10 décembre 2020 4 10 /12 /décembre /2020 19:15

Voilà plus d'un mois que j'enseigne dans un lycée dunkerquois. Je suis arrivé deux semaines après l'assassinat de Samuel Paty, dans une ambiance de confinement, avec des masques, et sans réelle consigne gouvernementale sur le protocole ou les épreuves de bac. Bref, c'était la merde ! (comme partout!)

Sympa, je me retrouve avec quatre niveaux du lundi 8h au samedi midi : première générale, terminale générale, première spécialité histoire-sciences politiques-géopolitique et terminale spécialité histoire-sciences politiques-géopolitiques. Avec les nouveaux programmes et la réforme du bac, je n'ai rien dans mes stocks de cours. L'avantage, c'est la période, travailler étant devenu notre seul droit inaliénable !

 

Alors j'ai redécouvert un chapitre sur les mers et les océans, un autre sur la métropolisation, j'ai apprécié la thématique consacrée aux frontières, et je me suis lancé dans un thème qui me paraissait alléchant et qui me tient particulièrement à cœur : l'environnement. Pensez, 24 heures devant moi pour parler d'environnement avec des terminales ! Ca a l'air formidable !

 

Les jalons. Nouveau terme à la mode au lycée (ça change tous les cinq ans, j'ai l'impression que « compétences » est déjà has been). En d'autres termes, des sujets obligatoires à insérer dans le cours. Pour l'environnement : la forêt française depuis Colbert, la rupture de la révolution néolithique dans l'évolution des milieux, l'évolution du climat en Europe entre le Moyen-Age et le XIXème siècle. Sexy ? Hum.

 

Bon, une fois tout ça passé, le cœur du sujet, le climat un enjeu des relations internationales : les accords internationaux. Je me passionne alors pour le protocole de Kyoto. Pensez, la COP3, en 1997, avec comme objectif de réduire les gaz à effet de serre d'au moins 5% par rapport à 1990. L'idée est bonne. Et puis viennent les chiffres...

Un cours amer

Je vous avoue que quand j'ai mis cette courbe de l'évolution des émissions de CO2, j'étais un peu déprimé. Kyoto, 1997, « un résultat mitigé » dit la presse. C'est marrant, moi j'aurais dit un gros échec. Depuis que mes parents sont nés, les rejets de CO2 par an ont triplé. Bon...

Et dans la ligne des bonnes nouvelles, il y a aussi la protoxyde d'azote, 298 plus dangereux pour le réchauffement climatique, qui reste 130 ans dans l'atmosphère ! Certains scientifiques considèrent que c'est le premier destructeur de la couche d'ozone aujourd'hui. Et ça monte, ça monte, ça monte...

Un cours amer

Heureusement, voilà l'accord de Paris ! Ah, la COP21, les grandes embrassades, tout le monde debout applaudissant. Quelle victoire ! L'objectif : limiter l'augmentation de la température au niveau mondial entre 1,5°C et 2°C... Ah, oui, quand même, un objectif qui est déjà inquiétant !

Sauf que cet objectif dépend du bon vouloir de chaque État, qui définit lui-même ses objectifs personnels (ce sont les fameuses contributions déterminées au niveau national). Et quand on fait le bilan des promesses, on arrive... à une augmentation de 3°C !

Ah, merde !

 

Oui, mais vous savez, les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent ! Car pour Kyoto, chaque pays avait aussi fait des promesses. Qui n'ont pas été tenues par près de la moitié des pays.

Je résume donc : on a un accord qui vise à limiter l'augmentation à 2°C, les pays ont fait des promesses qui permettraient une augmentation de 3°C, et il se peut que beaucoup d'entre eux ne respectent pas leur promesse.

J'ai commencé à créer ce cours en me disant « c'est la merde pour l'environnement ». J'ai fini ce cours en me disant « c'est la grosse merde pour l'environnement ».

 

Dans 40 ans, l'expression à la mode ne sera plus bon appétit, mais bonne respiration.

Un cours amer
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6 novembre 2019 3 06 /11 /novembre /2019 17:00

C'est un mythe tenace, quand d'autres n'y voient qu'un abus de langage : 1492, Christophe Colomb découvre l'Amérique. Ah, ça oui, à titre individuel : c'est bien la première fois qu'il se trouvait là ! Mais on va rappeler aujourd'hui que l'Histoire est bien différente du mythe.

Pourquoi Christophe Colomb n'a pas découvert l'Amérique

I] L'Amérique aux Américains

Pardonnez mon titre un peu Trumpien ! Mais c'est qu'en 1492 l'Amérique a déjà été découverte... par les gens qui y habitent ! Et ce n'est pas 3 pelés et un tondu qui y vivent, il y a les grandes civilisations Maya, Inca, Aztèque... et toutes les autres ! (Cherokee, Sioux, Apache, Caribe, Mapuche, Guarani... il y en a des milliers). Christophe Colomb n'est donc pas le premier homme à mettre le pied sur ce continent, il raconte d'ailleurs ses rencontres qu'il fait dans les Caraïbes actuelles.
L'occasion ici de faire un point sur ces Américains d'"origine" : d'où viennent-ils ? D'Asie !

Les migrations des Homo-Sapiens

Les migrations des Homo-Sapiens

L'homo-sapiens a toujours migré (même si ça gêne des politiques !). Originaire d'Afrique, il est allé peupler l'Europe, l'Asie etc. jusqu'en Amérique. Depuis près de 100 ans c'est la théorie admise, même si des découvertes récentes permettent de reconsidérer les dates (de - 15 000 on passerait à - 30-35 000). L'archéologie bouge beaucoup en ce moment, et il n'est pas impossible que d'autres découvertes fassent revoir notre vision actuelle. Il n'empêche, Christophe Colomb n'a pas découvert en premier le "continent" américain, au sens géographique du terme. Pire, il n'est même pas le premier Européen à poser le pied !

 

II] Les Vikings au Canada

Non, ce n'est pas qu'une série télévisée ! Les Vikings ont bien existé, ils ont d'ailleurs traumatisé une bonne partie de l'Europe avec leurs raids. Mais là où leur histoire m'intéresse aujourd'hui, c'est pour leurs voyages vers le Groenland. Nous sommes alors au Moyen-Age et ces champions de la navigation poussent à l'Ouest. L'Anse aux Meadows ne vous dit peut-être rien, c'est pourtant un site archéologique essentiel, classé patrimoine mondial par l'Unesco : découvert en 1960, il est composé de maisons et d'outils remontant aux alentours de l'an 1000, identiques à ceux des Vikings en Norvège. Or, c'est aujourd'hui situé au Canada !

Comme le disaient les sagas islandaises du XIIIème siècle, les Vikings ont peuplé un territoire à l'Ouest du Groenland ! Ainsi, ils ont "découvert" l'Amérique avant Christophe Colomb, qui ne peut plus être considéré comme le premier Européen à poser le pied en Amérique !

Les voyages des Vikings

Les voyages des Vikings

III] Christophe Colomb ne connaît pas sa découverte

Et si je ne vous ai pas encore convaincu, voici la dernière partie qui le fera ! Car oui, finalement, 500 ans plus tard, Christophe Colomb met le pied en Amérique et y rencontre ses peuples. Mais qui croit-il rencontrer ? Des Indiens ! Des Asiatiques en fait ! Ceux qu'on appelle aujourd'hui des Japonais ! Car quand il part, voilà sa vision du monde !

Globe de Martin Behaim, 1492

Globe de Martin Behaim, 1492

Ainsi l'île de Cipangu/o, telle que Marco Polo l'a racontée, est l'objectif premier de Colomb, ainsi que la Chine : ce sont les Indes orientales (d'où le nom d'Indiens). Vous connaissez la suite, il arrive sur le continent américain... persuadé qu'il est en Asie ! Et quand il meurt, en 1506, il est toujours sûr qu'il a trouvé une nouvelle route vers les Indes Orientales !
Christophe Colomb n'a donc pas découvert l'Amérique, puisqu'il ne savait pas lui-même à sa mort que ce continent existait !



Vous êtes convaincus ?! Bon, bien sûr, en conclusion, sa redécouverte fortuite d'un continent peuplé a transformé le monde, certains parlant du XVIème siècle comme celui de la première mondialisation. Et c'est le fait d'avoir clamé sur tous les toits la découverte d'une nouvelle route qui a permis l'établissement des Européens en Amérique, et, de fait, sa colonisation. Christophe Colomb, un sacré pistolet !

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19 décembre 2018 3 19 /12 /décembre /2018 23:01

C'est le moment stressant. Ton prof t'amène ta copie. As-tu réussi ? Toi même tu n'en es plus très sûr. Et le couperet tombe...

 

Je fais deux types d'évaluation. D'abord les fils rouges : une petite interrogation à chaque début de cours, qui dure en moyenne 3-4 minutes. Les élèves ont deux questions au tableau, ils répondent de manière brève à quelque chose qui concerne le cours précédent. L'objectif pour moi et pour eux : qu'ils apprennent au fur et à mesure (à savoir quelque chose que je ne faisais pas à leur âge... hum hum...). C'est noté sur deux points, et ça s'accumule assez vite (ils gardent la même feuille à chaque fil rouge). Ce n'est pas très compliqué et les notes sont plutôt bonnes à chaque fois : dans mes deux classes de première ES par exemple, une seule élève n'a pas eu la moyenne. Pour les autres, ça fait quasiment toujours monter la moyenne à la fin du trimestre. Pour moi la correction est très rapide : soit c'est bon, soit c'est faux, car les questions sont plutôt précises. Du coup, je corrige mes copies pendant le cours, et c'est fait en dix minutes (pendant que les élèves travaillent sur des exercices ou quand ils écrivent le cours projeté au tableau).

L'autre évaluation est globale. Elle se déroule en fin de chapitre, et doit notamment permettre de voir si les élèves ont compris le cours et maîtrisent certaines compétences. Au première trimestre, j'ai insisté sur la compréhension des documents et la méthode de réponse à ces questions. L'évaluation était donc toujours des questions de documents. Au deuxième trimestre, j'insiste sur le commentaire de document. La méthode est totalement différente, puisque c'est un travail d'écriture (introduction, plan construit, conclusion). Du coup les évaluations tournent autour de ça. Au troisième trimestre ce sera la dissertation, c'est à dire au revoir les documents, et tu te débrouilles avec une question. Je n'interroge donc pas sur la dissertation alors que je n'ai pas encore travaillé dessus, j'essaie d'être un peu logique.

Je me retrouve donc avec 36 copies de 1ère ES chez moi. Comment je procède ? Pour les questions de documents, j'ai déjà un barème affiché sur les sujets. Pas de surprise pour les élèves. C'est bon, tu as tous les points. C'est à peu près bon, tu en perds un petit peu. Etc. Pour le commentaire de document, ça peut parfois paraître un peu subjectif. Je fonctionne ainsi : 5 points pour l'introduction (accroche /1, présentation des documents /1, contexte /1, problématique /1, annonce du plan /1), 2 points pour la conclusion (réponse à la problématique /1, ouverture /1). J'explique avant l'évaluation mon barème, les élèves ne sont pas surpris non plus. Reste 13 points à distribuer. Souvent je mets un point sur le fait d'avoir respecté le plan annoncé, six points pour la première partie, six points pour la seconde partie, avec des idées ou mots clefs. Sujet sur la première guerre mondiale, guerre totale : il faut m'avoir parlé du front (tranchées, la mort omniprésente, les conditions de vie...) et de l'arrière (économie de guerre, propagande, les femmes...). Si tu m'as fait tout ça, et que tu as justifié chaque idée avec le document, je ne vois pas pourquoi je ne te mettrai pas une très bonne note. J'ai encore en souvenir un prof à l'université qui nous avait dit : « c'est un excellent exposé, je vous mets 13/20 ». On était énervé. Et, en effet, il n'est jamais passé au-dessus du 13. Moi, je note sur 20. L'année dernière, pour le bac, j'ai corrigé 35 copies de 1ère S. Et j'ai mis plus de dix notes à 18, 19 et 20. J'écris souvent « bravo ! » sur l'appréciation finale de ces copies. Et régulièrement « oui », « bien », « très bien », « excellent » dans la marge. Ca, c'est le côté chouette, ton élève a compris ton cours, la méthode et tu as l'impression d'être un bon prof utile. Et puis il y a les mauvaises copies...

Là, le travail de correction est un peu différent. Je passe du temps à donner des conseils, et effectuer les corrections. « Essaie d'être plus précise ». « Tu ne respectes pas la méthode de l'introduction : accroche, présentation des docs, contexte, problématique, plan ». « C'est bien, mais ce n'est pas la question que j'ai posée ». Oui, je positive. Et je positive toujours dans l'appréciation finale : vous ne me verrez jamais écrire « t'es nul ! » ou « idiot ! ». Non, l'école change ! J'écris quasiment exclusivement des conseils : « voilà ce que tu peux faire pour obtenir la moyenne ». Ou encore, « voilà ce qui te permettra de progresser ». De même, je ne barre pas en gros, en rouge, en écrivant 0 dans la marge. Je n'écris plus 0. Je fais un trait. Ça ne change rien, le résultat est le même me diriez-vous. Peut-être. Mais je sais que certains élèves peuvent avoir ce traumatisme du 0. Car voir dans une copie où vous avez écrit 4 pages 0, 0, 0, 0, 0 dans la marge, ça fout un coup au moral. A partir de là, l'élève peut se dévaloriser, se dire, je suis nul de toute façon, j'arrête de travailler cette matière (tous les élèves ne fonctionnent pas ainsi, mais ça arrive). D'où l'idée de les motiver en regardant un peu le positif, et en regardant les pistes de progression. De même, j'essaie d'éviter au maximum de mettre en-dessous de 5/20. Ce n'est pas toujours facile, mais je note un peu comme au bac, dès la première : tu respectes la méthode, sans connaître ton cours. D'accord, ça vaut 5. Bon, copie presque blanche, je ne peux pas faire grand chose, sauf en parler avec toi le jour de la remise des copies. J'ai aussi tendance à trouver un demi-point bonus quand tu as 9,5, histoire de franchir la barrière symbolique.

 

Pour la correction, en classe, je la fais avant de rendre les copies. Toujours. Indispensable. Deux idées : montrer aux élèves pourquoi ils ont eu ou pas des points. Aussi, refaire un point sur le fond du cours et sur la méthode. Enseigner c'est répéter !

 

Trois choses que je me refuse à faire :

- mettre des points de soin ! Une injustice sans nom ! Parce que tu écris bien, tu mérites un point de plus ?! Que dalle ! (non, ça n'a pas du tout rapport avec le fait que j'ai une écriture de cochon et que je n'avais jamais ces points)

- enlever des points pour les erreurs de français. Les élèves sont DEJA notés par leur prof de français, je corrige certaines des fautes, mais je refuse d'enlever des points parce que tu n'as pas bien conjugué ton verbe ! (non, ça n'a pas du tout rapport avec le fait que je faisais énormément de fautes de français et que j'en fais encore!)

- faire des interrogations surprises. Cher-e-s collègues qui en font encore, il faut ARRETER ! Je suis désolé d'insister, mais ça ne sert à RIEN ! Plus tard, dans le monde de l'entreprise, les élèves n'auront pas un dossier surprise à remettre en cinq minutes. Notre objectif, c'est que les élèves apprennent leur leçon, à quoi ça sert de vouloir les piéger ? Tu veux qu'ils apprennent, dis-leur qu'il y a un petit devoir, et ils le feront. Tu veux qu'ils apprennent au fur et à mesure ? Fais des petites interros de deux minutes au début de chaque cours, mais préviens-les ! Je ne comprends pas, vraiment.

 

Au final, deux réflexions. La première concerne la sensation que tu as quand ta classe s'est plantée. En fait, c'est toi le professeur qui t'es planté. Si toute la classe n'a pas la moyenne, ça vient de toi. Je ne comprends pas les collègues qui ne se remettent pas en question tout en foutant 5 de moyenne à toute la classe. Il y a un problème quelque part. Ca m'est déjà arrivé : je revois mon barème. Et j'insiste sur les choses que j'ai apparemment plutôt mal expliquées. On n'est pas des êtres parfaits, nous aussi on fait des erreurs de méthodologie !

La seconde est bien plus large : le système de notation doit-il perdurer ? Là, c'est un débat de fond sur un concept très français (mais aussi très intégré à l'international) qu'un travail à l'école mérite une note. Au collège les choses ont un peu évolué sous le précédent gouvernement avec les couleurs vertes, oranges, rouges etc pour valider les compétences, comme ça se fait en primaire. Au final, à titre personnel, je pourrais très bien corriger mes copies de la même façon sans mettre de note : juste l'appréciation finale. Le résultat est le même, et c'est ce qui compte vraiment. La note « récompense » les bons élèves, et elle peut être perçue comme une punition par les mauvais. Je pense que ma mère, ancienne prof, a une vision un peu différente de la mienne sur le sujet, comme beaucoup de collègues. Y-a-t-il un système parfait ? Sans doute pas. Mais réduire l'importance de la notation me semble être une bonne idée. Encore faut-il convaincre les parents et la société dans son ensemble, à savoir tous ceux qui ont eu des notes et qui veulent savoir ce que leurs enfants valent. A mon avis, ils valent mieux que ce système.

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26 novembre 2018 1 26 /11 /novembre /2018 15:11

Faire un métier utile. Intéressant bien sûr, mais surtout auquel je crois. Tel est mon but. Je ne suis pas toujours un grand défenseur de la valeur travail, trop omniprésente à mon goût dans notre société. Mais force est de constater qu'une partie de notre vie tourne autour de notre métier. Et je plains énormément celles et ceux qui n'aiment pas leur job. A raison de 35 heures par semaine, ça fait long à attendre le week-end.

 

C'est d'ailleurs l'une des premières réponses à ma question : l'école doit certes préparer à un métier, à une vie professionnelle, mais elle doit surtout permettre aux élèves de découvrir ce qu'ils aiment, et, de cette façon, qui ils sont. Pas une mince affaire ! Ça passe par un véritable accompagnement personnalisé de notre part (nous, le personnel encadrant), avec beaucoup d'écoute et quelques conseils. Une attention possible quand on prend les élèves à part ou en petit groupe. C'est plus difficile dans une classe de 35 élèves. Au lycée, ça passe par les matières traditionnelles, certes, mais aussi par l'extérieur. Organiser des sorties scolaires pour voir autre chose que les salles de classe, faire intervenir des professionnels devant la classe... pas toujours facile à inclure dans le sacro-saint programme (surtout en math!), mais c'est parfois faisable. Exemple récent : cours de 1ère, consacré à l'aménagement du territoire, en géographie. En plus de la sortie en ville pour observer son aménagement (avec rencontre d'un guide), j'ai invité un copain d'une agence d'urbanisme. Il raconte son parcours, ses études et son métier. Il amène des cartes, fait travailler les élèves à construire la ville de demain. De quoi donner des idées, qui sait...

 

L'école c'est aussi les copains et les copines. L'école doit permettre les contacts, les mélanges, à travailler en groupe avec des élèves parfois différents de soi. Si je ne suis pas favorable à l'école privée, c'est qu'elle instaure pour moi une école à deux vitesses, avec le risque, trop souvent observé, d'une sélection des bons élèves au détriment des moins bons, laissés au public. La situation n'est pas aussi critique, mais c'est peut-être l'un des plus gros points à améliorer pour l'éducation nationale. Il faut dans nos écoles des enfants riches et des enfants pauvres, des Français et des enfants d'immigrés, des garçons et des filles, des enfants doués pour les études et d'autres qui le sont un peu moins. Plus facile à dire qu'à faire, je sais (ah le débat sur la carte scolaire...). Mais ce mélange permettrait aux gamins un peu plus favorisés (de par leur situation sociale ou leur niveau scolaire) de mieux comprendre les difficultés des autres enfants, d'y être toutefois confrontés. Le mélange se fait naturellement dans la cour de récré, il peut également se faire lors de travail en binôme ou en groupe dans la classe. L'idée : apprendre à côtoyer et à travailler avec des gens un peu différents de nous, que l'on n'apprécie d'ailleurs pas toujours, car c'est une situation que l'on rencontre dans la vie. Je pense que ça permettrait d'éviter beaucoup d'incompréhension dans le monde des adultes (oui, je crois encore au monde des Bisounours!).

 

L'esprit critique. Je ne le fais pas encore, mais j'y pense parfois : donner un faux document par chapitre, ou quelque chose de totalement loufoque. Un texte qui évoquerait les voitures et les fusées au Moyen-Age, ou expliquant que la Tunisie est la 1ère puissance mondiale. La source serait bizarre, et les élèves apprendraient ainsi, petit à petit, à se méfier de ce qu'ils lisent ou entendent. Aussi, je suis prof, mais je ne prétends pas détenir la vérité. Je veux leur montrer qu'il existe plusieurs vérités, beaucoup de nuances et des débats. Nous ne sommes pas d'accord au final ? C'est pas grave, on respecte l'avis de l'autre, même si on garde le sien. Mes élèves sont les citoyens de demain. Ils doivent être capables, par eux-mêmes, de décerner le faux du vrai, ils doivent être capables de débattre d'un sujet avec des arguments, et de déceler les intox et les fameuses « fake news ». Ça a toujours été important, mais Internet multiplie cette nécessité. Soyez critique, soyez méfiant, vérifiez par vous-même, et, au final, pensez par vous même.

 

Rêver. Non, je ne veux pas que mes élèves rêvassent en classe. Je veux qu'ils rêvent en grand, qu'ils rêvent de l'impossible parfois, et qu'ils se donnent les moyens d'y arriver. Vivre ses rêves. Peut-être l'un de mes plus grands slogans. Alors je raconte parfois ma vie, notamment lors d'un cours spécial intitulé « qui suis-je ? ». Égocentrique le prof ? Peut-être. Mais, à la base, ce cours était mon cours de secours l'année dernière, quand je n'avais rien de prêt. Un cours joker, à n'utiliser qu'une fois ! Et je prends l'exemple d'un gamin comme moi, à leur âge, fils d'ouvrier, devenu en l'espace de quelques années journaliste, voyageur, docteur, consultant du ministère de la défense et prof. J'insiste beaucoup sur les voyages, qu'on me disait impossibles (tour de France avec 1€ par jour, tour du monde...). Si j'ai réussi à vivre mes rêves, alors que rien ne m'y prédestinait, pourquoi pas eux ? J'ai peut-être un-e futur-e président-e quelque part dans ma classe, un-e prix Nobel de littérature, un-e artiste de génie ou un-e mère ou père de famille qui aimera plus que tout ses enfants et sera très heureux ainsi. Qu'importe. Rien n'est impossible, vous avez toute une vie pour y arriver.

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19 septembre 2018 3 19 /09 /septembre /2018 21:09

2 600. C'est le nombre de postes de professeurs qui seront supprimés dans l'enseignement secondaire pour la rentrée 2019-2020 (400 dans l'administration, 600 dans l'enseignement privé). En échange, 1900 postes seront créés dans le primaire, notamment pour le dédoublement des classes de CP. Je ne veux pas insister sur ces créations de postes dans le primaire, car c'est une bonne chose, à la vue des chiffres : la France était en retard pour la prise en charge des enfants.

Y-a-t-il trop de profs ? (et faut-il supprimer des postes?)

Non, je veux revenir sur les suppressions de postes dans le secondaire. Car il y a un autre chiffre intéressant : 40 000. Le nombre d'élèves en plus à la rentrée en 2019-2020 dans l'enseignement secondaire. Pareil pour l'année suivante, d'après les estimations. En résumé : plus d'élèves, moins de profs.

 

Mais, au fait, y-a-t-il trop de profs ?

Depuis 2007, les effectifs dans le secondaire sont passés de 5,4 millions d'élèves à 5,8 millions (chiffre pour 2022). 400 000 élèves de plus. « Oui, mais Hollande a créé des profs ! ». Je sais je l'ai déjà entendu ! Voilà les chiffres du nombre moyen d'élèves par classe en 2017, par rapport aux décennies précédentes (source site officiel de l'éducation nationale!).

Y-a-t-il trop de profs ? (et faut-il supprimer des postes?)

Donc, en résumé, le chiffre de 2017 est le plus élevé depuis plus de 25 ans dans les lycées (29). Il n'a jamais été aussi élevé dans les collèges depuis 1980 (début du graphique, 25 aujourd'hui). Il baisse seulement dans les lycées professionnels. Donc, je résume : on a de plus en plus d'élèves dans les classes, et le gouvernement veut baisser le nombre de profs.

Par rapport au reste du monde ? On est certes meilleur que l'Inde, le Chili et le Mexique. Bon... c'est toujours une question de comparaison... Par contre, par rapport à la moyenne des pays développés, on est bien au-dessus !

Ainsi, lorsque le gouvernement explique qu'il y a moins d'élèves, c'est un mensonge. Dire que l'on veut rattraper les autres pays, c'est un autre mensonge. 
Non, tout n'est pas parfait dans l'éducation nationale (encore moins en Guyane d'ailleurs), et des choses doivent être faites. Mais la rengaine des suppressions de postes, c'est inadéquat. Tiens, je m'en vais me syndiquer. 

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30 août 2018 4 30 /08 /août /2018 08:08

Tout travail mérite salaire qu'ils disent ! Allez, on déchiffre ma fiche de paie de métropole, puis celle de Guyane ! (pas tout à fait les mêmes chiffres!)

 

Le salaire tout d'abord : le traitement brut d'un enseignant contractuel [à savoir que je n'ai pas passé le concours d'enseignant] est de 1709,51€ selon mon salaire de décembre 2016. A l'époque je suis à plein temps, à savoir que j'enseigne 18 heures dans la semaine au collège. A cela il faut rajouter 100,53€ d'ISOE. Que diable se cache derrière ce sigle (l'éducation nationale est très forte pour créer des sigles) ? Indemnité de Suivi et d'Orientation des Élèves. Celle-ci n'existe que dans le second degré, et n'est pas prise en compte dans le calcul de la retraite.

Au total donc, 1810,04€.

 

A côté de cela, il faut déduire 124,89€ de cotisation ouvrière vieillesse plafonnée et 6,34€ de déplafonnée [la retraite en gros], 42,68€ de CSG déductible et 90,70€ de CSG non déductible [pour la SECU], 8,89€ de CRDS [pour la dette de la SECU], 13,58€ de cotisation ouvrière maladie déplafonnée, 49,23€ de cotisation ouvrière ircantec [complémentaire retraite] et enfin 16,16€ de contribution exceptionnelle de solidarité [aide au financement de l'assurance chômage si j'ai bien compris]. Au total, 352,47€ de déduction.

 

Mon salaire disponible, net comme ils disent, était donc de 1 457,57€. Ce n'est pas un mauvais salaire (surtout quand, comme moi, tu sors de 9 ans d'étude, et donc tu ne connaissais pas ce qu'était un « salaire »!). Néanmoins, je fais partie à ce moment là des 50% des salariés gagnant le moins, puisque le salaire médian était en 2016 de 1 772€ (et donc 50% des salariés gagnent plus que cette somme). Je suis même dans les 30% des salariés gagnant moins de 1 471€ par mois. [à titre de comparaison, 10% des salariés gagnent plus de 3 544€ par mois, 0,1% plus de 8 061€ par mois].

Monsieur le professeur : combien tu gagnes (en étant contractuel) ? (3/3)

Direction maintenant la Guyane, où les choses sont un peu différentes.

Le traitement brut est de 1719,77€ et l'ISOE fixe de 101,13€. La même chose qu'en métropole (avec l'inflation). Mais il y a des différences. L'ISOE modulable, de 118,82€ par exemple. Ça, c'est le fait que j'étais professeur principal cette année. Plus de boulot (les conseils de classe à préparer, l'orientation à gérer etc.), et donc plus de salaire. HSA hors suppléances, 109,98€, sigle qui signifie heures supplémentaires années, correspondant à une heure sup que je faisais chaque semaine. Celle-ci est majorée car c'est ma première, avec 22€ supplémentaires. En gros, si vous faites 5 heures supplémentaires, vous êtes plus récompensés pour la première que pour les autres. Il se trouve que je n'en avais qu'une dans mon emploi du temps (que je n'ai pas choisi hein, il m'était imposé à mon arrivée). Je touche également 0,70€ d'indemnité compensatrice sur la CSG (qui a augmenté entre-temps, j'y reviens). Enfin, et c'est le plus gros changement, une ligne « majoration traitement 40% », à 687,90€. Car, dans les DOM-TOMs, les salariés du public sont payés plus. 40% en Guyane. L'objectif est de compenser le coût de la vie, plus élevé qu'en métropole. Un gros plus, forcément.

Total : 2857,76€. Oui, ça fait 1 000€ de plus qu'en métropole.

 

Du côté des déductions, ça monte logiquement : 197,19€ et 11,43€ pour la retraite, 62,20€ pour la complémentaire retraite, 190,93€ de CSG déductible et 67,39 non déductible [SECU], 14,04€ de CRDS [dette SECU]. Soit 543,18€ de cotisations.

 

Mon salaire net était donc de 2314,58€. Et quand, comme moi, tu n'avais connu que 4 bulletins de salaire avant dans ta vie, c'est la folie. Avec mon coloc, ancien poissonnier de chez Auchan, nous faisions une danse de la joie à chaque salaire !

 

Il y a des variations dans l'année. Ainsi, cet été, je suis payé un petit peu moins, car je ne suis plus considéré comme professeur principal. Mais je suis payé pendant les vacances (et ça, je n'ai pas encore l'habitude).

 

En résumé, je faisais partie des 30% de salariés les moins bien payés en métropole, et je fais partie des 30% des salariés les mieux payés depuis mon arrivée en Guyane. Tout en faisant le même métier. Étrange tout de même.

Monsieur le professeur : combien tu gagnes (en étant contractuel) ? (3/3)

Suis-je trop payé ? J'ai tendance à le penser. Là, je ne vais pas me faire que des copains chez les profs guyanais, mais si je pense qu'un prof en métropole est payé à sa valeur (et qu'un contractuel pourrait être augmenté), je pense aussi qu'un prof dans les DOM est un peu trop payé. Oui, le coût de la vie est plus élevé, mais clairement pas à 40%. Et encore, je ne suis pas au collège (coucou la prime REP). Néanmoins, je tiens à signaler que la Guyane... manque toujours de profs. N'hésitez pas à venir nous renforcer !

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25 juin 2018 1 25 /06 /juin /2018 04:41

« Alors, tu leur enseignes nos ancêtres les Gaulois ? ». Non, toujours pas. Nos ancêtres les Gaulois c'est une phrase qui n'existe plus en histoire depuis au moins ma génération, voire celle de nos parents. D'ailleurs, les Gaulois ne sont pas au programme du collège et du lycée !

Néanmoins, il y a un point intéressant dans cette question un peu méprisante que l'on me pose parfois : je suis en Guyane, est-ce que le programme est adapté ?

 

La réponse est oui ! Nous avons en histoire-géographie des adaptations DROM (départements et régions d'Outre-Mer). Ce n'est pas un changement à 100% du programme, mais il y a des évolutions.

Ainsi en histoire. Le programme de seconde est le suivant : Citoyenneté et démocratie à Athènes, Citoyenneté et Empire à Rome, Société et Culture de l'Europe médiévale. Jusque là, il n'y a pas d'adaptation possible. Néanmoins les sujets être citoyen et vivre dans une démocratie nous concernent tous. Je suis plus dubitatif sur le cours de l'Europe médiévale (mais je n'ai jamais aimé l'époque médiévale), j'ai d'ailleurs fait ce cours de manière express (le côté importance de la religion s'intègre plutôt bien à la Guyane...).

Chapitre 4 : L'élargissement du monde ! Là, c'est la découverte par les Européens de nouveaux territoires. J'ai adapté mon cours : comment les Amérindiens ont reçu les Européens, comment sont-ils vus par ceux-ci. J'ai travaillé sur les Amérindiens Kali'Na et Arawak de Guadeloupe, à savoir des groupes d'Amérindiens vivant aujourd'hui en Guyane (et dont j'avais parfois des membres en classe). Puis un point est fait sur les Aztèques.

Chapitre 5 : Les hommes de la Renaissance. Là ce n'était pas évident de raccrocher cette période à la Guyane. J'ai tout de même fait une partie sur la production sucrière dans le bassin caribéen (en mode période de progrès techniques).

Chapitre 6, le gros paquet : la Révolution française. Le chapitre est dense de base, mais j'ai pu facilement insérer une sous-partie : les conséquences de la Révolution pour la Guyane. L'abolition de l'esclavage puis son rétablissement, les révoltes, l'invasion portugaise par le Brésil etc. Clairement un cours intéressant à faire, et très parlant pour les élèves.

Le dernier chapitre d'histoire concerne les libertés et nations en Europe au XIXème siècle. Là, il faudrait faire un nouveau point sur l'abolition de l'esclavage en Guyane.

 

Pour renforcer le côté histoire locale, j'ai proposé à mes élèves deux choses cette année, de manière facultative. La première : réaliser leur arbre généalogique. C'est une note bonus, un travail à faire pendant les vacances. Et beaucoup ont joué le jeu, (re-)découvrant ainsi leurs origines variées (d'Haïti au Surinam, en passant par les groupes bushinengués du fleuve, et la métropole). Autre projet : faire un petit exposé écrit sur leur groupe de population. Ainsi les Djuka, Paramaka, l'immigration haïtienne etc. C'était dans les deux cas très bénéfique pour eux, mais surtout pour moi : j'ai appris beaucoup de choses !

 

En géographie c'est plus facile. Que ce soit le développement durable, Nourrir les Hommes, L'eau, ou les espaces exposés aux risques majeurs, il est plutôt facile de trouver des exemples locaux. Ainsi, pour le dernier cité, j'ai réalisé une étude de cas sur un glissement de terrain mortel à Cayenne dans les années 2000. Le plus dur pour moi c'est de trouver l'exemple, et surtout de la documentation intéressante. Mais dans l'ensemble ça se fait bien. Le chapitre Les Mondes arctiques n'était pas facile à raccrocher à la Guyane (va parler de la neige dans un territoire où il fait 25°C minimum !), j'ai donc insisté sur les populations autochtones de la zone, avec des questions qui existent en Guyane.

 

En première, c'est à peu près la même chose. Les guerres mondiales ? Facile, je fais une étude de cas sur le conflit en Guyane (qui va se battre, quelles sont les conséquences sur l'approvisionnement etc.). La troisième République ? J'insiste sur l'affaire Dreyfus, qui était prisonnier ici. J'avoue que c'est plus compliqué pour parler du capitalisme et de la révolution industrielle...

Colonisation et décolonisation, c'est l'évidence : la colonisation de la Guyane, puis sa décolonisation. Attention, ça ne veut pas dire que je ne fais que la Guyane. Mais je pars de l'exemple local (et j'essaierais de faire la même chose si j'étais en métropole).

 

Pour la géographie c'était à nouveau très facile. Les territoires du quotidien, j'ai travaillé sur la ville et la construction du nouvel hôpital (on est même allé le visiter). La région à aménager, valoriser les milieux : le parc amazonien de Guyane. L'Union Européenne ? Comment existe-t-elle en Guyane ? Les exemples sont nombreux (coucou la base spatiale!).

 

Pour adapter le programme, j'ai suivi deux formations (non-obligatoires) : histoire de Guyane, géographie de Guyane. Ca m'a permis d'obtenir les bases, et surtout des documents intéressants. Il y a aussi des manuels spéciaux « Antilles-Guyane », où j'ai trouvé de bonnes choses.

 

Enseigner en Guyane, c'est aussi faire avec des élèves dont la langue maternelle n'est pas toujours le français : on m'a déjà soufflé le chiffre de 80% des élèves ne parlant pas français à la maison. Forcément, ça change beaucoup de choses pour la compréhension, ou la variété du vocabulaire : c'est plus pauvre, et il y a des concepts inconnus. Mais c'est aussi d'une richesse folle (les élèves sont souvent trilingues au lycée, et ils apprennent en plus l'anglais + une autre langue mondiale (espagnole, portugais, néerlandais)). Ca m'oblige toutefois à faire plus attention aux mots que je choisis dans mes études de cas et surtout lors des évaluations. Résultat : je simplifie au maximum.

Là où ce fut dur aussi au départ : c'était les prénoms ! Dans la prononciation : essayez Wanaïtha, Chorguella, Shazney, Shunuwanuh, Eyschila... et surtout essayez de les retenir ! (déjà que je ne suis pas très bon de base).

 

Néanmoins, j'évite de me plaindre : je suis au lycée, je n'ai que des élèves assez sérieux, et je ne dois pas faire de discipline. La situation est très différente et beaucoup plus difficile au collège (et je n'imagine même pas à l'école primaire, rien que pour la langue!). Et puis l'histoire, comme la géographie, ont plutôt globalement tendance à intéresser les élèves (je ne dirais pas la même chose pour les maths!). Forcément, dans ces conditions, c'est plus facile !

 

Enfin, je signale que nous travaillons sans manuel, ce qui signifie que tous les exercices ou études de cas doivent être créés... par moi-même ! Bien sûr je m'inspire parfois des manuels, mais il faut forcément que je travaille en avance (pas possible d'arriver dans ma classe en touriste et de dire : « prenez les manuels, faites les questions 1 à 8 page 47-48 », et ainsi être tranquille une heure !). Et c'est ce qui explique pourquoi j'ai eu l'impression d'énormément travailler cette année. Il m'est arrivé, souvent, de terminer mes cours à 1 heure du matin, et de me réveiller à 6h30 pour aller bosser. J'avais 3 niveaux (1ère ES, STMG + Seconde), donc trois cours à préparer, pour 18 heures devant les élèves. Je n'avais rien de prêt, tout était à faire. C'est clairement un boulot de dingue. Ca sera sans aucun doute plus facile et tranquille les prochaines années (j'ai maintenant une bonne partie des cours qui est faite). Encore faut-il que j'aie les mêmes classes ! (et que le programme ne change pas.... oups, réforme du lycée l'année prochaine!).

Mais, en vérité, c'est un aspect du travail qui me plait énormément : j'ai appris toute l'année de nouvelles choses en créant mes cours. C'était un peu mon revenu intellectuel. Quant à mon revenu financier... je l'aborde dans le dernier article de ce triptyque monsieur le professeur.

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18 juin 2018 1 18 /06 /juin /2018 16:05

Les tables alignées, les chaises, moi, derrière mon bureau. L'épreuve de philosophie a débuté : le bonheur peut-il être durable ? Hum, ça me donnerait presque envie d'écrire un pavé. La première épreuve du baccalauréat de terminale. Et je suis de l'autre côté, je « surveille » (assez faiblement, car tricher le jour du bac fait encore très peur aux élèves, un DS normal pourquoi pas, mais là, il y a une sorte de solennité que les élèves doivent ressentir, c'est le bac bon dieu, faut pas déconner !!).

 

Mon année se termine ainsi : les surveillances et la correction des copies d'histoire-géographie des Terminales S. Une année au lycée. En Guyane. Qu'est-ce que ça change par rapport à mes trois mois au collège dans Ch'Nord ? Tout, ou presque. Les enfants et les jeunes ados sont devenus des vieux ados et des jeunes adultes. Ils sont grands, parfois autant que moi, et ils parlent avec l'assurance que nous avions à leur âge : on savait tout, alors qu'on ne savait rien, et on pouvait le dire très fort. Qu'est-ce que ça a changé pour moi ? Beaucoup de choses, dans mes pratiques, dans ma façon d'enseigner. J'ai appris de mon expérience passée.

 

Ainsi, j'ai passé mes deux premières semaines de l'année à « faire le nazi ». Concrètement, je suis un chien à chaque cours, je ne laisse rien passer, je vais au devant des élèves dès qu'ils ouvrent la bouche pour parler à leur voisin. L'objectif : que la vis soit bien serrée afin de pouvoir la desserrer toute l'année (l'inverse étant très difficile). Ca passe aussi par l'apparence physique (je n'ai pas quitté mon pantalon de costume et mes chemines de l'année) et par le respect de ma parole : ce que je promets, je donne.

Suis-je un père fouettard ? Je ne crois pas. Je n'ai pas donné une seule heure de retenue à titre personnel cette année (j'ai appris de l'année dernière et des conversations que j'ai eues sur le sujet avec d'autres enseignants plutôt réfractaires à la notion de punir). Mon système de sanction est le suivant : un avertissement oral à la personne concernée, puis le fameux « deuxième avertissement » avec le prénom. Bizarrement, ce deuxième avertissement fait peur, les élèves se demandant souvent ce qui se passe ensuite. Très rarement cette année, j'ai dû aller voir un élève, m'approcher de lui, et lui susurrer tendrement, « c'est mon dernier avertissement aujourd'hui », avec beaucoup de bienveillance (mot très à la mode dans l'éducation nationale de nos jours). J'évite d'afficher l'élève devant ses camarades, tout en faisant bien passer mon mécontentement. Plus exceptionnellement, j'ai dû sanctionner. Fini les mots dans le carnet qui ne servent à rien, je suis passé à l'exercice à faire à la maison. Ca ennuie vraiment l'élève, surtout avec la menace ajoutée (tu ne me rends pas ton exercice, qui est facile et rapide, c'est 3 heures de retenue pour me faire toute une feuille d'exercices). C'est arrivé 3 ou 4 fois dans l'année, et les élèves m'ont ramené leur exercice le cours suivant. Surtout, je n'ai pas eu de récidive.

Parfois c'est l'ensemble de la classe qui est bruyante (au hasard le vendredi après-midi à 15h30). Là, un bon vieux « vous me mettez tous vos carnets sur la table » permet de reposer tout le monde.

J'insiste beaucoup sur ce côté « gérer une classe », car il est essentiel pour pouvoir faire cours. Mais l'inverse est tout aussi vrai : il faut des cours avec du rythme, du rythme, du rythme pour garder les élèves attentifs et motivés.


Comment se passent mes cours ? Très concrètement je les fais entrer dans la classe en étant positionné dehors, à la porte, et en les saluant. L'idée : je marque « mon territoire », ici vous entrez dans ma maison, et vous devrez respecter mes règles.

Je commence chaque cours par un « fil rouge », une petite interrogation - deux questions très faciles si tu as relu ton cours – pour les mettre directement au travail. Clairement c'est ma meilleure idée de l'année : les élèves rentrent en lisant leur cahier, et apprennent ainsi régulièrement leurs leçons. Ils rendent leur copie en les faisant passer devant (pas besoin que je passe à travers la classe). Le lendemain, je leur rends leur feuille, qu'ils réutilisent, et ce pendant tout le chapitre (sinon on perd du temps à prendre une feuille à chaque fois). Ils sont les grands gagnants : les points s'accumulent vite (ça contrebalance les DS). Moi je corrige ces questions en quinze minutes par classe, et souvent en classe d'ailleurs. En début d'année je leur donne les questions que je vais poser le lendemain, ça permet d'embarquer tout le monde dans le jeu, même les mauvais élèves. Certains diront que ce sont des points gratuits (ils n'ont sans doute pas tort), moi je réponds que cette expérience a donné d'excellents résultats : je n'ai qu'une seule élève décrocheuse en histoire (à savoir à moins de 6 de moyenne), pour cinq classes. Cela m'a donc permis d'avoir tous les élèves à peu près motivés cette année. Et cela me permet d'avoir le calme dès la première minute du cours.

Après une mini-correction (qui rappelle à nouveau le cours précédent), j'enchaîne avec le point que je veux traiter aujourd'hui. Souvent je fais écrire le titre de la sous-partie, et j'interroge les élèves sur ce qu'ils connaissent déjà. Je leur distribue ensuite un petit corpus de documents avec quelques questions : c'est la mise en activité. 15 à 20 minutes en moyenne. Parfois seul, parfois en duo avec leur voisin de table, plus rarement en petit groupe. Je note à chaque fois quelqu'un au moment de la correction. Je ramasse plus rarement l'ensemble des exercices (une fois par trimestre en moyenne). L'idée, c'est de travailler la méthode. J'essaie d'aller les voir tous, de les aider à répondre aux questions (« tu reformules, puis tu justifies avec les documents », phrase que j'ai dû prononcer mille fois cette année).

Après la correction, c'est le temps de la comparaison avec d'autres exemples, puis de compléter avec des idées sur lesquelles je n'ai pas le temps de travailler. Tout cela se passe au tableau, puisque mon cours n'est qu'un Powerpoint projeté. J'essaie de passer une petite vidéo de temps en temps, d'avoir des images/photos régulièrement, des caricatures, des tableaux etc.

Vient enfin le temps de l'écriture (qui se fait parfois en deux fois, une fois après l'exercice et une fois après avoir développé d'autres idées). Je souligne et mets en rouge les choses importantes (d'où le nom de « fil rouge » pour mon interro du lendemain), et j'essaie d'expliquer les mots un peu plus compliqués.

Et le lendemain.... c'est reparti !

 

Mon travail routinier permet d'habituer les élèves à ma méthode. De temps en temps je casse un peu ce rythme. Ainsi les chapitres d'éducation morale et civique (EMC) permettent de faire beaucoup de débats oraux/débats mouvants, avec une préférence pour les seconds : tous mes élèves sont debout, et choisissent un camp au début du débat (oui ou non par rapport à quelque chose, il peut y avoir des neutres). Puis chaque élève donne un argument, pour essayer de convaincre les neutres et l'autre camp. Si on apprécie l'idée de l'autre (même sans être d'accord avec sa position initiale), on change de camp. L'idée étant pour les élèves de changer régulièrement de camp, prouvant ainsi qu'ils sont à l'écoute des arguments des autres. Ca permet d'avoir des débats dynamiques, avec une réflexion de groupe.

J'ai fait quelques sorties pédagogiques, j'ai projeté deux films, je fais faire des petits exposés. Je ne donne pas de devoir à la maison, pas d'exercice à la maison, et je pense que ça restera mon leitmotiv : re-lisez votre cours, c'est tout ce que je vous demande.

 

Sur les 55 minutes de cours, je dois passer 5 minutes assis (quand je corrige mes fils rouges). Le reste du temps, je circule. J'occupe mon espace. Et je vais au contact des élèves, qui me sollicitent régulièrement.

 

Pour les évaluations, je reste très attentif en début d'année, je circule dans ma classe pendant 50 minutes, des coups d'oeil réguliers dans les trousses et sur les chaises : j'ai grillé trois tricheurs assez vite, je leur ai dit « ceci est notre petit secret, si je te reprends, on règle ça avec le CPE et le proviseur, ainsi que tes parents », je n'ai pas eu de récidive.

A la fin du trimestre ça me fait en moyenne 7 à 9 notes (3-4 évaluations, 3-4 fils rouges, 1 note orale), c'est suffisant et ça laisse le droit à l'erreur, et ça me permet de voir qui est sérieux mais a des difficultés (bonne note de fil rouge, mauvaise note en évaluation), qui n'est pas à fond (note moyenne en fil rouge, bonne note en évaluation) etc.

 

Voilà pour un petit aperçu de la forme des cours (j'aborde le fonds prochainement, surtout que je suis en Guyane, ça change pas mal de choses pour les programmes d'histoire-géographie). C'est loin d'être parfait hein, je débute ! Mais j'ai pu observer une amélioration dans mes rapports avec les élèves par rapport à l'année dernière. Je pense que j'ai obtenu le respect de tous, ce respect étant réciproque. J'ai réussi à faire travailler toutes mes classes, et je crois que certaines ont bien progressé (notamment les secondes).

 

Qu'est-ce que je pourrais encore changer pour améliorer les choses ? (c'est autant une question pour moi que pour vous! Je prends toutes les idées !). Apprendre la langue locale me semble important pour l'année prochaine. Ca me permettra de comprendre quand un ou une élève fait une remarque à voix haute en sranantongo (créole surinamien) ou quand un élève ne comprend pas un mot français de mes documents (oui, là on est dans une spécificité de la Guyane!). Essayer de rester zen toute l'année (je me suis énervé une fois sur un élève cette année, à refaire je réagirais autrement). Essayer de passer un peu plus de vidéos (parce que les élèves aiment beaucoup, mais faut que je trouve des choses intéressantes, c'est plus facile à dire qu'à faire).

 

11h15. Après 3h15 de bonheur [sic!], tous mes élèves sont sortis de l'épreuve de philosophie. Je remercie les STMG pour leur efficacité ! Allez, on se retrouve demain !

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22 mai 2018 2 22 /05 /mai /2018 11:13

J'étais impatient. Se retrouver dans un tribunal, en pleine audience, une première pour moi. Je crois même que j'étais plus excité que les élèves ! Eux, adolescents, blasés avant d'avoir vécu. Moi, devant les colonnades, à lire la devise de la République.

La justice est un milieu que je connais un peu : j'ai des bons amis qui y travaillent, j'ai fait un cours sur le sujet en éducation civique, et j'ai regardé quelques films américains.... OBJECTION votre honneur ! Ceci n'est pas un argument valable ! Objection retenue, tant le système judiciaire américain est différent du nôtre (à choisir je garde le nôtre!)

Me voici donc à Saint-Laurent, dans une chambre détachée d'un tribunal de grande instance, accompagnée de la classe dont je suis le professeur principal. C'est la suite d'un projet justice, que je coordonne avec l'assistante sociale et la prof de français. Le clou du spectacle aura lieu dans un mois : les élèves organiseront eux-même leur audience, à l'intérieur du tribunal, et vont jouer un procès !

 

Aujourd'hui, c'est la réalité. Et la réalité est parfois... surprenante ! Ce sont des affaires pénales. La présidente entre à la sonnerie, nous nous levons. A sa gauche, la greffière, chargée de noter tout ce qui se dit ou se passe pendant le procès. A sa droite, le procureur de la République, chargé de représenter les citoyens, et qui a le rôle du méchant. Devant, au centre, une barre, pour l'instant vide. Et, un peu derrière, des avocats. Une traductrice est également présente. Nous sommes derrière de petites barrières, dans le public. Un public composé de ma classe et.... des prévenus ! J'avoue que je surveille un peu les mecs chelous assis à côté des jeunes filles de la classe, histoire d'éviter les échanges de numéros de téléphone ! On appelle d'ailleurs la première affaire !

Une dame est accusée par sa fille de l'avoir obligée à ingurgiter un remède traditionnel créole. La fille a refusé. Du coup, la dame l'a menacée avec un grand couteau. La fille est présente avec son père, elle donne sa version. La mère est ensuite appelée à la barre, elle se défend.... plutôt mal ! « Je n'aurais peut-être pas dû prendre un couteau, j'aurai mieux fait de prendre une ceinture ». [sic!] La juge la reprend, et lui affirme que ce n'était pas une meilleure idée. « Je suis stricte avec mes enfants ». La juge : « il y a une marge entre être stricte et être dangereuse pour son enfant ». Elle était alcoolisée au moment des faits « tout le monde consomme un peu d'alcool ». Je fais non de la tête, la juge semble d'accord avec moi. Les avocats prennent ensuite la parole. L'avocat de la victime demande 2 500€ de dommages et intérêts, ainsi qu'une obligation de se faire soigner pour ses problèmes d'alcool. Le procureur rejoint cette option. L'avocat de l'accusée, lui, nous fait le show. Il y a du public, il prend à parti les élèves, joue avec eux pour sa défense. Il explique que lui aussi était contraint dans sa jeunesse de boire des remèdes traditionnels. Le geste du couteau ? Pour impressionner, pas pour menacer. Son réquisitoire est impressionnant, aux dires des élèves. La juge, elle, reste de marbre : l'accusée est déclarée coupable et est sanctionnée selon les vœux de la victime.

 

Une nouvelle sonnerie retentit. La séance est suspendue. Les élèves ont l'air d'apprécier, moi aussi ! La juge vient s'asseoir avec nous, explique les raisons de son jugement, répond aux questions des élèves (et aux miennes!).

Puis s'enchaînent trois conduites en état d'ivresse, dont une récidive : un homme travaillant pour les militaires (hum...) a perdu son permis et est arrêté un mois plus tard, alors qu'il n'a pas encore été jugé, et à nouveau ivre. Sa raison : « vous savez, les femmes... ». Une juge devant lui, l'argument ne fait, étonnamment, pas mouche ! Résultat, son permis est annulé et sa voiture confisquée ! Mes élèves sont limite tristes pour lui !

 

Puis vient la dernière affaire de notre matinée. La traductrice doit d'abord prêté serment. Disons Monsieur X, âgé de 45 ans environ, et Madame Y, sa tante, 65 ans environ. Les deux sont accusés de violence avec armes, le premier ayant frappé avec une machette la seconde, tandis que la seconde a frappé le premier en réunion, à coup de manche à balai.

L'histoire est un peu floue : Madame Y voulait emmener l'un de ses frères à l'hôpital, en raison de sa consommation de stupéfiants. Monsieur X a refusé, pour protéger son oncle. Il travaille avec une machette, et à la suite d'une montée dans les tours, il frappe sa tante. Celle-ci décide de revenir un peu plus tard, avec du renfort. C'est là que Monsieur X est frappé. Voulait-il aller chercher un fusil, comme le dit sa tante ? On l'ignore. La juge : « pourquoi vous ne vouliez pas que votre oncle parte avec votre tante ? » Monsieur X : « Parce que c'est une sorcière, c'est la sorcière du village, tout le monde le sait ! ». Mes élèves se payent un léger fou rire. Il évoque à plusieurs reprises la magie, il parle de Satan, a un discours religieux. La juge a du mal à recadrer. Ah, les histoires de famille !

Les deux sont finalement condamnés à du sursis, avec interdiction de porter des armes.

 

Après 3 bonnes heures d'audience, nous quittons les lieux. Tout le monde semble content, et les discussions continuent sur les affaires. J'ai beaucoup appris au cours de cette audience. Le rôle du procureur par exemple, l'absence des avocats dans toutes les affaires à l'exception de la première. De ce fait, les procès et leur trame changent du tout au tout. La juge, à l'autorité incontestée. Je conseille à tout le monde, car l'accès des tribunaux aux libre ! En plus, vous aurez quelques histoires croustillantes pour votre prochain repas de famille !

Ma première au tribunal : remède créole, sorcière et coup de machette
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16 mai 2018 3 16 /05 /mai /2018 01:21

La sonnerie retentit. Les élèves quittent ma classe. Quatre restent, trois filles et un garçon. Ils veulent me parler. Je suis leur professeur principal, et je soupçonne de nouvelles tensions dans la classe. Je suis derrière mon bureau, je m'active à ranger mes affaires. Ils mettent plus de temps que d'habitude à commencer leur propos.

Elle : « On vient vous voir à cause de la vidéo ».

Moi : « La vidéo ? »

Elle : « Vous savez, la vidéo. »

Moi : « Quelle vidéo ? »

Elle : « La vidéo de Madame N. »

Moi : « La vidéo de Madame N. ? »

Elle : « Les photos aussi »

Moi : « De quoi vous me parlez ? »

Ils se regardent et sourient. Ils n'osent pas. « Allez, ne tournez pas autour du pot, qu'est-ce qui se passe ? ».

Elle : « Bon. Les vidéos pornos de Madame N. »

Moi : « ... » [regard interloqué, plusieurs pensées me traversent alors l'esprit : putain, un élève a pris une vidéo de Madame N. sous son bureau ! Qu'est-ce qu'ils sont bêtes parfois!]

Elle : « Il y a des photos et des vidéos qui circulent ».

 

Je mets du temps à comprendre. Les élèves m'expliquent peu à peu. Ma collègue a tourné une vidéo porno, vidéo qui existe aujourd'hui sur un site. En tout cas, les élèves y ont eu accès. Qu'importe, les élèves ne sont pas là pour ça : ils viennent me voir car ils veulent faire une lettre d'excuse.

Moi : « Pourquoi ? »

Elle : « Parce que nous n'avons pas eu un bon comportement. Certains se sont moqués dans la classe ».

Je les encourage dans leur démarche. Je compte faire un point sur le comportement de la classe dès le lendemain.

Elle : « et il y a aussi ceux qui se moquent dans la cour ». Lui : « il y en a qui lui disent merci Jacquie, merci Michel »

 

Au fond de moi, j'explose de rire. Mais je suis leur professeur principal. Je garde un visage neutre. J'écris les informations que je reçois, pour me donner une contenance. Je clos cette conversation.

 

Ma collègue, ma collègue timide, qui a l'air très fragile, ma collègue a tourné dans un film porno. Bon, c'est son droit. Mais il y a les conséquences. Je souhaite lui parler de la conversation que j'ai eue. Mais, le lendemain, elle est annoncée absente. Je vais voir la direction. On aborde la situation. Elle est mise à l'arrêt deux semaines, « le temps que ça se tasse ».

Le temps que ça se tasse. Imaginez vous, 16 ans, votre prof a tourné un film porno. Clairement, ça ne se tasse pas vite ! Je fais une heure de cours d'éducation civique. Au menu : la vie privée, les vidéos et les photos que l'on poste sur Internet, les conséquences de celles-ci, mais aussi le sujet de fond. Nous parlons porno, nous parlons respect de l'autre, nous parlons corps de la femme. J'ai séparé ma classe en deux, les garçons d'un côté, les filles de l'autre. Les réactions divergent. Les garçons sont beaucoup plus bloqués, considèrent qu'elle ne peut pas revenir faire cours, pensent que le fait qu'elle soit une femme ne joue pas dans leur réaction. Les filles me semblent plus matures (oui, comme souvent), elles seraient prêtes à retravailler avec Madame N., elles l'encourageraient d'ailleurs à revenir. Surtout, elles considèrent que le fait d'être une femme joue contre elle.

« Quelle aurait été votre réaction si ça avait été moi ? »

Les garçons comprennent enfin. Oui, ça aurait été différent, selon eux. La grande injustice de l'inégalité des sexes face au sexe, déjà au lycée.

 

Ca, c'est fait. La pression est retombée dans la classe. Je croise mes collègues. Personne ne connaît la situation. Tous les élèves sont au courant, ont vu des extraits de vidéos, et le personnel enseignant vaque à ses occupations quotidiennes. J'informe deux collègues proches de Madame N. Ils sont sur le cul (ceci n'est pas un jeu de mot). L'un d'eux appelle la principale intéressée. Je l'imagine au fond du trou (ceci n'est pas un jeu de mot). En vérité, elle va très bien ! Elle nous a invités à son anniversaire. Et je la vois en grande forme. Elle assume pleinement sa situation : « oui, j'étais actrice porno ! ». Elle nous raconte l'envers du décor, les salaires (de 250 à 400€ pour une vidéo), évoque ses différents films. Un job alimentaire, couplée d'une réelle curiosité. Elle appréciait des acteurs, elle appréciait des réalisateurs. Elle en parle comme moi je vous parlerais de mon boulot de journaliste pendant mes études !

 

Depuis, elle est officiellement écartée du lycée « pour sa propre sécurité ». Elle a reçu des menaces. Surtout, le lycée a reçu une quantité d'appels de parents d'élèves « ma fille a pour prof une actrice porno, c'est inadmissible !! ». Ambiance particulière, sujet très compliqué : peut-elle encore enseigner ? Selon moi, c'est oui. Au final, le porno n'est pas interdit, et le fait de faire des vidéos est du ressort de sa vie privée. Elle n'en fait pas la publicité en classe. Surtout, ses compétences n'ont pas changé en trois semaines. Elle était la même professeure. Seul le regard des élèves a changé vis-à-vis d'elle. Faut-il dès lors la punir ?

 

Je sais, la Guyane, c'est des histoires parfois folles. Entre la crise de baclou et l'accident de mon élève, je pensais avoir assez d'annecdotes professionnelles à vous raconter à mon retour. Là, c'est le bouquet final. Le feu d'artifesse. Oui, ceci est un mauvais jeu de mot.

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