25 ans. Pour le Rwanda, cela fait 25 ans que le génocide a eu lieu.
10 ans. Une décennie que je travaille sur le Rwanda (et le Burundi). De manière moins insistante qu'il y a quelques années, à l'époque de ma thèse, mais je reste un spectateur attentif aujourd'hui. Je n'ai pas « transformé l'essai », à savoir publié mes recherches, notamment la thèse, par manque de motivation essentiellement. Mais j'ai un statut, je suis un « docteur », un « chercheur associé » dans un laboratoire d'université française. Alors, de temps en temps, on vient me chercher pour répondre à quelques questions sur la région (France Culture et La liberté ces deux dernières semaines). Par contre, je n'ai pas encore reçu d'invitation concernant la commission d'enquête française chargée de travailler sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. D'ailleurs, cette commission n'a aucun spécialiste de la zone... Etrange. Qu'importe, je donne ma version des faits ici, avec des informations que vous retrouverez forcément ailleurs. Car la France a un rôle important dans le génocide rwandais.
Pourtant, le Rwanda n'était pas une colonie française, mais allemande, puis un mandat belge (de 1919 à 1962). Paris débarque à Kigali via un accord de coopération civile (1962) puis d’assistance militaire technique signé le 18 juillet 1975 et modifié en 1983. A cette époque, le président rwandais est Juvénal Habyarimana. La France s'engage donc à aider militairement le Rwanda, comme elle le fait dans la majorité de ses anciennes colonies, via l'envoi d'instructeurs par exemple. Stabilité, gain diplomatique, facilité économique, les raisons justifiant cet accord sont de natures diverses pour la France.
Lorsque la guerre débute en 1990 entre le gouvernement de Kigali (toujours mené par Juvénal Habyarimana) et les rebelles, descendants de réfugiés (le FPR, mené par l'actuel président Paul Kagamé), la France choisit son camp : celui du gouvernement. La France envoie des hommes, le Détachement d’Assistance Militaire et d’Instruction (et aussi son pendant gendarmerie), envoie des armes (mortiers de 60 mm, 81 mm et 120 mm ainsi que des fusils de 105 mm) tandis que la BNP garantit les achats d'armes (dès 1992). Cet approvisionnement en armes inonda le pays, si bien qu’en 1993, il devint possible d’acheter des grenades sur les marchés de plein air pour quelques dollars la pièce...
La France est le pays le mieux informé sur ce qui se passe en Rwanda avant 1994. Des militaires entendent parler de listes, les discours extrémistes ne sont pas susurrés, ils sont criés sur tous les toits. Paris ne réagit pas, les militaires français participent même, souvent dépassant leur fonction/ordre, à des combats sur le front entre l'armée rwandaise et les rebelles. Deux mois et demi avant le génocide, alors qu'un embargo sur les armes existe désormais, la France est prise la main dans le sac à l'aéroport de Kigali, alors qu'elle envoie des armes à l'armée rwandaise...
Lorsque le génocide débute, les principaux organisateurs se réfugient à l'ambassade de France. Ils sont évacués, ils sont protégés par la France. Agathe Habyarimana, la femme du président, celle vers qui beaucoup se tournent quand il faut expliquer le génocide, vit encore en France aujourd'hui, bien à l'abri de la justice. Un gouvernement provisoire est mis en place... dans l'ambassade de France. Ce gouvernement provisoire qui supervisera le génocide.
Quant à ceux qui encadrent le génocide, sur le terrain, ce sont essentiellement des militaires et des gendarmes formés par les Français. Très bien formés. Trop bien formés, en y regardant avec 25 ans de recul.
Que fait la France ? Comment réagit-elle alors qu'un génocide a lieu, et que, selon le terme, l'ensemble de la communauté internationale doit réagir ? Elle tergiverse. Elle garde à l'esprit son vieux schéma, elle reste du côté du gouvernement. Les premiers avions débarquent avec des munitions pour le gouvernement rwandais. Des avions transportant des armes sont envoyés de France à Goma pendant le génocide. Quand la France lance l'opération Turquoise, le 23 juin, à la fin du génocide, elle le fait toujours avec une idée derrière la tête : protéger le gouvernement officiel, celui qui doit fuir devant l'avancée des rebelles. Tout cela en se drapant du manteau de l'opération humanitaire, destiné à sauver des vies. Les génocidaires sont heureux, ils acclament l'armée française à son arrivée, celle qui va les protéger pour qu'ils puissent fuir, avec leurs armes, leurs munitions, et le sang sur leurs mains. Des armes arrivent au Zaïre, pour les génocidaires, alors qu'un embargo international a été mis en place. Des militaires français de haut rang le voient, et ne réagissent pas. Ces armes seront bientôt utilisées dans les guerres congolaises.
Voilà le rôle de la France pendant le génocide rwandais de 1994. C'est clair, c'est précis, c'est documenté. Les Français sont restés les plus proches alliés du gouvernement rwandais sur les plans militaire, politique et diplomatique. On peut parler de complicité, notamment en raison des armes envoyées. Certains hommes politiques de l'époque ne veulent pas regarder la vérité en face (Hubert Védrine en premier lieu). Des erreurs monumentales ont été faites par l'Elysée à l'époque (François Mitterrand donc), sans doute très mal conseillé par son fils Jean-Christophe ou par les militaires qui l'entourent.
Oui, la France doit présenter ses excuses officielles. Les Etats-Unis et la Belgique l'ont fait il y a bien longtemps (1998 et 2000). Ce n'est pas cracher sur l'armée française, c'est simplement admettre que de nombreuses erreurs ont été commises. Les faits sont têtus.