Il y a quelques années de cela, six ans et demi pour être précis, j'avais intitulé un article « Sophie la guigne », l'arrivée de ma sœur en Espagne ayant provoqué une succession d'événements non prévus et désagréables. Cet épisode n'est rien à côté de ce tome 2, où la personne maudite est : ma gueule.
Mercredi
Aujourd'hui, je dois faire notre carte touristique. Nous partons avec Tim, mon coloc, à Tobago pour les vacances de Noël. Pour y arriver nous devons prendre un avion à Paramaribo, capitale du Surinam, située à moins de 3 heures de mon domicile actuel. La mission a l'air faisable, puisque nous avons simplement besoin d'une carte touristique du Surinam, qui se fait en quelques minutes au consulat. Mais, ce mercredi, je suis malade, au point de ne pas aller travailler (une première pour moi). Je ne me rends pas compte ; je pense à une intoxication alimentaire ou à un parent d'élève qui, la veille, m'a refilé un reste de gastro. En vérité, je venais d'être marabouté. C'est le premier épisode de Jérémy la guigne.
Vendredi
Pas grave, le consulat est ouvert vendredi après-midi, et je n'ai pas cours. Je me présente au lieu-dit vers 14h30 et.... c'est fermé. Jérémy la guigne. Situation ubuesque : le consulat a donné rendez-vous à plusieurs dizaines de personnes pour venir récupérer leur passeport (et leur visa) à 14h, mais ils ont décidé de fermer cet après-midi, sans prévenir (la veille des vacances de Noël). Les passeports sont là, à l'intérieur, et le consulat n'ouvre plus avant... mercredi. Les gens sont, logiquement, très contents. Après quelques heures de tractations, quelqu'un viendra finalement ouvrir le consulat, relâchant les passeports. Pour nous, par contre, pas de carte touristique. Heureusement, on peut la faire directement au poste-frontière.
Samedi
Les sacs sur le dos, nous nous retrouvons comme une sucrerie au milieu d'un essaim d'abeilles – les abeilles étant les conducteurs de pirogue. Nous allons traverser le Maroni, fleuve frontalier et arriver au Surinam. Après quelques négociations, nous voici à Albina, poste-frontière.
« Vous n'avez pas votre carte touristique ? »
« Non, on voudrait la faire »
« C'est pas possible, il faut la faire au consulat »
« Pardon ? »
« C'est pas possible, il faut la faire au consulat »
« Mais il est fermé jusque mercredi, et notre avion part demain ».
« C'est pas possible, il faut la faire au consulat »
« Mais on nous a dit que c'est possible de la faire ici »
« C'est pas possible, il faut la faire au consulat »
Négocier avec une administration revient à se battre avec un mur : ça ne bouge pas. Nous voici tout penauds – comme des cons quoi – notre sac sur le dos, la frontière devant nous, et l'avion de dimanche matin qui se révèle impossible à chopper. Nous repartons dépités de l'autre côté du fleuve, cherchant sans succès un plan B pour passer au Surinam. Oh, notre bel hôtel de Paramaribo. Oh, notre avion en première vers le soleil des Caraïbes. Tout a disparu, et nous voici sous la pluie, déambulant vers la maison. Jérémy la guigne.
Allez on se motive ! C'est les vacances merde ! A peine arrivés à la maison que nous regardons les sites internet. On partira, qu'importe quand, et on verra Tobago ! Un ticket nous saute alors aux yeux : Cayenne-Paramaribo-Aruba-Miami-Trinidad. Oui, 3 escales, mais c'est le moins cher et nous avons 22 heures de disponibles à Miami ! C'est un signe, on doit voir la Floride ! On achète notre ticket en même temps et on pense déjà à notre bon temps aux USA ! C'est sans compter sur Jérémy la guigne.
Dimanche
Le covoit est là. Ouf. Direction Cayenne, où Justine nous héberge. Nous sommes le 24 décembre, elle a bizarrement des plans pour la soirée. Mais elle est très sympa et nous laisse la maison pour la nuit. Au moment de venir nous chercher à Cayenne, sa batterie... lâche. Un autre effet de Jérémy la guigne. Des pinces plus tard, la voici. Ouf.
Lundi
Nous prenons le taxi pour l'aéroport. 50€ ; c'est le 25 décembre. Nous avons déjà perdu un ticket d'avion pour Trinidad le dimanche, la nuit d'hôtel à Paramaribo, la première nuit à Tobago...alors 50€...
Aéroport de Cayenne. Tim passe. On lui donne son ticket. Je passe.
« Désolé, mais je n'ai pas votre nom ».
« Pardon ? »
« Vous n'êtes pas sur le liste des passagers ».
« Mais, j'ai ma réservation ».
« ….... »
« …...... »
Le coup de massue. Jérémy la grosse guigne. Car, jusque là, ça pouvait être Tim la guigne. Ici, c'est beaucoup plus clair. La dame de l'accueil m'explique la situation : j'ai apparemment un ticket de Miami à Trinidad qui est réservé, mais pas de Cayenne à Miami. Je peux l'acheter. Combien ? 700€. Outch ! Bon, de la merde, j'irai en vacances ! Je sors la carte bleue. « Désolé, c'est seulement en cash ». 700€, en cash. Bizarrement, je n'ai pas le somme sur moi. Et vas-y que je pars à la machine pour retirer. A 150€ la machine dit stop. Je ne le sais pas encore, mais je suis au plafond. Jérémy la guigne. Bon, il semble bien que Miami disparaît pour moi. Une autre solution serait de partir jusqu'à Paramaribo et de prendre un vol jusque Trinidad ; selon Internet, il y en a encore et c'est beaucoup moins cher : 180€ vers Paramaribo... allez c'est parti !
Je file quasiment tout mon argent disponible pour partir au Surinam (alors que j'étais sensé y être il y a deux jours pour 5 fois moins... putain de carte touristique!!) J'appelle mes parents pour leur souhaiter un joyeux Noël et leur demander d'appeler la banque aujourd'hui -ah, c'est le 25 décembre ils ne travaillent pas??!- demain pour faire sauter mon plafond de retrait.
Me voici à Paramaribo, nous nous séparons avec Tim : lui part à Miami. Le salaud. Moi, j'entre au Surinam, je fais cette foutue carte touristique que l'on peut faire à l'aéroport (mais plus aux frontières terrestres) et j'ai deux objectifs : un hôtel pas cher et internet au plus vite : il me faut un vol pour Trinidad le lendemain.
Je me fais entuber par un taxi, mes derniers euros s'envolent, et je me retrouve dans un hôtel à 5 kilomètres de l'aéroport. Un peu plus de 10€ la nuit.... en hamac.... sous des tôles.... et sans moustiquaires... Bref, le rêve. Jérémy la guigne. Bon, je n'ai qu'un dollar et trois euros sur mois, je fonce à la première banque. J'arrive à retirer 30€ en tout et pour tout : il faut que je tienne un jour et une nuit. Y'a pas de raison !
Mission suivante, le ticket d'avion. Je vais sur le site de la compagnie et.... il n'y a plus de ticket. Le prochain vol est disponible dans... 3 jours. Jérémy la guigne. Je me décompose devant l'ordinateur, me demandant qui est ce sorcier vaudou si puissant m'ayant marabouté (j'ai choppé le baclou!). Je passe par d'autres sites et là, miracle, je peux réserver un ticket pour le lendemain. C'est à n'y rien comprendre. Bon, je me suis fait avoir à Cayenne dans la même situation, j'attends d'être dans l'avion pour sauter de joie.
Après une journée et une nuit pluvieuse passée dans la banlieue de l'aéroport de Paramaribo, Surinam, accompagné de nouilles chinoises, je repars, j'espère pour de bon, à Trinidad.
Mardi
Alleluia ! Je suis dans l'avion (et il y avait encore pas mal de places !). Je croise quelques personnes de Saint-Laurent du Maroni, à qui je raconte mes malheurs. Et nous atterrissons à Port of Spain, capitale de Trinidad. Il est midi, Tim arrive dans le même aéroport à 19h. Je me décide à l'attendre, il y a des vols vers Tobago, l'autre île et notre destination finale, toutes les heures quasiment. Ils vendent des tickets à partir de 18h. Ma carte bancaire fonctionne, tout va bien, le karma est de retour ! Enfin, c'est ce que je croyais. Un journal et deux heures de couture plus tard, 17h30. Je me mets dans la file pour acheter un ticket. Je suis premier, j'ai fait le mouvement au bon moment, il y a plusieurs dizaines de personnes derrière moi deux minutes plus tard. L'hôtesse prend alors la parole et explique « pas de ticket disponible avant 20h ». Bon, au point où j'en suis. Je récupère Tim et je vais dans la file. Je pose la question qui fâche : « il y a encore des tickets ? » (car vous n'en avez pas vendu un seul depuis que je suis arrivé !). Elle se décide alors à faire une annonce générale : « pas de ticket avant 3 heures du matin ». On se renseigne un peu, et on apprend qu'il n'y a pas de ticket avant 4 jours, et qu'il faut espérer que quelqu'un ne vienne pas. Jérémy la guigne. Nous voici à Trinidad alors que nous avons une réservation d'hôtel à Tobago, et des amis là-bas...
Nous sommes à nouveau abattus. On regarde pour le bateau. Certes, ça dure 4 heures au lieu de 15 minutes, mais on va y arriver ! ….. Plus de ticket de bateau sur Internet. Jérémy la guigne. Une possibilité est d'aller faire la queue très tôt demain, genre 8 heures, pour essayer d'avoir un des tickets restants pour le bateau de midi. Ou de faire la même chose pour l'avion (en gros ce que j'ai fait toute la journée...).
Bon on réserve une nuit d'hôtel à Port of Spain, capitale de Trinidad et nous prenons un taxi qui nous dépose au bon endroit (faut le signaler quand ça se passe bien!).
« Sorry, on est complet »
« Mais nous avons une réservation »
« Désolé, mais nous sommes complet »
« Mais enfin, on a pu faire une réservation sur Internet il y a 30 minutes ! »
« Désolé, mais nous sommes complet »
Jérémy la guigne. La goutte d'eau pour moi, je m'assois dehors, je laisse Tim chercher un plan B (enfin, non, le plan B c'était Miami, le plan C c'est moi par Paramaribo puis Tobago, le plan D c'était cet hôtel, on est donc au plan E, comme énervé). Et nous voici à pied, à travers Port of Spain, sacs sur le dos, pour trouver un autre hôtel. Il est 22h30, j'ai passé la nuit dernière dans un hamac, ma journée dans un aéroport et je marche. Joyeux Noël Jérémy la guigne.
Mercredi
5 jours que nous avons commencé notre périple. Et nous ne sommes pas encore arrivés à destination. Du coup c'est Tim qui va faire la queue pour les tickets du bateau – si j'y vais le ferry est capable de rencontrer un Iceberg au milieu de la mer des Caraïbes –. A 11 heures, j'avance avec un autre naufragé de l'aéroport de Trinidad et nous voyons Tim, grand sourire, les pouces levés. C'est fait, on a les tickets, direction Tobago !!!
Le bateau met 5 heures, ça remue sévère, ça vomit beaucoup et Tim dit « plus jamais ça ! ». Un taxi nous attend à Tobago, l'hôtel n'a plus notre chambre pour ce soir, mais c'est pas grave, au point où on en est ! Les vacances commencent enfin.
Jeudi
Pluie.
Vendredi
Pluie.
Samedi
Pluie, sans arrêter. Nous sommes dans les Caraïbes, et il pleut autant qu'en Bretagne un soir d'automne. D'ailleurs, le soir, l'électricité disparaît. Jérémy la guigne. Bon, jusque là ça allait bien en fait, car nous avons un autre souci : notre carte bancaire ne fonctionne plus. Tous les deux. Pas grave, lundi mon plafond doit augmenter, et je vais pouvoir retirer (et payer notre hôtel, notre bouffe, etc).
Lundi
Il y a une seule machine. Elle fonctionnait. J'arrive retirer de l'argent. « Sorry, out of service ». La machine n'a plus de cash. Jérémy la guigne. Je doit partir le lendemain à Trinidad. Je n'ai pas de ticket d'avion (il n'y en a plus avant plusieurs jours). Et c'est pareil pour le ferry.
Mardi
J'obtiens après 2 heures de queue un ticket pour le ferry. Pas malade. Et un vieux copain est de l'autre côté pour ma dernière journée. Il veut m'emmener à sa plage favorite, l'un des plus beaux lieux de l'île... il ignore alors qu'il transporte Jérémy la guigne. A dix kilomètres du but, nous sommes bloqués : un glissement de terrain ayant bloqué la route ! Jérémy la guigne. Elle ne sera débloquée que le lendemain.
Mercredi
J'arrive à l'aéroport. Tim est là. Le ferry de ce matin était... en panne (forcément, je l'avais emprunté la vieille) et il a eu énormément de chance : un type très sympa lui a filé un ticket d'avion très discrètement. L'avion est... retardé de 4 heures. Bon, Jérémy la guigne, c'est bientôt fini !??? Perdu, l'avion n'est toujours pas là. Nous l'imaginons dans les airs, ne souhaitant parsatterrir pour me rencontrer, moi terrible malade, marabouté depuis 10 jours. Il arrive finalement avec 5 heures de retard sur l'horaire et nous emmène au Surinam. Nous rentrons le vendredi en Guyane.
Le bilan ? Un avion manqué, un ticket annulé à l'aéroport, 3 jours de vacance perdus dans des transports, 4 jours de pluie, un carte bancaire en difficulté (mais c'était pire pour Tim), des hôtels réservés dans le vent, du vomi... et bonne année ! Jérémy la guigne.