Les sommets empruntés par le tour de France se résument avec des chiffres qui parlent aux connaisseurs : 21 kilomètres depuis Bedoin, pour la montée la plus difficile. 1600 mètres de dénivelés. Une pente moyenne de 7,5%, avec un maximum à 11%. Et, au final, l'arrivée à 1912 mètres d'altitude sur la scène la plus mythique du grand tour. Quant à 55 minutes et 51 secondes, ce n'est pas l'objectif, c'est le record établi en 2010 par Iban Mayo lors d'un contre la montre.
Après avoir gravi les 21 lacets de l'Alpe d'Huez l'année dernière (14,6 km), me voici de retour avec un col hors catégorie, « beaucoup plus dur » d'après les témoignages. Deux choses peuvent effrayer : la distance, et la météo. Honnêtement, je ne suis pas inquiet pour les 21km, l'Alpe d'Huez m'a rassuré et j'ai un peu roulé les deux mois précédents : 50 bornes en juillet, 200 bornes en août.... bon ce n'est pas une préparation de fou (les cyclistes doivent rire en voyant les chiffres), et, en plus, c'était principalement du VTT dans le Pas-de-Calais, l'un des coins les plus plats de France ! Ce qui m'inquiète vraiment, en revanche, c'est le climat. Pas tant la chaleur que le vent. C'est mon unique souvenir du Ventoux quand j'étais gamin : la voiture qui fume une fois arrivée en haut, et un vent hallucinant nous obligeant à rentrer illico presto. Mais, bonne nouvelle, les orages annoncés quelques jours auparavant ont disparu, et nous avons le droit à des conditions optimales : 20 degrés, grand soleil, un régal !
Nous sommes 3, Lucas, Greg et moi. Nous avons loué des vélos à Bedoin, 8,5kg, qui me changent sacrément de mon gros et lourd VTT. L'objectif est clair : arriver en haut ! Et, ce serait mieux, ensemble ! Deux bidons remplis, quelques pâtes de fruit dans la poche, le casque sur la tête et, chose nouvelle pour moi, des chaussures adaptées. En selle !
Alors qu'on entrait directement dans le dur à l'Alpe d'Huez (2 km à 10%), les cinq premiers kilomètres du Ventoux sont parfaits pour la mise en jambes : on alterne entre 3 et 5%. Physiquement, c'est important, on s'habitue au vélo, on passe les vitesses. Mentalement aussi, c'est important : notre montée se réduit ainsi très vite à 16km ! Car le géant de Provence est constamment à nos côtés, sur notre gauche. On observe son sommet iconique, et on réalise bien que c'est très haut !
A la sortie de Sainte Estève, virage à gauche, et c'est parti pour la montée, la vraie ! Elle se décompose en 3 étapes : 9 kilomètres entre 8 et 10% jusqu'au Chalet Reynard, puis 4 kilomètres à 6% avant les 3 derniers entre 8 et 11%.
La première étape se déroule dans la forêt. Nombre de cyclistes sont autour de nous, enfin, derrière, puis devant (en clair : on se fait dépasser régulièrement!). Nous essayons de trouver notre rythme, aux alentours de 8km/h. Nous n'avons pas de réels objectifs temps, hormis de faire moins de 3 heures. Mon but premier reste d'aller en haut sans mettre pied à terre. Assez rapidement, un membre du groupe, que nous appellerons « lapin » pour ne pas le dénoncer, souffre d'un mal de fesses important. La selle, cruelle, ne semble pas adaptée à son fessier. 6ème km, 7ème, au 8ème il me dit qu'il veut s'arrêter. Lucas est un peu devant, en train de fricoter avec un autre cycliste, et j'essaie comme je peux d'encourager mon lapin à poursuivre l'aventure. « Allez, tu peux y arriver. Allez, au moins jusqu'à la moitié ensemble ». Mais la douleur est trop forte. Après une petite heure d'efforts, un peu après le 9ème kilomètre, Lapin se met sur le côté, repose son fessier, tandis que je rejoins mon dernier compagnon. Perdre un homme au combat, tristesse.
10 km, mes sensations sont bonnes. Nous doublons deux-trois personnes, discutons avec un type... qui habite dans l'Audomarois. Lui fait la montée trois fois pendant les vacances et il connaît le lieu comme sa poche, nous distillant quelques conseils et anecdotes. Faire 900 bornes et parler du pays, c'est donc ça le Ventoux ! Il nous accompagnera quasiment jusqu'au bout.
Chalet Reynard. Cela fait 1 heure 40 que nous grimpons, et nous sortons de la forêt. Le mont Ventoux devient chauve, nous sommes entourés par la roche calcaire blanche, et le soleil tape sur nos casques. Pas un souffle de vent, et le sommet en vue, 6 kilomètres devant nous ! Je me ravitaille un peu (je bois à chaque borne kilométrique, j'avale un peu de sucre en poudre et une pâte de fruit... non, pas d'EPO, une analyse d'urine peut le prouver!). La pente s'apaise un peu, à 6%, pendant 4 kilomètres. Le souffle et les jambes répondent toujours bien pour mes deux compagnons et moi-même. La vue se dégage, la Provence s'ouvre à nous. Le lieu est magnifique. Quelques photographes nous tirent le portrait, l'ambiance est toujours sympa avec les autres cyclistes. Bon, s'il y a assez peu de voitures par rapport à l'Alpe d'Huez, il y a beaucoup plus de vélos électriques, et c'est toujours frustrant de se faire dépasser par une femme de 65 ans qui discute des petits-enfants sans perdre son souffle pendant que toi tu es concentré pour chaque effort !
Après deux heures d'efforts, nous arrivons dans la dernière partie. La pente se redresse, entre 8 et 11%. C'est ici que le vent est normalement redoutable, et toujours pas un souffle. Je laisse notre nouvelle recrue audomaroise partir un peu en avance, je regarde un peu derrière moi, sentant que mon fidèle compagnon Lucas est un peu plus en difficulté. Nous passons devant la stèle de Tom Simpson, décédé ici en 1967 (un mélange de soleil, de fatigue... et d'amphétamines), recouverte de bidons, casquettes et autres objets déposés là par des fans. 2 heures 15, il reste un kilomètre. Je décide d'accélérer un petit peu pour profiter (et faire moins de 2 heures 30). J'ai encore des réserves, et ce dernier kilomètre, logiquement le plus dur, est assez facilement avalé. 2 heures 23 minutes, et j'y suis ! Lucas arrive 5 minutes plus tard (et là je comprends les écarts que l'on peut faire en l'espace d'un kilomètre sur le Tour!). J'imagine Greg un peu tout seul dans la pampa, je décide de redescendre pour l'encourager un peu. Il lui reste justement les 2 derniers kilomètres, et c'est dur mentalement, mais aussi physiquement (ah, le fessier...). Il arrivera lui aussi tout au bout, tout là haut.
Une fierté. Nous y sommes donc arrivés. Autour de nous, il y a bien une centaine de personnes, peut-être plus, qui viennent de faire la même chose. C'est toute une communauté qui savoure le moment, certains ouvrent carrément une bouteille de champagne, nous choisissons plutôt une boisson sucrée. Du côté du versant Nord, c'est un autre paysage, moins provençal : les Alpes sont au loin.
Reste la descente ! Là, ça demande de la concentration ! Nous la faisons en deux fois (on mange au chalet Reynard). Je mets 30 minutes pour revenir à Bedoin, avec des pointes à 60 km/h.
Le bilan : j'ai préféré le Ventoux à l'Alpe d'Huez. Le paysage est aussi beau, il y a surtout moins de circulation, et l'arrivée est iconique. On m'avait tellement vendu l'enfer que j'ai trouvé la montée plutôt facile à nouveau (mais je crois que le VTT perturbe ma vision : je me retrouve régulièrement avec des pentes à 15% sans goudron... et j'en chie tellement!).
Les alentours sont également très sympa (Vaison-la-Romaine notamment) et on a fait une bonne fête à Sainte Colombe (j'ai réussi à avoir les lacs du Connemara). Quant au mont Ventoux la nuit, c'est un lieu parfait pour observer la Voie Lactée !
Prochain challenge ? J'avoue que le Paris-Roubaix me donne envie. Bon plutôt le 70 km que le 170km (on me vend une nouvelle fois l'enfer... et je veux bien y croire cette fois!).