augmentation de fief. En échange, celui-ci déclare que ni lui, ni ses successeurs ou héritiers ne pourront avoir de moulin à Houlle ![7]

En cette même année 1193, « Guillaume, châtelain de Saint-Omer, approuve la convention conclue entre l’abbaye de Saint-Bertin et Guillaume (de Moulle), concernant l’écluse de Houlle »[8]. Décidément, l’accès à l’eau de Houlle semble valoir cher dès cette époque ! Les moines doivent aussi construire deux maisons dans le village vers 1208 pour Thierry de Voormezeele « bien qu’il eut le droit de le[s] contraindre à en bâtir davantage »[9]. Dix ans plus tard, on retrouve la famille le Quien avec Hugues le Quien de Houlle qui reconnaît avoir reçu sept marcs à la place de l’avoine que lui devait l’abbaye[10].

Après 50 ans de procès et de tensions entre l’abbaye et les seigneurs locaux, la situation semble se stabiliser. Ainsi, en 1252, Guillaume de Vincq reconnait n’avoir aucun droit dans le marais de l’abbaye nommé Waierlant [Warland] tandis qu’Eustache de Nordhout loue en 1316 pour la durée de sa vie le moulin en échange de quarante rasières de blé versé à l’abbaye[11]

 

Si la quasi-totalité des informations sont en lien avec l’abbaye et ses possessions, nous trouvons parfois des histoires un peu plus étranges. Ainsi, en « l’an 1119 ou 1120, il naquit au village de Houlle, près de St. Omer, un enfant monstrueux, en forme de poisson, n’ayant ni bras, ni cuisses »[12]. Difficile de vérifier la naissance de cet enfant tronc qui semble avoir stupéfait les contemporains.

 

Une charte donnée aux habitants du Warland, à Houlle, en juillet 1307

 

Un lieu revient à plusieurs reprises : le marais du Warland. Il se trouve que les habitants du Warland, « gagnés peut-être aussi par l'atmosphère revendicative ambiante [les troubles flamands], en appelèrent à l'autorité supérieure, c'est-à-dire à Mahaut, Comtesse d'Artois, près de laquelle ils se plaignirent du mauvais état de leurs deux chemins. En réponse, en juillet 1307, ils reçurent une Charte prévoyant des dispositions particulières instituant une cour de justice permettant de faire surveiller le marais par un sergent « sermenté », d'obliger les usagers à raccommoder les chemins, de lever des amendes jusqu'à un maximum de soixante sols. Cette cour de justice est formée de cinq « ahiretés » [ayant-droits] du marais choisis par leurs pairs. On les appelle Lanchistres. Ils prêtent serment devant le bailli de Saint-Omer. Le sergent est nommé par eux. Quelles sont les règles de vie dans le marais ? D'abord respecter la propriété individuelle. L'amende maximum de 60 sols punit l'intrusion en bateau et bien entendu la pêche dans l'héritage d'autrui. Le fauchage d'herbe, ou le vagabondage des animaux est moins grave. Ensuite préserver l'exploitation communautaire. C'est alors la Comtesse d'Artois qui condamne à 60 sols si l'on abîme le marais pendant le jour ; pendant la nuit c'est la Haute justice qui jugera »[13].

Houlle bénéficie d’ailleurs d’un lieu judiciaire appelé « la vérité de Houlle ». On a pu retrouver plusieurs affaires traitées en ce lieu, notamment en 1363 où Jehan de Wavrans reçoit une amende pour avoir dit devant plusieurs personnes à Helfaut qu’il fallait tuer le bailli de Saint-Omer ![14]

 

Tension entre l'abbaye Saint-Bertin et les seigneurs de Houlle : la destruction du moulin

 

Au XIVème siècle, l’abbaye continue d’étendre ses possessions dans le village en achetant en 1332 quatre mesures de terre à Wit de Vinc, en 1334 un manoir à Baudin Blanche et douze mesures de terre à Jacques Boidave, celui-ci en vendant sept de plus deux ans plus tard. En 1337, c’est Gilles Tataeu qui cède cinq mesures et demie de terre à l’abbaye ; en 1343, Betrys Sketelboeters fait de même pour deux mesures[15]. Cela renforce le domaine des religieux, mais ceux-ci se retrouvent à nouveau en confrontation avec les seigneurs du village. La seigneurie de Houlle s’étend alors à Moulle, Eperlecques, Bayenghem et aux environs. En 1347, le seigneur Robert d’Ohlain reconnaît « que tous les reliefs de Vinc, échus dans leur terre, appartiennent à l’abbaye de Saint-Bertin. Ils reconnaissent également ne pouvoir intercepter par une claie le cours d’une rivierete qu’ils ont à Houlle, et dans laquelle ils avaient prétendu pouvoir retenir le poisson ». En 1365, la veuve de monseigneur d’Olhain « reconnaît avoir été mal fondée à réclamer, contre l’abbaye de Saint-Bertin » des droits et coutumes[16]. Les moines prendraient-ils l’ascendant sur les seigneurs ?

Si la propriété du marais est parfois source de tension, c'est encore plus compliqué pour l’eau et le moulin ! Plusieurs procès ont lieu à l'initiative des religieux contre ceux qui mettent des obstacles au libre écoulement des eaux de la rivière, comme en 1356 : « commission aux sergents du Roi de faire disparaître les obstacles mis par Vincent Boulart au cours de l’eau qui dessert le moulin de Houlle » (il faut trois tentatives pour réussir à détruire les obstacles !)[17]. Surtout, un procès beaucoup plus important a lieu trois décennies plus tard concernant la destruction du moulin faite à main armée par le nouveau seigneur Jean de Nielles et ses complices : ils ont incendié le moulin ! (« avaient démoli et abattu leur moulin de Houlle, de nuit et à effort d’armes, en grand scandale et en insultant les religieux et leurs églises » ![18]) Pourquoi cette colère de Jean de Nielles ? Quelques semaines plus tôt, en mai 1386, on apprend « que l’abbé de Saint-Bertin a fait détruire un waer, ou barrage de pêche, élevé dans la rivière de Hukeleet par Jean de Nielles »[19]. Cela pourrait expliquer le geste. Le procès se termine le 10 septembre 1386 par une sentence du Duc de Bourgogne, ordonnant que le moulin soit relevé et rétabli aux frais des délinquants, qui doivent en plus payer une amende dans l'église du monastère ![20] Un mois plus tard, « Jean de Nielles est venu faire amende honorable à Saint-Bertin, pour la destruction du moulin de Houlle, accompagné par les procureurs d’Artois et de Saint-Omer »[21]. La reconstruction semble longue, puisque le 2 janvier 1388 « le duc de Bourgogne ordonne au bailli de Saint-Omer de faire exécuter par Jean de Nielles la réparation promise du moulin de Houlle »[22]. Le message est ferme ! La tension retombe le 12 janvier 1393, avec une transaction entre l'abbé de St Bertin et Jean de Nielles sur les difficultés qui existaient entre eux. « L'accord porte sur la redevance d'une terre dite le Zutbrule, sur le moulin et les cours d'eau de Houlle, sur le marais du Waierlant [Warland] et sur la redevance... d'une paire de bottes et d'une aune de cuir feutré que l'abbaye devait au seigneur du lieu».[23] Vous allez voir que cette paire de bottes va être une longue histoire ! Enfin, un quart de siècle plus tard, le 11 septembre 1419, le roi de France Charles VI mandate le prévôt de Montreuil « d’informer sur la plainte des religieux de Saint-Bertin contre Jehan de Nielles, seigneur d’Olehain, au sujet d’une entreprise de ce dernier sur les biens des dits religieux, dans la paroisse de Houlle ». Le seigneur est amené à comparaître pour s’expliquer. Il faut attendre le 21 avril 1423 pour avoir une décision (oui, la justice est déjà lente à cette époque !) : « le lieutenant du prévôt de Montreuil rend une sentence qui rétablit les religieux de Saint-Bertin dans la possession de leurs droits de justice et autres, sur le manoir qu’ils possédaient à Houlle, et dont Jean de Nielles, chevalier, seigneur d’Olehain, avait entrepris de les dépouiller »[24]. C’est donc une relation très compliquée entre les deux grands acteurs du village à cette époque, et il faut le décès de Jean de Nielles la même année pour voir se refermer cette page.

[à suivre]

 

[1] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome I, 648-1240, 1886, p. 12.

[2] Grand cartulaire de Saint-Bertin, Tome 1, p. 180, repris par GIRY A., Histoire de la ville de Saint-Omer et de ses institutions jusqu’au XIVe siècle, 1877, p.370-1.

[3] Cartulaire de l’abbaye de Saint-Bertin, p. 194, repris par WAUTERS A., Chartes et diplômes imprimés concernant l’histoire de la Belgique, Tome 1, 275-1110, 1866, p. 538

[4] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome I, 648-1240, 1886, p. 104.

[5] Ibid., p. 117 et 152 ; Dictionnaire historique archéologique du Département du Pas-de-Calais, Arrondissement de Saint-Omer, Tome III, 1883, p. 18.

[6] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome I, 648-1240, 1886, p. 152, 156.

[7] Ibid., p. 173.

[8] Ibid., p. 174.

[9] Ibid., p. 217. A noter que parmi les témoins figure Thomas de Vinc. Ce n’est peut-être pas la première mention de ce hameau puisque le 27 mars 857 Adalard (fils d’Hunroc) donne Hemmavic. Serait-ce Hames et Vincq, deux hameaux de Houlle ? C’est ce que pense FEUCHERE P., « La question de l'« Aria Monasterio » et les origines d'Aire sur la Lys », Revue belge de philologie et d'histoire, tome 28, 3-4, 1950. pp. 1068-1077, p. 1070.

[10] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome I, 648-1240, 1886, p. 245.

[11] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome II, 1241-1380, 1891, p. 52, 262.

[12] HENNEBERT J., Histoire générale de la province d’Artois, Tome 2, 1788, p. 331.

[13] PERSYN J.-M., « Une charte donnée aux habitants du Warland, à Houlle, en juillet 1307 », BSAM 23 n° 451 - janvier 1993, p. 465-466.

[14] Archives départementales du Pas-de-Calais, Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1799, Archives civiles, série A, Tome II, 504-1013, 1887, p. 74. Une vente a lieu en 1463 « devant la loi de Houlle […] à la dite court de Houlle », une autre en 1467 (« devant ladite loy de Houlle »), HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome III, 1381-1473, 1892, p. 461, 486.

[15] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome II, 1241-1380, 1891, p. 292, 295, 303-304, 318.

[16] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome II, 1241-1380, 1891, p. 328, 374.

[17] Ibid., p. 351-352.

[18] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome III, 1381-1473, 1892, p. 25.

[19] Ibid., p. 24.

[20] Commission départementale des monuments historiques, Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais, Arrondissement de Saint-Omer, Tome III, 1883, p. 18.

[21] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome III, 1381-1473, 1892, p. 25.

[22] Ibid., p. 27.

[23] Ibid., p. 42-43.

[24] Ibid., p. 227, 248.

Houlle, entre abbaye et seigneurs (1ère partie)
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