10 mai 2017 3 10 /05 /mai /2017 02:47

Sardar Market Cirdikot. Clock Tower, Jaipur. Devant moi, des étals à n'en plus finir, des motos se frayant un chemin, et des milliers d'Indiens, vendant, achetant, négociant, ou se baladant. Il y a un homme avec un bonnet (alors qu'il doit encore faire 38 degrés à 17 heures !). Il y a les saris, orange et vert, rose et vert, jaune et rouge, seulement du rose, du noir ça et là. Il y a les bijoux, sur les poignets, sur les chevilles, au niveau du nez. Il y a une multitude de couleurs. Il y a des sourires. Il y a des cris. Il y a les enfants. Il y a bien 1 000 visages. Et, pourtant, aucun ne sera dans mon appareil photo.

 

C'est un débat que j'ai avec moi-même à chacun de mes voyages : dois-je prendre en photo les gens ? Pas seulement en toile de fond d'une photo de monuments ou de paysages, je veux dire que la personne soit le sujet de la photo ? D'un côté, il y a cette envie de capturer ces traits, et, de l'autre, la volonté de ne pas interférer dans l'espace privé. 

Je ne pense pourtant pas que les Indiens aient des problèmes avec le fait de les prendre en photo. C'est en Afrique que ça gênait le plus (même en toile de fond d'un paysage urbain). Ici, je l'ai déjà écrit, la jeune génération indienne (et pas que) est fan de selfie ; et on se prendrait même en photo avec un cendrier. Néanmoins, ma ligne de conduite reste la même, pas de photo des gens que je croise dans la rue. Plusieurs raisons.

La première, c'est que je refuse moi-même toutes les sollicitations de photo ou autre "selfie" de la part des Indiens. Je suis assez strict sur ce sujet, je me vois mal dans ces conditions demander des photos aux locaux.

La seconde, c'est l'impossibilité de prendre une photo naturelle, de l'instant, s'il on s'en tient aux règles : il faut d'abord demander avant de prendre une photo de quelqu'un. Demander a posteriori me semble déjà franchir la porte d'une maison et demander si l'on peut entrer...

La troisième raison, la plus importante aujourd'hui selon moi, c'est le fait de partager cette photo. Car si je prends la photo et qu'elle reste dans mon appareil, cela ne pose pas vraiment de problème. Mais, si après avoir demandé et pris la photo de quelqu'un, je la partage (en petit comité ou, pire encore, sur la toile), cela pose la question de la vie privée. J'ai beau avoir demandé avant de prendre la photo, je n'ai pas demandé "je peux te montrer au monde entier, tu as une tête qui est bien sympathique ?". C'est quelque chose qu'on ne ferait peut-être même pas avec nos amis (taguer sur Facebook sans demander est de moins en moins la mode). Alors, parce que c'est un Indien qui vit à l'autre bout du monde, on s'autoriserait à la faire ?

Dans ces conditions, je m'abstiens donc, et c'est pour ça que les gens, les Indiens, les Sri Lankais, ne semblent pas vraiment exister en tant que tels dans mes photos. Mais ils restent dans mon cerveau ; et c'est peut-être la seule chose que je garde exclusivement pour moi dans mes voyages : les visages.

 

Attention, ce débat est loin d'être clos, Je rencontre beaucoup de voyageurs pour qui la population est le plus beau des sujets. Je comprends d'ailleurs cet attrait, mais je ne suis pas toujours d'accord avec les règles déontologiques utilisées (je sors les grands mots, mais j'ai quand même donné un cours d'éducation civique sur un sujet similaire !). Photos volées et partagées font trop souvent partie des mauvais comportements, me semble-t-il.

J'opte donc pour les photos de dos, ou de 3/4, au plus de profil. 

La vraie différence, c'est quand je passe du temps avec quelqu'un. Apres 15-20 minutes, à discuter, à rigoler, et si le visage m'est sympathique, je n'hésite plus à demander une photo. Ce n'est plus l'étranger, la barrière est ouverte : j'ai passé le seuil de sa maison, après avoir été invité.

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