Les tables alignées, les chaises, moi, derrière mon bureau. L'épreuve de philosophie a débuté : le bonheur peut-il être durable ? Hum, ça me donnerait presque envie d'écrire un pavé. La première épreuve du baccalauréat de terminale. Et je suis de l'autre côté, je « surveille » (assez faiblement, car tricher le jour du bac fait encore très peur aux élèves, un DS normal pourquoi pas, mais là, il y a une sorte de solennité que les élèves doivent ressentir, c'est le bac bon dieu, faut pas déconner !!).
Mon année se termine ainsi : les surveillances et la correction des copies d'histoire-géographie des Terminales S. Une année au lycée. En Guyane. Qu'est-ce que ça change par rapport à mes trois mois au collège dans Ch'Nord ? Tout, ou presque. Les enfants et les jeunes ados sont devenus des vieux ados et des jeunes adultes. Ils sont grands, parfois autant que moi, et ils parlent avec l'assurance que nous avions à leur âge : on savait tout, alors qu'on ne savait rien, et on pouvait le dire très fort. Qu'est-ce que ça a changé pour moi ? Beaucoup de choses, dans mes pratiques, dans ma façon d'enseigner. J'ai appris de mon expérience passée.
Ainsi, j'ai passé mes deux premières semaines de l'année à « faire le nazi ». Concrètement, je suis un chien à chaque cours, je ne laisse rien passer, je vais au devant des élèves dès qu'ils ouvrent la bouche pour parler à leur voisin. L'objectif : que la vis soit bien serrée afin de pouvoir la desserrer toute l'année (l'inverse étant très difficile). Ca passe aussi par l'apparence physique (je n'ai pas quitté mon pantalon de costume et mes chemines de l'année) et par le respect de ma parole : ce que je promets, je donne.
Suis-je un père fouettard ? Je ne crois pas. Je n'ai pas donné une seule heure de retenue à titre personnel cette année (j'ai appris de l'année dernière et des conversations que j'ai eues sur le sujet avec d'autres enseignants plutôt réfractaires à la notion de punir). Mon système de sanction est le suivant : un avertissement oral à la personne concernée, puis le fameux « deuxième avertissement » avec le prénom. Bizarrement, ce deuxième avertissement fait peur, les élèves se demandant souvent ce qui se passe ensuite. Très rarement cette année, j'ai dû aller voir un élève, m'approcher de lui, et lui susurrer tendrement, « c'est mon dernier avertissement aujourd'hui », avec beaucoup de bienveillance (mot très à la mode dans l'éducation nationale de nos jours). J'évite d'afficher l'élève devant ses camarades, tout en faisant bien passer mon mécontentement. Plus exceptionnellement, j'ai dû sanctionner. Fini les mots dans le carnet qui ne servent à rien, je suis passé à l'exercice à faire à la maison. Ca ennuie vraiment l'élève, surtout avec la menace ajoutée (tu ne me rends pas ton exercice, qui est facile et rapide, c'est 3 heures de retenue pour me faire toute une feuille d'exercices). C'est arrivé 3 ou 4 fois dans l'année, et les élèves m'ont ramené leur exercice le cours suivant. Surtout, je n'ai pas eu de récidive.
Parfois c'est l'ensemble de la classe qui est bruyante (au hasard le vendredi après-midi à 15h30). Là, un bon vieux « vous me mettez tous vos carnets sur la table » permet de reposer tout le monde.
J'insiste beaucoup sur ce côté « gérer une classe », car il est essentiel pour pouvoir faire cours. Mais l'inverse est tout aussi vrai : il faut des cours avec du rythme, du rythme, du rythme pour garder les élèves attentifs et motivés.
Comment se passent mes cours ? Très concrètement je les fais entrer dans la classe en étant positionné dehors, à la porte, et en les saluant. L'idée : je marque « mon territoire », ici vous entrez dans ma maison, et vous devrez respecter mes règles.
Je commence chaque cours par un « fil rouge », une petite interrogation - deux questions très faciles si tu as relu ton cours – pour les mettre directement au travail. Clairement c'est ma meilleure idée de l'année : les élèves rentrent en lisant leur cahier, et apprennent ainsi régulièrement leurs leçons. Ils rendent leur copie en les faisant passer devant (pas besoin que je passe à travers la classe). Le lendemain, je leur rends leur feuille, qu'ils réutilisent, et ce pendant tout le chapitre (sinon on perd du temps à prendre une feuille à chaque fois). Ils sont les grands gagnants : les points s'accumulent vite (ça contrebalance les DS). Moi je corrige ces questions en quinze minutes par classe, et souvent en classe d'ailleurs. En début d'année je leur donne les questions que je vais poser le lendemain, ça permet d'embarquer tout le monde dans le jeu, même les mauvais élèves. Certains diront que ce sont des points gratuits (ils n'ont sans doute pas tort), moi je réponds que cette expérience a donné d'excellents résultats : je n'ai qu'une seule élève décrocheuse en histoire (à savoir à moins de 6 de moyenne), pour cinq classes. Cela m'a donc permis d'avoir tous les élèves à peu près motivés cette année. Et cela me permet d'avoir le calme dès la première minute du cours.
Après une mini-correction (qui rappelle à nouveau le cours précédent), j'enchaîne avec le point que je veux traiter aujourd'hui. Souvent je fais écrire le titre de la sous-partie, et j'interroge les élèves sur ce qu'ils connaissent déjà. Je leur distribue ensuite un petit corpus de documents avec quelques questions : c'est la mise en activité. 15 à 20 minutes en moyenne. Parfois seul, parfois en duo avec leur voisin de table, plus rarement en petit groupe. Je note à chaque fois quelqu'un au moment de la correction. Je ramasse plus rarement l'ensemble des exercices (une fois par trimestre en moyenne). L'idée, c'est de travailler la méthode. J'essaie d'aller les voir tous, de les aider à répondre aux questions (« tu reformules, puis tu justifies avec les documents », phrase que j'ai dû prononcer mille fois cette année).
Après la correction, c'est le temps de la comparaison avec d'autres exemples, puis de compléter avec des idées sur lesquelles je n'ai pas le temps de travailler. Tout cela se passe au tableau, puisque mon cours n'est qu'un Powerpoint projeté. J'essaie de passer une petite vidéo de temps en temps, d'avoir des images/photos régulièrement, des caricatures, des tableaux etc.
Vient enfin le temps de l'écriture (qui se fait parfois en deux fois, une fois après l'exercice et une fois après avoir développé d'autres idées). Je souligne et mets en rouge les choses importantes (d'où le nom de « fil rouge » pour mon interro du lendemain), et j'essaie d'expliquer les mots un peu plus compliqués.
Et le lendemain.... c'est reparti !
Mon travail routinier permet d'habituer les élèves à ma méthode. De temps en temps je casse un peu ce rythme. Ainsi les chapitres d'éducation morale et civique (EMC) permettent de faire beaucoup de débats oraux/débats mouvants, avec une préférence pour les seconds : tous mes élèves sont debout, et choisissent un camp au début du débat (oui ou non par rapport à quelque chose, il peut y avoir des neutres). Puis chaque élève donne un argument, pour essayer de convaincre les neutres et l'autre camp. Si on apprécie l'idée de l'autre (même sans être d'accord avec sa position initiale), on change de camp. L'idée étant pour les élèves de changer régulièrement de camp, prouvant ainsi qu'ils sont à l'écoute des arguments des autres. Ca permet d'avoir des débats dynamiques, avec une réflexion de groupe.
J'ai fait quelques sorties pédagogiques, j'ai projeté deux films, je fais faire des petits exposés. Je ne donne pas de devoir à la maison, pas d'exercice à la maison, et je pense que ça restera mon leitmotiv : re-lisez votre cours, c'est tout ce que je vous demande.
Sur les 55 minutes de cours, je dois passer 5 minutes assis (quand je corrige mes fils rouges). Le reste du temps, je circule. J'occupe mon espace. Et je vais au contact des élèves, qui me sollicitent régulièrement.
Pour les évaluations, je reste très attentif en début d'année, je circule dans ma classe pendant 50 minutes, des coups d'oeil réguliers dans les trousses et sur les chaises : j'ai grillé trois tricheurs assez vite, je leur ai dit « ceci est notre petit secret, si je te reprends, on règle ça avec le CPE et le proviseur, ainsi que tes parents », je n'ai pas eu de récidive.
A la fin du trimestre ça me fait en moyenne 7 à 9 notes (3-4 évaluations, 3-4 fils rouges, 1 note orale), c'est suffisant et ça laisse le droit à l'erreur, et ça me permet de voir qui est sérieux mais a des difficultés (bonne note de fil rouge, mauvaise note en évaluation), qui n'est pas à fond (note moyenne en fil rouge, bonne note en évaluation) etc.
Voilà pour un petit aperçu de la forme des cours (j'aborde le fonds prochainement, surtout que je suis en Guyane, ça change pas mal de choses pour les programmes d'histoire-géographie). C'est loin d'être parfait hein, je débute ! Mais j'ai pu observer une amélioration dans mes rapports avec les élèves par rapport à l'année dernière. Je pense que j'ai obtenu le respect de tous, ce respect étant réciproque. J'ai réussi à faire travailler toutes mes classes, et je crois que certaines ont bien progressé (notamment les secondes).
Qu'est-ce que je pourrais encore changer pour améliorer les choses ? (c'est autant une question pour moi que pour vous! Je prends toutes les idées !). Apprendre la langue locale me semble important pour l'année prochaine. Ca me permettra de comprendre quand un ou une élève fait une remarque à voix haute en sranantongo (créole surinamien) ou quand un élève ne comprend pas un mot français de mes documents (oui, là on est dans une spécificité de la Guyane!). Essayer de rester zen toute l'année (je me suis énervé une fois sur un élève cette année, à refaire je réagirais autrement). Essayer de passer un peu plus de vidéos (parce que les élèves aiment beaucoup, mais faut que je trouve des choses intéressantes, c'est plus facile à dire qu'à faire).
11h15. Après 3h15 de bonheur [sic!], tous mes élèves sont sortis de l'épreuve de philosophie. Je remercie les STMG pour leur efficacité ! Allez, on se retrouve demain !