19 avril 2021 1 19 /04 /avril /2021 06:42

Comment se déroule la vie quotidienne des Houllois au Moyen-Age ? On peut naturellement penser que le travail des champs occupe la majeure partie du temps, tandis que l’église est un élément incontournable. D’autres activités semblent néanmoins exister, comme la pêche dans la Houlle ou encore la production de poteries (aucun rapport avec le député !). « M. Decroos expose [...] que, sur le territoire de la commune de Houlle, au hameau le Vincq et lieu-dit la Cense des Moines, on a recueilli, en travaillant la terre, des débris de poteries du Moyen-Age en assez grand nombre pour que l'on puisse supposer qu'il y eut là un centre de fabrication d'une certaine importante. Ce terrain devait appartenir à l'abbaye Saint-Bertin »[1]. Ainsi, un pichet en très bon état retrouvé à Houlle est exposé au musée Sandelin. Il daterait du XIVème ou XVème siècle.

Pichet à anse en terre cuite noire, XIV-XVème siècle, Terre cuite, 21 (H) x 11,2 (D), Musée de l’Hôtel Sandelin, Saint-Omer

Pichet à anse en terre cuite noire, XIV-XVème siècle, Terre cuite, 21 (H) x 11,2 (D), Musée de l’Hôtel Sandelin, Saint-Omer

Les seigneurs d'Houlle... conseillers bourguignons !

 

Qui sont les seigneurs d'Houlle ? Jean de Nielles a obtenu la seigneurie par son mariage avec Jeanne/Marie d’Olhain, fille de Jean d’Ohlain, seigneur de Houlle et Moulle (entre autres !)[2]. La famille d’Olhain est l’une des plus puissantes de la province d’Artois, on la retrouve déjà en 1350 à Houlle (Robert d’Olhain perçoit une redevance sur les terres vendues à l’abbaye de Saint-Bertin par Jacques Boidave)[3]. Jean de Nielles[4] n’est pas n’importe qui non plus, puisqu’il est l’un des conseilleurs favoris de Jean sans Peur, le duc de Bourgogne, comte de Flandre et d’Artois. Avocat au parlement, chevalier, conseiller, chambellan et second Président du Conseil de Lille en 1402 (période Philippe II de Bourgogne), il gravit les échelons après la mort de celui-ci en 1404. Il a ses entrées au Conseil du Roi de France Charles VI dès 1405 (et il y entre officiellement en 1409), construit le château d’Olhain (encore visible de nos jours !), reçoit le gouvernement d’Arras, puis devient chancelier d’Aquitaine ! Il joue ainsi un rôle très important en cette période troublée et pleine d’intrigues qu’est la guerre de 100 ans (il semble d’ailleurs en être l’un des acteurs puisqu’il est signalé au Roi par le duc d’Orléans comme l’un des coupables de la mort du père de celui-ci ; on le retrouve aussi en mars 1413 en train d’insulter le chancelier du roi de France en plein conseil royal !)[5]. Son passage à Houlle est surtout marqué par la destruction du moulin, il semble ensuite que la gestion de ses terres soit assurée par Jean de Vinc, son bailli[6]. Après Jean de Nielles (décédé sans héritier mâle en 1423), sa fille Marie hérite de Houlle (elle se marie avec Bauduin de Lannoy dit le Bègue, seigneur de Molembais)[7]. Il semble qu’elle n’ait pas eu d’enfants : ses terres passent ensuite à son neveu Pierre de Berghes[8]. Celui-ci est également un personnage important pour l’Etat bourguignon, il est fait chevalier, il lève la bannière le jour de la victoire remportée par Philippe le Bon à Gavre, sur les Gantois, et il se prépare même à partir en Terre Sainte[9]. En 1517, c'est Philippe, seigneur du Vrolant, de Houlle etc, qui est porté pour la seigneurie de Houlle, venue de Jeanne de Berghes, sa mère. En 1549, c'est Claude de Fontaine, seigneur de Neuville, époux de Jeanne du Vrolant, pour la même seigneurie, venue de Philippe du Vrolant, son père. Veuve, elle se remarie en 1550 avec Charles de Créquy (seigneur de Raimboval). En 1560, c'est Louis (III) de Créquy pour la Vicomté d'Houlle venue de Jeanne du Vrolant, sa mère[10]. On retrouvera ensuite les Créquy pendant plusieurs générations (son fils Louis 4ème du nom, qui se marie à Jeanne de Berghes, une cousine éloignée, puis Antoine).

Geneanet, arbre d’Olivier Feyssac.

Geneanet, arbre d’Olivier Feyssac.

Les seigneurs de Houlle aux XVème et XVIème siècles (encadrés en rouge). Pierre II de Berghes est en fait le fils de Jean de Berghes et d’Alix de Nielles, et neveu de Jeanne de Nielles (sa tante maternelle), elle-même mariée à Bauduin de Lannoy (pas d’enfants). C’est par elle que passe la seigneurie de Houlle à Pierre II de Berghes.

 

Les seigneurs d'Houlle... et leurs bottes !

 

Le 26 septembre 1616, un nouvel accord est signé entre l’abbaye de Saint-Bertin et le seigneur d’Houlle (Hector de Créquy) à propos du cours de l’eau du vivier « qui sera laissé libre pour l’usage du moulin de Saint-Bertin »[11]. Mais, au-delà du sujet toujours compliqué de l’eau à Houlle, « Guillaume Loemel, abbé de St Bertin, et Messire Hector de Créquy, seigneur de Houlle, conviennent que la redevance d'une paire de bottes feutrées, augmentée par la suite de cinq biguets deux lots d'avoine [le biguet équivalait à 8 litres 3333, le lot à 2 litres 0833], ne sera plus maintenue ; les religieux devant dorénavant payer chaque année audit seigneur, au jour de tous les saints, la somme de sept florins, première échéance audit jour de l'année 1617 »[12]. Ça y est, après 220 ans, le seigneur d'Houlle dit au revoir à ses bottes annuelles payées par l'abbaye Saint-Bertin ! Nous pouvons toutefois supposer que la redevance n'était plus tout à fait acquittée depuis quelques années, car la convention en question fixe les arrérages, y compris ceux de l'année 1616, à la somme de quatre-vingt-dix-neuf florins[13].

Mais cet accord est à nouveau modifié, « les seigneurs de Houlle regrettant sans doute leurs bottes feutrées. Au rôle des Vingtièmes de 1760, sous la rubrique Houlle, on trouve en effet : Abbé et religieux de St Bertin jouissent de plusieurs rentes foncières qu'ils tiennent de la vicomté d'Houlle et qu'ils ont estimé valoir, année commune, tant en grains qu'en argent et plumes à la somme de 555 fr. ; de plus sont chargés vers ledit seigneur, vicomte de Houlle, de redevances et une paire de bottes feutrées pour octroyer de l'eau pour l'usage de leur moulin d'Houlle. Il fallut que la révolution dispersât les religieux pour priver le seigneur de Houlle de ses bottes feutrées ».[14] Et oui, près de 400 ans à recevoir des bottes !

 

Les seigneurs, la suite : le vicomte de Houlle mousquetaire du roi !

A partir du XVIème siècle, on remarque que le titre de seigneur de Houlle est peu à peu remplacé par celui de vicomte, comme c’est le cas dans de nombreux endroits de France.

Le 4 juin 1687, il est dit qu’Anne de Créquy (fille d'Antoine, petite fille de Louis IVème du nom) est vicomtesse de Vroland et d'Houlle, dame de Recque, etc., elle est marié en 1674 à Baltazar-Joseph de Croy, marquis de Molembais (mort en 1704)[15]. On dit aussi parfois qu’elle est baronne de Houlle (elle décède le 6 mars 1723).

--> C’est ici que l’on passe des Créquy au de Croix (comment exactement ? c’est encore un mystère pour moi, j’ai un problème dans des dates qui se télescopent, ainsi en 1690, Balthasar-Joseph de Croix est toujours désigné marquis de Molembais et vicomte d’Houlle d’après les chartes de Saint-Bertin[16]).

Toujours est-il que les fils du mariage de Renom François de Beauffort, comte et seigneur de Moulle etc, grand bailli d’épée pour le roi à Saint-Omer, époux en 1670 d’Antoinette de Croix, (fille de Jacques de Croix) sont déclarés vicomte de Houlle. Ainsi le premier fils, Louis François de Beauffort, comte de Moulle, vicomte de Houlle, mort sans descendance le 7 février 1718.

Puis c’est le second fils, Christophe Louis de Croix de Beauffort, qui sera comte de Croix, seigneur de Moulle, Houlle et autres lieux. Il est aussi nommé grand bailli d’épée de St-Omer par édit du roi du 19 novembre 1702[17]. Il reçoit en mai 1716 des lettres patentes l'autorisant ainsi que ses successeurs à prendre le titre et les armes de comte de Croix ![18] On le dit alors comte de Beauffort, de Croix, de Moulle et de Buisscheure, vicomte de Houlle et de la Jumelle, baron de la Motte, Grincourt etc. (ça commence à faire long sur les faire-part !). Il se marie en 1723 à sa cousine Marie Anne Françoise Josèphe de Croix, morte en 1735 (fille de Maximilien Thomas de Croix). Christophe Louis déclare finalement préférer reprendre les armes de Beauffort et présente une demande en ce sens au roi. La demande est acceptée, et en juillet 1733, sont émises à Compiègne des lettres royales érigeant en comté les terres de Moulle, où réside Christophe Louis, la seigneurie de Houlle et de Buysscheure, tenues du château de Saint-Omer sous dénomination de comté de Beauffort[19]. Il meurt en 1748.

J’insiste quelque peu car c’est un personnage important : il est capitaine de la deuxième compagnie des mousquetaires du roi en service au château de Versailles pendant cinq ans !

Les seigneurs de Houlle, de conseiller bourguignon à mousquetaire du roi de France

Son fils Louis-Eugène-Marie, Comte de Beauffort, de Moulle et de Buisscheure, Vicomte de Houlle et de la Jumelle, etc, est député à la cour pour le corps de la noblesse des états d’Artois en 1755 et 1760, il épouse en 1748 Catherine de Lens, de Recourt, de Boulogne et de Licques[20]. Il meurt à Bruxelles en 1793 sans descendance masculine survivante.

 

La révolution met ainsi fin à cette longue histoire des seigneurs de Houlle. Qui étaient bien bottés.

 

[1] BSAM 13 n° 258 – 1922, Débris de poterie trouvés à Houlle, p. 544.

[2] Commission départementale des monuments historiques, Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais, Arrondissement de Béthune, Tome 1, 1875, p. 28.

[3] HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome II, 1241-1380, 1891, p. 337.

[4] Le 21 mars 1395 il achète à Jeanne de Northout des fiefs à Houlle (le Viscomté, le Wolbrant, un autre nommé le Voedre Avain..., d’autres terres près d’Hessinghem, etc.), HAIGNERE D., Les chartes de Saint-Bertin, Tome III, 1381-1473, 1892, p. 54-55.

[5] Commission départementale des monuments historiques, Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais, Arrondissement de Béthune, Tome 1, 1875, p. 46-50.

[6] HAIGNERE D., BLED O., Les chartes de Saint-Bertin, Tome III, 1381-1473, 1892, p. 28.

[7] CARON M.-T., « Enquête sur la noblesse du bailliage d'Arras à l'époque de Charles le Téméraire », Revue du Nord, tome 77, n°310, avril-juin 1995, pp. 407-426, p. 417.

[8] Commission départementale des monuments historiques, Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais, Arrondissement de Béthune, Tome 1, 1875, p. 28.

[9] Ibid., p. 52.

[10] Commission départementale des monuments historiques, Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais, Arrondissement de Saint-Omer, Tome III, 1883, p. 19. Hector de Crequy est aussi déclaré seigneur de Houlle d’après une lettre de 1586 ; HORDIJK C. P., Quedam narracio de Greninghe, de Thrente, de Covordia et de diversis aliis… n°49, 1888, p. 567.

[11] BLED O., Les chartes de Saint-Bertin, Tome IV, 1474-1779, 1899, p. 329.

[12] Ibid. ; PLATIAU E.,  Redevance payée par l'Abbaye de Saint-Bertin pour le moulin de Houlle, BSAM 13 n° 258, 1922, p. 613-614.

[13] PLATIAU E.,  Redevance payée par l'Abbaye de Saint-Bertin pour le moulin de Houlle, BSAM 13 n° 258, 1922, p. 613-614.

[14] Ibid.

[15] DE PAS, J., « Notes pour servir à la statistique féodale dans l'étendue de l'ancien bailliage et de l'arrondissement actuel de Saint-Omer », Mémoires de la Société des antiquaires de la Morinie, Volume 34, 1926, p. 610.

[16] BLED O., Les chartes de Saint-Bertin, Tome IV, 1474-1779, 1899, p. 365.

[17] Le mémorial artésien, 19 novembre 1894.

[18] EXPILLY J.-J., Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Tome 2, 1764, p. 547.

[19] LE BOUCQ DE TERNAS A., Recueil de la noblesse des Pays-Bas, de Flandre et d’Artois, 1884, p. 76.

[20]DE SAINT-GENOIS J., Mémoires généalogiques, pour servir à l'histoire des familles des Pays-Bas, 1781, p. 52.

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